Au Rayon Souvenirs GGM à Biarritz

Gabo n’était pas venu à Biarritz pour faire des discours *

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Pour un peu, la venue à Biarritz en septembre 1995 de Gabriel Garcia Marquez, prix Nobel depuis 1982, aurait pu être un flop…Ce fut un rendez-vous manqué. Les festivaliers –quelques milliers- en attendaient un top. Forcément. Un Nobel de littérature dans vos murs…Ils furent déçus. Invité hors programme du 4 e Festival international de la cité basque, station balnéaire, GGM ne participa donc pas (ou presque) à la moindre rencontre publique. Caprice de « star » ? Non. En arrivant à Biarritz, il n’ignorait pas que l’Invité Officiel n’était autre que son grand ami l’écrivain colombien Alvaro Mutis, très sollicité et qui ne manqua aucun rendez-vous du programme officiel. Le tapis rouge était déroulé pour Alvaro, l’ami Gabo se tenait à l’écart.

Ce rendez-vous de Biarritz est l’occasion – hors programme - de découvrir un jeune photographe argentin Daniel Mordzinski (1960, Buenos-Aires) venu de Paris à la rencontre du grand Gabo – qu’il ne connaissait pas personnellement- pour lui tirer le portrait en divers exemplaires. Gabo en fit un de ses (rares) photographes préférés. Depuis ces premiers clichés faits sur la plage de l’Hôtel du Palais de Biarritz en 1995.

Récit /Témoignages/

Que venait faire Gabriel García Márquez à Biarritz en ces premiers jours d’automne peu ensoleillés de 1995 ? Certains l’ont vu, d’autres l’ont aperçu, d’autres encore auraient bien voulu le voir. Beaucoup, toujours parmi les festivalier(e)s, auraient bien aimé entendre sa voix colombienne d’Aracataca.

Grand Invité d’honneur, Fuera de Agenda, « Hors programme » du 4 e Festival International de Biarritz, en septembre 1995, Gabriel García Márquez, Prix Nobel 1982, avait à l’esprit de passer une semaine de vacances (s’entend, un peu de solitude) dans la cité biarrote, où le cinéma et la littérature de son pays étaient pour la première fois honorés.

Au programme officiel, on trouvait aussi deux films cubains de l’année, Madagascar de Fernando Pérez et Guantanamera de Tomas Gutiérrez Alea et Juan Carlos Tabio, le premier obtenant le Grand Prix du Festival (le Soleil d’Or), le second le Prix du Public. On imagine mal GGM – qui a tant fait pour le cinéma à Cuba - laisser ses tickets d’invitation au fond de sa poche.

« Hors programme », en villégiature en quelque sorte, GGM n’a donc aucune obligation.

« Il n’avait qu’une envie, se retrouver avec son grand ami colombien Alvaro Mutis, (« El Gran Gaviero »(1923-2014) Invité Spécial officiel) et rigoler avec lui. Et surtout ne pas être confronté à la foule et aux journalistes », se souvient Anne Etcheverry-Lafitte, administratrice du Festival, qui avait été chargée de l’accompagner.

Se retrouver avec Alvaro, mais sans jamais lui voler la vedette, c’est clair, lui l’Invité officiel, qui avait un programme en public chargé et qu’il a respecté. D’où le mutisme (ou presque) de GGM. Elémentaire.

Que venaient faire les festivaliers ? En premier lieu, voir, rencontrer, connaitre, écouter, l’auteur de « Cent Ans de Solitude », bientôt septuagénaire, la moustache drue, blanche, finement coupée au-dessus de la lèvre. Ce n’est pas tous les jours que Biarritz reçoit un Nobel de littérature, qui venait de publier « Del amor y otros demonios » (1994) et qui travaillait sur son « Noticia de un secuestro » (1996).

Ils attendaient un météorite, ce corps céleste tombé sur la Terre, GGM passa comme un météore. Or, est-il utile de le rappeler, « l’aspect médiatique de la manifestation était tourné principalement vers Gabriel García Márquez… »(Alain Liatard, Espaces Latinos, novembre 1995).

GGM n’a aucune obligation et pose des conditions à sa venue.

Gabo, en effet, voulait profiter (aprovechar) du Festival, mais… sans donner de conférence de presse, sans séances de signature, sans discours. Nada de nada. Trois des conditions à sa venue, avec une autre, passer un séjour… discret… incognito ( ?). « Ce ne fut pas possible et il l’a très mal supporté », se souvient aussi Anne Etcheverry-Lafite.

« Toute la semaine, il a été sollicité. Dès qu’il sortait, je devais jouer le cerbère avec son éditrice. Ce n’était pas très drôle pour moi, car il n’était pas très causant et il râlait sans arrêt. Je me souviens de la séance de signatures au (cinéma) Royal, où tout le monde s’était jeté sur lui. Il ne voulait pas être confronté à la foule ni aux journalistes. » (et encore moins aux photographes).

[Les citations de Mme Etcheverry-Lafite sont extraites d’un texte de la journaliste Véronique Fourcade, paru dans « Mag » « Sud-Ouest » du 23/9/2017]

Le public, les festivaliers les plus fidèles n’ont pas oublié cet aspect du séjour-on de GGM. « Nous l’avons vu, …dans quelques salles obscures, …au Palais des Festivals, …dans la rue… mais il n’avait pas souhaité intervenir dans les rencontres littéraires, il a juste assisté à l’inauguration de l’exposition du photographe colombien Léo Matiz », a écrit Marie-José Castaing, alors envoyée spéciale de Espaces Latinos. « Matiz était un petit bonhomme toujours souriant avec un béret sur la tête et son appareil en bandoulière prêt à « rolleyflexear ».

A Biarritz, ou ailleurs, en Colombie ou ailleurs, Gabo (1927-2014) n’a jamais beaucoup aimé la foule ou les journalistes, surtout quand ils tentent de poser des questions, a fortiori quand vous êtes Prix Nobel.

Le Colombien passa cependant un séjour-verso bien à lui, hors festivaliers, hors programme officiel, loin de la foule et des curieux de tout acabit. Être descendu à l’Hôtel du Palais permit l’incognito qu’il souhaitait. En ville, balloté, dans cet établissement hôtelier de grand luxe, il était maître de son temps, de ses allées et venues.

Les festivaliers ne l’ont pas su (probablement) mais c’est à Biarritz, ces jours-là, qu’un jeune photographe argentin, Daniel Mordzinski (1960), venu en train de Paris le 23 septembre, allait rencontrer pour la première fois le Colombien et faire sa connaissance. Mordzinski fit alors ses premières photos de l’écrivain, les premières d’une série qui s’acheva en 2010, chez Gabo, à Cartagena de Indias. Un an après le décès de Gabo, en 2014, Mordzinski publia « Gabo, Siempre » (Random House, 100 photos), un livre d’hommage, avec des textes de l’écrivain colombien, Santiago Gamboa (1965).

Connu pour être « le photographe des écrivains », ibéro-américains s’entend, le photographe travaillait au début des années 90 sur son premier livre « La ciudad de las palabras », (Norma, 135 pages, 61 photos nb) après plusieurs années passées à Paris. Son projet était de réunir des textes de ses amis écrivains latino-américains qui avaient séjourné ou vécu dans la Ville-Lumière. « J’avais beaucoup de photos, il me fallait les textes. Avec du culot, j’ai demandé des textes à Sabato, Mutis, William Ospina, j’arrivais à regrouper un total de plus de 70 textes. Mais je ne pouvais boucler mon livre et le publier sans une photo et un texte de García Márquez… »

Il chercha à le joindre via l’annuaire téléphonique. Rien. Il finit par l’obtenir grâce à un autre grand ami de GGM, l’écrivain colombien Plinio Apuleyo Mendoza, alors ambassadeur à Rome.

Plinio appela Daniel à Paris, lui disant : « Va à Biarritz, donne-moi un n° de téléphone où tu seras joignable. Gabo t’appellera ».

Mordzinski attend à son hôtel, au centre de Biarritz. Les heures passent, il est là pour ça, attendre. Le regard fixé sur le combiné. Et son téléphone finit par sonner, ça ne pouvait être que lui, Gabriel Garcia Marquez.

« C’est Garcia Marquez, Plinio m’a dit de t’appeler car tu veux faire des photos » entend Daniel à l’écouteur. Daniel le salua, et le remercia avec émotion. Pour le mettre à l’aise, Gabo lui demanda : « Je m’habille comment, avec ou sans cravate ? »

Mordzinski avala sa salive, l’émotion, et lui dit : « Ce matin j’ai marché le long de la plage, je regardais la mer et j’ai pensé Caribe et Cartagena de Indias… Sans cravate ». Le rendez-vous fut pris pour le lendemain midi. Au Palais. Mordzinski avait rendez-vous avec Alvaro Mutis deux heures avant. Au Palais.

Ils empruntaient l’escalier de l’Hôtel pour rejoindre directement la plage, lieu choisi pour les photos.

Alors que les festivaliers suivaient en ville, à la lettre, le programme officiel, rentabilisant l’abonnement, se trouvaient donc sur la plage, une plage déserte, en tenue de ville, en chaussures de ville, le plus grand écrivain latino-américain et un des plus grands écrivains latino-américains, deux très grands amis de toujours, dans le collimateur de Mordzinski… Photos réussies en quelques clics.

Photo de Daniel Mordzinski (1995, plage de Biarritz)

Réussies tellement que l’année suivante, une des photos de Gabo à Biarritz se retrouvait, à sa demande, en 4ème de couverture de « Noticia de un secuestro » (Editorial Norma). Pour la première fois une photo de Mordzinki était publiée en quelques centaines de milliers d’exemplaires. Mieux : quelques années plus tard (2007), à l’occasion du 80ème anniversaire de GGM, et des 40 ans de l’œuvre, une édition commémorative de « Cien anos de soledad » de la Real Academia Espanola (Random House, Barcelona, 606 pages), comportait en page 4, une seule photo, une autre photo NB de Mordzinski faite à Biarritz. Premier tirage de cette édition de prestige : un million d’exemplaires. Sa 5ème édition vient d’être publiée, en septembre 2017.

Mordzinski n’était pas venu à Biarritz pour rien.

Le dernier Festival Biarritz Amérique latine, le 26ème, qui s‘est tenu du 25 septembre au 1er octobre 2017, avait choisi à nouveau la Colombie comme Invité d’honneur. Figurait notamment au programme « Un Nobel au cinéma », soit une série de 4 films tirés des œuvres de García Márquez, qui fut, on le sait, homme de cinéma, scénariste et producteur. Il fut également présent dans l’exposition photographique « Le Fleuve de notre vie », de Nereo Lopez, accompagnée de quelques-uns de ses textes.


Bonus : *- Gabriel García Márquez ne fut pas un homme de discours, pourtant tout au long de sa vie, il fut contraint d’en prononcer… un certain nombre. « Je ne suis pas ici pour faire un discours », publié en 2012 chez Grasset est un recueil de 21 textes de GGM écrits dans l’intention d’être lus en public. )

Pour mémoire : 52 photos nb accompagnent « Dernières nouvelles du Sud » du Chilien Luis Sepúlveda (Ed.Métaillé, 2012, 188 pages), un long voyage qui, en 1996, devait les mener, au sud du monde, à travers la Patagonie de San Carlos de Bariloche, puis, à partir du 42ème parallèle sud jusqu’au Cap Horn et retour par la grande île de Chiloé.

Malus : le travail du photographe Daniel Mordzinski mis à la poubelle (d’après Télérama, 20 mars 2013) et jamais retrouvé

http://www.telerama.fr/scenes/le-travail-du-photographe-daniel-mordzinski-mis-a-la-poubelle,94985.php

Pour découvrir le travail de Daniel Mordzinski, de nombreuses photos sont en ligne sur son site : http://www.danielmordzinski.com/

Pour en savoir plus :

http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/03/23/le-monde-et-les-archives-du-photographe-daniel-mordzinski_1853328_3232.html

https://www.humanite.fr/medias/le-monde-jette-l-oeuvre-de-daniel-mordzinski-517866

https://blog.cr2pa.fr/2013/03/l-hebergeur-malgre-lui-ou-les-archives-non-archivees/

En espagnol : de Luis Sepúlveda

http://www.lemondediplomatique.cl/La-estupidez-de-LE-MONDE-destruye.html

(mp)