Cienfuegos et son architecte Iran honorés par les autorités cubaines...

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Le Prix national « Vie et œuvre d’architecture », la plus haute récompense accordée par l’Union Nationale des Architectes et Ingénieurs de la Construction à Cuba (UNAICC), aux professionnels les plus prestigieux de la spécialité, a été octroyé en 2018 à l’architecte Iran Millan Cuétara, directeur du bureau du conservateur de la ville de Cienfuegos. Il lui a été remis à « la Perla del Sur »*(*ainsi est appelée la ville de Cienfuegos NdT) le 13 mars, lors de la cérémonie nationale à l’occasion de la journée de l’architecte cubain.

Le jury qui a attribué le Prix était composé d’experts notables tous titulaires du Prix.
L’architecte Aristides Montero Torres, président de l’UNAICC à Cienfuegos a déclaré que c’est un honneur pour la province d’être siège de l’évènement et spécialement à cette occasion, quand le lauréat est l’un de ses membres les plus éminents, l’architecte Iran Millan Cuétara , étroitement lié à l’organisation et à la société d’architecture qu’il a présidée pendant plusieurs années.

La cérémonie de remise du Prix s’est déroulée dans les Salons du Protocole du Gouvernement Provincial.
Paula Lecomte.

Iran Millan Cuétara, conservateur de la Ville de Cienfuegos, vient de recevoir le Prix national : « Vie et œuvre de l’architecture » 2018 décerné par l’Union Nationale des Architectes et Ingénieurs de la Construction de Cuba (UNAICC).

Sa performance a été méritoire et fructueuse dans le domaine de la restauration du centre historique de la Perle du Sud, déclaré patrimoine de l’humanité par l’UNESCO et a pesé sur la décision finale du jury.
Parmi les principaux travaux réalisés par Iran Millan en tant que concepteur général on peut souligner la restauration de bâtiments de haute valeur patrimoniale, tous de la catégorie de monument national comme : le Musée Provincial de Cienfuegos, le « Mesón de Palatino », la galerie de reproductions de l’Art universel, le Casino espagnol, le théâtre Tomas Terry, le Cimetière de la reine, le château de Jagua . . .

L’attribution de ce Prix arrive peu de temps après l’obtention du « Prix national du patrimoine culturel » pour l’œuvre de sa vie.
[Rappelons aussi qu’il y a quelques jours à peine, Iran Millan a reçu égalemement le prix « Nicolas Guillen » *** (ndt grand poète cubain) de l’UNEAC *** (ndt union nationale des écrivains et artistes cubains) NdT].

A l’occasion de l’attribution de ces Prix de premier ordre, le journal « 5 septembre » a interviewé le prestigieux professionnel, défenseur invétéré de l’ordonnancement et de la préservation du centre historique urbain de Cienfuegos, patrimoine culturel de l’humanité.

L’architecture définit l’une des images visibles de l’humanité, étroitement liée à l’homme et à son action sur l’environnement. La mémoire des siècles s’établit sur la base de cette œuvre.
Dans quelle mesure croyez vous que celle réalisée aujourd’hui à Cuba puisse influencer un bon souvenir du présent national ? Est-il respecté, pris en compte et exploité comme référence par l’architecte dans la situation nationale actuelle ?

« Chaque époque va laisser son empreinte dans la ville ou l’établissement humain. C’est comme un livre ouvert où nous pourrons lire ses réalisations, sa culture, son développement économique et social, ainsi que les relations établies entre chaque groupe social qui l’a générée.

« L’étape qui a suivi le triomphe de la Révolution, a fixé ses objectifs sur la solution des graves problèmes sociaux de la population, y compris le logement et les programmes publics d’avantages sociaux, et le préfabriqué a été utilisé comme une voie rapide à la résolution de grandes demandes.

« Les centres historiques furent exclus des nouvelles œuvres ; on n’envisageait pas là des nouvelles typologies qui pourraient détruire la valeur patrimoniale des ensembles cubains dont nous avions hérités. Bien que ceux-ci ne furent pas restaurés, ils ne subirent pas non plus l’assaut de la nouvelle mode du préfabriqué.
Ceci est une réalisation de la Révolution, unie à toute la législation approuvée pour la préservation du patrimoine et les plans directeurs de chaque entité importante.

« Les programmes économiques actuels générés par le tourisme et d’autres sphères de la société ont apporté avec eux une prolifération de typologies et d’expressions architecturales qui, bien que certaines puissent individuellement transcender, se sont en général exprimées de manière dispersée dans le formel et sans une empreinte qui nous identifie avec une réelle clarté.

L’œuvre individuelle réalisée pour la population, avec ses limitations économiques et matérielles claires, n’a pas permis de dépasser le schéma d’une caricature de villa à bas prix.
Les paradigmes architecturaux qui servent de modèles à la portée de la population et qui peuvent être multipliés, n’ont pas été imposés, il y a donc coexistence dans nos villes entre des architectures de stades différents qui empêchent de transcender l’empreinte identitaire du développement constructif domestique.

Le rôle de guide de l’architecte tout au long du processus de conception et de construction de chaque œuvre a perdu de son importance, car prédominent les décisions économiques, matérielles et managériales, le tout affectant la qualité esthétique et fonctionnelle de l’œuvre projetée. Nous devons restaurer l’autorité technique et légale que possède ce professionnel de haut niveau et son rôle dans la société. Dans le cas contraire nous continuerons à construire mais sans faire de l’architecture, et par conséquent ne pensons pas qu’ainsi nous pourrons être reconnus comme futurs patrimoines culturels du pays ni du monde ».

Conserver, veiller, protéger ont été des signes mais pas les leurs. Pourquoi ?

« Dans ma formation académique j’ai eu le bonheur d’avoir d’excellents professeurs et tuteurs qui m’ont éduqué dans le respect du patrimoine cubain. Cela m’a permis d’intégrer la discipline et de me consacrer à mon travail, avec le soutien du centre national de conservation, restauration et muséologie (Cencrem), du patrimoine culturel et du gouvernement sur le territoire.

J’ai appris à percevoir l’importance de Cienfuegos dans l’héritage cubain, encore que pour mon époque, au début, seules étaient valorisées comme monuments les villas fondées au XVIe siècle ; nous sommes parvenus en premier à déclarer Cienfuegos comme monument national, puis patrimoine mondial en 2005.

La vision (je pense avancée) des valeurs que possédait cette ville, a empêché sa destruction patrimoniale et a généré un mouvement de fierté locale qui fut propice au sauvetage et à la sauvegarde de la mémoire physique de notre ville.

Nous sommes obligés de prendre soin et de développer Cienfuegos, de préserver ses valeurs patrimoniales en les incorporant à la vie contemporaine en encourageant de nouveaux investissements et des œuvres qui nous parlent du XXIe siècle, mais en totale harmonie et respect avec/pour la ville traditionnelle. Tout le nouveau de valeur aura sa place pour qu’il scintille et soit incorporé à l’éclat qui identifie la Perle du Sud ».

Quelle est la raison de votre passion, de votre amour pour Cienfuegos bien que vous ne soyez pas né ici, mais à Mariel ?

« Cela fait maintenant plus de 50 ans que je suis arrivé à Cienfuegos et la ville m’a captivé. J’ai pensé que j’étais arrivé à Paris ou Rome, pour son tracé, sa propreté, son Malecon, le « Paseo del Prado », ses gens cultivés et éduqués. Je me suis identifié à sa vie, je suis tombé amoureux d’une cienfueguera * (ndt * femme de Cienfuegos), qui m’apprit à cultiver l’amour pour cette terre de fierté et de prestige.

« Je me suis enraciné, j’ai un fils qui a suivi mes pas dans l’histoire, une merveilleuse petite fille et une population qui m’a accueilli comme l’un des leurs, des dirigeants qui m’ont permis de concrétiser mes rêves et réalisations en tant que personne, professionnel et révolutionnaire. Ce qui me reste à faire, si j’ai tout, c’est de me donner à Cienfuegos corps et âme, avec passion pour tout ce qu’elle compte de trésors, mais me sentir cubain 24 heures sur 24, et surtout cienfueguero !!!

Qu’aimeriez vous transmettre aux habitants de cette ville ?

« Optimisme, fierté et sentiment d’appartenance ; qu’ils se sentent chaque matin privilégiés de vivre dans un endroit aussi merveilleux, de posséder l’une des plus belles baies du pays et d’intégrer un conglomérat urbain avec une formation à la culture, et une pensée qui fait toujours penser en grand et dans le sens de l’amélioration humaine ».

Quelles sont les plus grandes joies et ombres de votre travail de conservateur ?
Combien dépendent et combien ne dépendent pas de soi pour prendre les décisions nécessaires attachées à sa fonction ?

« À Cienfuegos il existe une volonté politique avérée, engagée depuis de nombreuses années. Nous avons le plein soutien des plus hautes autorités du territoire pour matérialiser nos rêves, nos projets. Le bureau de l’historien de la ville et celui de la commission provinciale des monuments sont des bastions pour le conseil et la projection de la direction du territoire ; une unité a été mise en place qui a fait transcender Cienfuegos et son patrimoine mondial au delà de ses limites économiques.

« Le conservateur et son équipe ont pour objectif, en tant que fonctionnaires, de préserver et de développer la ville patrimoniale où ils déploient leurs actions.

Parvenir à ce que ses habitants voient cette place comme leur grande maison, qu’ils se sentent fiers et engagés pour elle, ce sont là les devises fondamentales pour que le conservateur puisse compter sur eux. Un peuple comme celui de Cienfuegos qui se soucie non seulement de la qualité de son pain mais de plus de la beauté et du sauvetage de son patrimoine, est un peuple avec lequel on peut travailler et obtenir des résultats comme ceux que nous réalisons progressivement dans cette belle ville. »

« Des ombres apparaissent toujours, mais elles ne peuvent pas obscurcir l’éclat de ce que nous faisons pour le bien de cette ville. Nous sommes préoccupés par le manque d’intérêt de certains pour préserver les valeurs citoyennes qui nous caractérisent depuis près de 200 ans. Ils ne se sentent pas propriétaires de la partie de la ville dont ils jouissent et, par conséquent ne la protègent pas et n’en prennent pas soin.

Nous sommes préoccupés par le non systématisme des actions administratives qui sont le support de la fonctionnalité d’une règle. Tout cela uni à la prolifération des indisciplines sociales qui, visiblement, nous apparaissent comme normales. »

Voitures, wifi dans les parcs et autres phénomènes ( parts presque obligatoires de l’époque actuelle) dans quelle mesure pensez vous que cela affecte l’environnement ?

« La ville est par excellence la scène des différentes manifestations et comportements de ses citoyens. Cela dépend de leur éducation, de leur fierté, de leur engagement envers elle, la qualité de son traitement afin de l’enrichir et d’en prendre soin comme la prunelle de ses yeux. Le manque de transport a généré la prolifération de charrettes plus que de voitures. C’est un moyen de transport obsolète des siècles passés, mais aujourd’hui avec une expression vulgaire et provocatrice qui détruit l’environnement urbain en même temps que son hygiène. »

« Il faut réorganiser les itinéraires autorisés pour la continuité (pour le moment) de ce moyen de transport, améliorer son esthétique et le comportement de certains cochers, de manière à ce que eux aussi puissent être à la hauteur de la population cultivée et éduquée que nous sommes en train de consolider. »

« L’utilisation des espaces publics pour l’implantation de la wifi a généré une sur-utilisation de ceux-ci (en raison des points de réception limités dans la ville), avec pour conséquence la détérioration du mobilier urbain : bancs cassés, espaces verts très endommagés et comportement social inadéquat par leurs utilisateurs, ce qui a détruit l’atmosphère de calme, de tranquillité et d’intimité de la population qui souhaite continuer à profiter de ses parcs et promenades. »

« L’incorporation de « boîtes à musique ambulantes » avec des baffles punit la population en lui imposant des hauts décibels et une musique moche que personne n’a demandée. Cela a endommagé les relations sociales qui ont caractérisé Cienfuegos avec une pollution sonore élevée sans précédent.
Même les nuits, pour profiter de la fraîcheur du vent marin sur notre Malecon, c’est devenu une torture et une concurrence illimitée de « ces boîtes à musique » qui sont l’expression ultime du mauvais goût, de l’irrespect pour son prochain et la pleine jouissance de la ville enchanteresse et magique que nous avons le privilège d’habiter. »

Quelles actions fondamentales ont déjà été réalisées dans le cadre du programme du bicentenaire ? Combien en reste-t-il encore ?

« Le travail développé depuis plusieurs années à Cienfuegos fait partie de ce programme conçu, planifié et approuvé par l’assemblée municipale du Pouvoir Populaire. C’est un festival culturel de grande transcendance sociale où tous les acteurs de la société ont été incorporés, en encadrant intentionnellement leurs budgets en fonction des 200 ans de la ville.

Beaucoup de rêves ont été projetés que nous faisons réalité de forme systématique et échelonnée jusqu’en 2019 et que nous allons offrir à la population à des dates significatives comme autant de motifs de réjouissances et de grande joie pour cette belle famille que nous formons tous, y compris les visiteurs nationaux et étrangers.

Pour servir d’exemples concrets de ces réalisations : la placette de la jeunesse, le centre d’interprétation du patrimoine, siège de la maquette du centre historique, l’expo de la foire artisanale sur le boulevard cienfueguero, les nouveaux ateliers de l’école des métiers, et bien d’autres comme la restauration de l’arc de triomphe et les mosaïques du théâtre Tomas Terry, la réparation de multiples écoles, jardins d’enfants, pharmacies, marchés industriels, parcs et autres investissements en cours de finalisation pour la date transcendante.

Beaucoup reste à faire ; mais tout est en bonne voie et sera terminé à temps.
Nous sommes appelés à nous imprégner du dynamisme et de la passion qu’exige cette dernière étape afin de donner une réponse complète à cette population qui réclame et a besoin de nos actions pour, ensemble, avec optimisme, joie et satisfaction du devoir accompli, fêter le 200 ème anniversaire en 2019. »

Iran Millan reçoit la délégation de Cuba Coopération à Cienfuegos

à droite, Victor Fernandez, président de Cuba Coopération

http://www.unaicc.cu/acerca-de-la-unaicc/566-msc-arq-iran-millan-cuetara-premio-nacional-de-arquitectura-2018
http://www.5septiembre.cu/?p=21908