Ce que cache les « attaques acoustiques » à Cuba

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Article de Michaël PARMLY, publié le 15-11-2017 dans « Le Temps » de Genève

Selon l’accusation, tout aurait commencé il y a environ un an. Le premier camp a porté les allégations à l’attention de l’autre camp le 17 février de cette année. Puis le monde en a été informé en août 2017, par des dépêches d’agence rédigées de La Havane et de Washington. Résultat des courses ? Une crise qui a
torpillé les relations américano-cubaines, les ramenant à leur plus faible niveau depuis que les deux pays ont ouvert leurs premiers avant postes diplomatiques en 1977. Par certains aspects, les relations sont même au plus bas depuis janvier 1961, lorsque Cuba et les EtatsUnis ont pour la première fois rompu leurs relations diplomatiques. Qu’est-ce qui a causé cette soudaine détérioration ? Les Etats-Unis affirment que leurs diplomates en poste à La Havane ont été la cible d’« attaques acoustiques » causées par de mystérieux appareils électroniques visant des individus en particulier. Les articles de presse font état des symptômes dont souffrent les diplomates américains (et aussi canadiens) : douleurs, bourdonnements dans les oreilles, pertes auditives, nausées, problèmes d’équilibre, de vue, maux de tête, épuisement, troubles cognitifs et insomnies. Cela sonne un peu comme de la science-fiction, mais Washington n’en démord pas.

Tant et si bien que les Etats-Unis en sont venus à réduire d’environ 60% les effectifs de leur ambassade de La Havane, qui ne compterait ainsi plus que 27 membres dans le personnel diplomatique. En outre, la Maison-Blanche
a ordonné, en août, l’expulsion de deux diplomates cubains de Washington, puis le mois dernier de quinze autres membres de l’équipe diplomatique de l’ambassade cubaine. Au début, les officiels américains prenaient soin de ne pas mettre toute la faute sur La Havane pour ces « attaques ». Pas plus tard qu’à la mi-octobre par exemple, Washington déclarait que [les autorités américaines] ne savent pas qui ni ce qui est responsable » de ces maux. Mais toute velléité de garder les idées claires à Washington s’est depuis évaporée.

Ceux qui s’opposent à l’amélioration des relations américanocubaines ont gagné la partie

En partant du principe que les symptômes décrits sont véridiques, la question principale n’a guère été de savoir « quoi », c’est-à-dire qu’est-ce qui est la cause de la maladie de l’équipe diplomatique mais plutôt « qui » est derrière ces méfaits. L’intervention d’un pays tiers est à écarter. Cuba est une île, et son
régime autoritaire est toujours parvenu à maintenir jalousement le contrôle sur la totalité du pays et de sa population. Un contrôle qui n’a visiblement pas été érodé par le vent de libéralisation de ces dernières années.

Il est aussi hautement improbable que Raúl Castro, qui n’a pas ménagé ses efforts pour améliorer les relations avec les Etats-Unis, eût approuvé de telles
« attaques acoustiques », surtout quand son homologue américain se trouvait
être Barack Obama (la plupart des sources, cubaines ET américaines, s’accordent sur le fait que ces événements auraient commencé en novembre 2016 lorsqu’il était encore en poste). Même s’il est plausible que la victoire surprise de Donald Trump, annonçant la dégradation des relations américano-cubaines, aurait pu pousser les purs et durs de La Havane à montrer les dents face à Washington, les deux gouvernements ont toutefois continué à soigner leurs relations jusqu’au 20 janvier 2017, en envoyant des hauts fonctionnaires confirmés dans les deux capitales pour signer plusieurs accords de coopération. Ce n’est par ailleurs pas dans le style de Raúl Castro d’agir dans la précipitation. Il y a bien entendu des radicaux des deux côtés qui ont dû se sentir mal à l’aise depuis le soudain réchauffement de 2014, et on ne peut
exclure non plus la présence d’éléments rebelles – que ce soit à Cuba ou aux Etats-Unis.
Mais s’il y a une chose dont Raul peut se targuer, c’est d’avoir la main ferme.
Une chose est sûre : les opposants à l’amélioration des relations américano-cubaines ont, pour l’heure, gagné la partie. A Cuba, les agissements du gouvernement Trump ont fourni la justification pour faire demi-tour – ou du
moins tirer le frein – sur la route des réformes historiques (même si incomplètes) auxquelles La Havane a aspiré avec l’administration
Obama.
Aux Etats-Unis, les extrémistes du Capitole peuvent crier victoire, à l’instar du sénateur de Floride Marco Rubio, cosignataire avec quatre collègues d’une lettre datée de juillet 2017 et adressée à la Maison-Blanche, appelant à fermer l’ambassade cubaine à Washington. L’administration Trump, qui jusqu’ici s’est
montrée dure dans la rhétorique envers La Havane tout en temporisant sur des actes concrets, s’est depuis sentie autorisée à durcir le ton sur tout ce qui était cubain. Trump, qui a besoin du plus grand soutien possible au Congrès, ne remettra pas en cause les demandes de Rubio & Co. L’esprit de gouvernance
visionnaire incarné par Obama s’en est allé pour de bon.
Le progrès enregistré dans les relations americano-cubaines depuis décembre 2014 se serait-il donc soudainement arrêté ? Tout porte à le croire. Les grands perdants de cette détérioration sont les populations américaines et cubaines, toutes deux ayant montré, dans tous les sondages portés à notre connaissance,
leur volonté de cultiver des relations bilatérales plus étroites. Il reste des deux côtés des coalitions en faveur de la poursuite du réchauffement des relations dans le sillage de Raúl Castro et d’Obama. Mais avec le départ de ce dernier et celui annoncé de Raúl Castro au début de l’année prochaine, ces coalitions font
face à d’insurmontables obstacles.

  • Traduit de l’anglais par Emmanuel Gehrig