17 novembre 1967, Régis Debray condamné à 30 ans de prison en Bolivie

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Par La Croix, le 17/11/2017 à 06h47
Quelques semaines seulement après la mort du « Che » Guevara en Bolivie, le jeune révolutionnaire français Régis Debray, emprisonné depuis le mois d’avril pour son action dans la guérilla bolivienne, était condamné le 17 novembre 1967 à trente ans de prison par un tribunal militaire. Une large campagne internationale en sa faveur lui permettra de retrouver la liberté quatre ans plus tard.

CONTEXTE

« Le carnet de marche trouvé dans les vêtements du Che prouve que Debray était agent de liaison. » Il est 15 heures, ce 17 novembre 1967, à Camiri, au sud-est de la Bolivie, lorsque les cinq colonels chargés de juger Régis Debray pour sa participation aux côtés des guérilleros castristes menés par Ernesto Guevara, annonçaient la sentence : la peine maximale, 30 ans de prison.

Jeune intellectuel français, ami personnel de Fidel Castro, issu d’une famille parisienne bourgeoise et libérale, Régis Debray avait été arrêté le 20 avril 1967 en Bolivie dans la région de Mayupampa où, quelques années plus tôt, s’étaient implantés les premiers maquis castristes. Lors de l’interpellation, durant laquelle il fut blessé, le jeune révolutionnaire était notamment accompagné d’un peintre argentin, Ciro Roberto Bustos.

Dans les jours suivant son arrestation, l’on avait craint le pire. « Nous faisons l’impossible pour empêcher qu’il ne soit fusillé ! » indiquait un télégramme envoyé à Paris dont La Croix avait retranscrit quelques extraits dans son édition du 27 avril 1967.

En réponse aux appels qui s’étaient succédés pour assurer aux détenus les garanties juridiques élémentaires, le général Barrientos, président de la République de Bolivie, avait affirmé que la Constitution serait respectée. La peine de mort ayant été abolie, les détenus encourraient jusqu’à 30 années d’emprisonnement. Et comme le titrait La Croix dans son édition du 28 septembre 1967, c’est bien cette peine maximum qui avait été « demandée dès l’ouverture du procès ».

Ajourné à plusieurs reprises, le procès de Régis Debray s’était ouvert le 26 septembre devant un tribunal militaire à Camiri, la capitale pétrolière de la Bolivie. Dans son édition du 28 septembre, La Croix rapportait notamment les principales déclarations du « général-président », René Barrientos Ortuño, ou encore celles du procureur, le colonel Iriarte.

« Régis Debray est entré clandestinement en Bolivie et a pris les armes contre le gouvernement constitué », avait ainsi déclaré le colonel Iriarte, qui avait qualifié Régis Debray et Ciro Roberto Bustos de « laquais de Fidel Castro ». Dès le début du procès il était déjà presque acquis que les autorités boliviennes condamneraient Régis Debray à la peine maximale.

« Rappelons que l’accusation n’a présenté aucune preuve formelle pour étayer sa thèse » écrivait La Croix dans son édition du 19 novembre 2017, deux jours après le rendu du verdict.

Le philosophe retrouvera finalement sa liberté quatre ans plus tard grâce à une large campagne internationale. Une remise de peine peut-être liée aussi à une coopération du détenu dans les opérations visant à l’arrestation du « Che » Guevara, selon certains. Des rumeurs démenties et dénoncées depuis.

Le 17 novembre, un reportage de l’émission Panorama, sur l’ORTF, revenait sur le procès de Régis Debray et de ses codétenus.

ARCHIVES

Un jeune professeur français, Régis Debray, fait prisonnier par les forces contre-guérilla
(La Croix du 27 avril 1967)

Les engagements des guérilleros avec l’armée bolivienne continuent. Selon le journal Prescensia de La Paz un accrochage vient d’avoir lieu dans la région de Capirote, coûtant la vie à six insurgés. Les forces de l’ordre n’auraient pas subi de pertes.

Notons cependant que ces nouvelles doivent être accueillies avec les plus grandes réserves. Le gouvernement bolivien a interdit l’accès des zones opérationnelles aux journalistes, et il n’a pas hésité au début de cette semaine à expulser, par la force, du secteur de Camiri, quartier général des forces engagées contre les guérilleros, les correspondants de presse Boliviens.

Le cas de l’un des guérilleros fait prisonnier par l’armée retiendra plus particulièrement aujourd’hui la tension. Il s’agit de celui de Régis Debray, jeune professeur de philosophie français, ami de Fidel Castro et théoricien du marxisme (Régis Debray est le fils de Mme Alexandre-Debray, conseiller municipal centriste du VIIIe arrondissement de Paris).

Régis Debray, selon les premières indications reçues de La Paz, passait pour avoir trouvé la mort au cours d’un accrochage. Mais on annonçait mardi soir, à Paris, que la famille du jeune professeur avait reçu un télégramme l’informant de la situation de celui-ci. Régis Debray est blessé et prisonnier et, ajoutait le télégramme : « Nous faisons l’impossible pour empêcher qu’il ne soit fusillé ! »


Régis Debray devant le tribunal militaire de Camiri

(La Croix du 27 septembre 1967)

Ajourné à plusieurs reprises, le procès de Régis Debray s’est ouvert mardi matin à 8 heures (13 heures, heure de Paris), devant un tribunal militaire à Camiri, la capitale pétrolière de la Bolivie. Le colonel Guachalla Ibanez, président de ce tribunal, a déclaré qu’il y aura des séances tous les jours.

On ne peut absolument pas dire combien de temps va durer ce procès, car le nombre des témoins n’a pas encore été révélé. Mais il est vraisemblable que les familles des soldats et des civils qui ont été tués au cours d’opérations menées contre les guérilleros défileront à la barre de l’accusation.

Le colonel Guachalla attache une grande importance au retentissement du procès dans l’opinion internationale. Plus que des personnes, ce sont des idées qui vont être jugées.

Il y a sept accusés, mais le protagoniste de l’affaire dont on parle le plus est naturellement Régis Debray.

Celui-ci est âgé de 27 ans, ancien élève de l’École normale supérieure de Paris, professeur de philosophie au lycée de Nancy. Il écrivit au début de l’année à La Havane un manifeste de doctrine révolutionnaire intitulé : Révolution dans la révolution.

Entré en Bolivie en mars de cette année, il avait réussi à rejoindre le foyer de guérillas de Nancahuasu dans le sud-est du pays, pour y interviewer certains leaders révolutionnaires, notamment le légendaire « Che » Guevara.

Arrêté le 20 avril dans le village de Muyupampa au moment où il quittait le maquis, Régis Debray est maintenant accusé de complicité de meurtre et de banditisme.

Le défenseur de Régis Debray est un avocat du barreau de Cochabamba, M. Villardel, qui a rang de capitaine dans l’armée bolivienne. Le procureur militaire, le colonel Remberto Iriarte Paz, est un ancien élève de l’École supérieure de guerre de Paris.


Le procès Régis Debray à Camiri : Peine maximum (30 ans de prison) demandé dès l’ouverture du procès

(La Croix du 28 septembre 1967)

Dans un déploiement de forces impressionnant s’est ouvert à Camiri le procès de Régis Debray et de ses codétenus.

Les 40 journalistes étrangers et les quelque 80 spectateurs invités ont été minutieusement fouillés avant de pouvoir pénétrer dans la bibliothèque du syndicat des ouvriers du pétrole, transformé pour la circonstance au prétoire.

Le colonel Iriarte, procureur, a qualifié Debray (ainsi que l’Argentin Bustos), de « bandit international », et a demandé la peine maxima. Cette peine maxima est, depuis l’abolition en Bolivie de la peine de mort, de 30 ans de prison pour infamie, parricide et trahison.

Le procureur a accusé Régis Debray d’être le principal initiateur de « la nouvelle tendance de la guérilla communiste en Amérique latine ». Selon le colonel Iriarte, Debray est un « apôtre de la violence », venu en Bolivie pour y abuser les classes laborieuses. Il a estimé que le livre Révolution dans la révolution est un livre à la gloire de la guérilla qui « cause de la terreur et la mort en Bolivie ».

« Régis Debray, a-t-il poursuivi, est entré clandestinement en Bolivie et a pris les armes contre le gouvernement constitué », à ajouter le colonel Iriarte, qui a qualifié Debray et Bustos de « laquais de Fidel Castro » et a tourné en dérision leur déclaration lors de l’instruction, selon lesquelles, ils étaient des « journalistes venus en Bolivie pour interviewer le Che Guevara ».

L’intervention du procureur avait été précédée d’une déclaration liminaire de Régis Debray. Celle-ci a consisté en un plaidoyer passionné en faveur de la guérilla qui trouve sa justification, selon lui, dans le fait que la faim et le chômage sont des formes de violence aussi aiguës que les embuscades et les combats.

Conférence de presse de Régis Debray diffusée lors de l’émission Les actualités françaises le 29 août 1967.

Divers incidents ont marqué la première séance du tribunal. En particulier, Me Mendizabal, défenseur de l’Argentin Bustos, a déclaré qu’un tribunal militaire était un compétent pour juger des civils.

D’autre part, Me Georges Debray, père de l’accusé, a renoncé à assurer la défense de son fils, en raison, a-t-il dit, des pressions exercées sur lui par le tribunal militaire de Camiri.

De plus Me Roger Lallemand, du Barreau de Bruxelles, qui a fait le voyage en Bolivie dans le but d’assurer à Régis Debray une codéfense, que l’inculpé lui-même avait sollicitée, précise dans un communiqué officiel que les autorités boliviennes n’ont pas tenu parole et lui interdisent de communiquer avec l’accusé.

« Dans de multiples déclarations à la presse internationale, lit-on dans ce document, on s’était engagé à assurer au ressortissant français Régis Debray toutes les garanties d’une défense libre et complète. Or, depuis le jeudi 21 septembre, Me Georges Debray s’est vu refuser le droit de s’entretenir avec l’accusé, son fils. Quant à Me Roger Lallemand, non seulement sa qualité de codéfenseur ou d’assesseurs n’a pas été reconnue, comme il était convenu mais en outre, on lui a refusé tout entretien avec le détenu ».

Notons enfin une déclaration du général Barrientos, président de la République bolivienne, au quotidien madrilène Informaciones : « Si Régis Debray a commis comme il l’assure aucun délit, a ajouté le général, tant mieux pour tous. Mais si la justice bolivienne découvre qu’il a participé effectivement à la subversion, il devra payer les conséquences de ses actes. »

Mais le général-président a ajouté :

« Régis Debray vit sûrement comme il le souhaitait, parce qu’il a, en accord avec ses idées, trouvé une grande plate-forme de propagande, ce qui est la seule chose qui l’intéresse. La libération de la Bolivie ne l’intéresse pas, la douleur des Boliviens ne l’affecte pas, ce qui compte le plus pour lui c’est sa propre mégalomanie, et c’est ce qu’il est venu cultiver en Bolivie. »


Régis Debray : 30 ans de prison

(La Croix du 19 novembre 1967)

Régis Debray et Ciro Roberto Bustos ont été condamnés à la peine maximum par le tribunal militaire de Camiri : 30 ans de prison.

Rappelons que l’accusation n’a présenté aucune preuve formelle pour étayer sa thèse. Elle n’a pu démontrer notamment que Debray et Bustos ont pris part aux embuscades des 23 mars et 10 avril à Nancahuazu.

Aussi, beaucoup d’observateurs présents à Camiri ont-ils la conviction que les juges militaires avec, dès avant la fin du procès, pensé à la sentence qu’ils viennent de prononcer.

Quant aux quatre coaccusés de Régis Debray et de Bustos, ils ont été acquittés.