Madame Bovary et Le Rouge et le Noir dans le Top 16 d’Ernest Hemingway

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Un auteur est avant tout un lecteur, et Ernest « Papa » Hemingway (1899-1961) ne déroge pas à la règle : en 1934, le jeune Arnold Samuelson, aspirant écrivain, part du Minnesota pour la Floride afin de rencontrer son idole, l’auteur de L’Adieu aux armes. Ernest Hemingway, après avoir congédié le jeune homme, entreprend une conversation avec lui, avec pour sujet principal l’écriture : il s’improvise professeur, et confie rapidement une liste d’œuvres à lire à Samuelson.

Dans son Top 16, Madame Bovary et Le Rouge et le Noir.

D’autre part la mort de Philip Roth (1933-22 mai 2018) invite tout un chacun à redécouvrir (ou découvrir) son œuvre. Lui-même considérait qu’il y avait suffisamment dans ses ouvrages pour qu’il n’ait pas à répondre à des interviews. Mais quand il liste les ouvrages qui l’ont influencé, c’est autre chose.

Dans son Top 15, Madame Bovary et Hemingway (L’Adieu aux armes) (source : actualitte.com)

Flaubert et Stendhal dans le Top 16 d’Ernest Hemingway

Par Michel Porcheron

Ernest Hemingway, (1899-1961), il a alors 35 ans, accorde un privilège improvisé et sans frais à un inconnu, un jeune homme de 22 ans, Arnold Samuelson (1912-1981) : une conversation sur l’art d’écrire.

Samuelson ne s’était pas été annoncé. Venu en autostop du Minnesota, au nord des Etats Unis, il prit la route vers le Sud, l’extrême sud, destination Key West où il finit par trouver le domicile d’Ernest Hemingway (ce n’est que cinq ans plus tard, en 1939, qu’E.H. s’installa à La Havane).

Arnold avait été impressionné par la lecture, vraisemblablement dans la revue Cosmopolitan d’avril 1934, d’une nouvelle « One Trip Across », signée Ernest Hemingway. Il traversa donc les Etats Unis pour faire sa découverte. Sans aucune garantie de réussite.

Mais Samuelson était particulièrement motivé et la chance fit le reste. Cela (et la suite) pourrait être l’intrigue d’un roman ou d’une nouvelle, c’est une histoire vraie.

Hemingway la publia, à sa façon, dans le n° d’octobre 1935 de Esquire. Samuelson en fit un manuscrit, qui ne fut édité qu’en 1984 chez Random House, USA, après avoir été découvert par ses enfants Eric S. et Diane Darby, trois ans après son décès (« With Hemingway A Year in Key West and Cuba, 172 p., 16 photos NB, non traduit en français).

Lors de l’une de leurs conversations en 1934, Hemingway écrivit pour Arnold Samuelson une liste de « livres nécessaires » qu’un jeune écrivain devrait lire, selon E.H. Au nombre de 16. Le jeune homme bien entendu conserva soigneusement la liste, écrite de la main de son maître et professeur d’un jour... (on la retrouve dans le livre de Samuelson, page 13).

LA LISTE POUR SAMUELSON

- Hôtel bleu de Stephen Crane

- Le Bateau ouvert de Stephen Crane

- Madame Bovary de Gustave Flaubert

- Gens de Dublin de James Joyce

- Le rouge et le noir de Stendhal

- Servitude humaine de Somerset Maugham

- Anna Karénine de Léon Tolstoï

- Guerre et Paix de Léon Tolstoï

- Les Buddenbrook : Le déclin d’une famille de Thomas Mann

- Hail and Farewell de George Moore

- Les Frères Karamazov de Fiodor Dostoïevski

- The Oxford Book of English Verse

- L’Énorme Chambrée de E.E. Cummings

- Les Hauts de Hurlevent d’Emily Brontë

- Far Away and Long Ago de W.H. Hudson

- L’Américain de Henry James

LE MANUSCRIT D’HEMINGWAY

LIRE : en anglais

http://www.openculture.com/2018/04/ernest-hemingway-creates-a-reading-list-for-a-young-writer-1934.html

Dans le n° de février 1935 d’Esquire, Hemingway avait déjà donné une première liste :

En février 1935, Ernest Hemingway parle littérature au magazine américain Esquire. Dans cet article intitulé Remembering Shooting-Flying : A Key West Letter, l’auteur livre une liste de 17 chefs- d’œuvres qu’il préfèrerait « relire pour la première fois (…) que d’avoir un revenu fixe d’un million de dollars par an. »

Voici la fameuse liste de ces livres – où se côtoient beaucoup de Russes, et quelques Français - qui pour Hemingway, valaient plus que des millions :

https://www.vanityfair.fr/culture/voir-lire/articles/les-17-meilleurs-livres-du-monde-selon-ernest-hemingway/23403

POUR ALLER PLUS LOIN :

https://www.buzzfeed.com/aaronc13/16-livres-indispensables-selon-hemingway?utm_term=.vfjY9x1wW#.joPDkZdna

https://www.buzzfeed.com/aaronc13/16-livres-indispensables-selon-hemingway?utm_term=.asknoMrdw#.iaE46DMvj

Dans le texte d’Esquire d’octobre 1935, celui lié à ses conversations avec Samuelson, la liste Hemingway grossit quelque peu. On y lit un choix d’une trentaine de « livres nécessaires ».

Voir plus bas, en PDF, le texte en français d’E.H. de Esquire, « Monologue pour le Maestro » (ce texte figure dans « En ligne » Folio-Gallimard, 1970, 714 p. On y trouve un choix d’articles et de dépêches de 1920 à 1956).

Comme ce texte est une lettre, Hemingway devient : Votre Correspondant (V.C.) et par ailleurs pour Hemingway, Arnold Samuelson (dont le nom n’est pas cité) est Mice (1).

Mice : Quels livres un écrivain devrait-il lire ?

V. C. : Il devrait avoir tout lu, ainsi il saurait ce qu’il a à surpasser.

Mice : Il ne peut pas avoir tout lu.

V. C. : Je ne dis pas qu’il peut. Je dis qu’il devrait. Évidemment il ne peut pas.

Mice : Eh bien, quels sont les livres nécessaires ?

1. Pluriel de « mouse » (souris). « Mice » se prononce comme la première syllabe de « maestro » en anglais. Hemingway avait appelé Samuelson « le Maestro » parce qu’il jouait du violon. « Ce nom finit par être abrégé en celui de Mice ».

LA LISTE DANS ESQUIRE

Mais la liste de E. H. n’a rien de définitif. Loin de là. Dans son texte d’Esquire, Hemingway dit aussi à Mice : - Je te donnerais la suite un autre jour. Il y en a environ trois fois autant. (sic)

Cela pour la petite histoire ( ?), en effet dans d’autres textes postérieurs, Hemingway propose d’autres listes, comme celle surtout choisie pour George Plimpton (Première publication dans Paris Review, printemps 1958).

- Plimpton : Quels sont vos maîtres en littérature ? Ceux dont vous avez le plus appris ?

Dans sa réponse, Hemingway cite ses écrivains habituels et quelques autres, mais aussi Bach, Mozart et plusieurs peintres comme Jérôme Bosch, Breughel, Goya, Cézanne, Gauguin…

Plus loin Plimpton revient à la liste et à la peinture. « Jérôme Bosch, par exemple ? Son univers cauchemardesque paraît fort éloigné de vos préoccupations ?

Hemingway : Je sais ce que sont les cauchemars, croyez-moi. Les miens et ceux des autres. Il ne s’agit pas de les jeter sur le papier, tels quels. Encore une fois, tout ce qui fait partie de son expérience figure sous une forme ou sous une autre dans le travail de l’écrivain. A contrario, lorsqu’un écrivain néglige ce qu’il ne connaît pas, ces lacunes laissent dans son œuvre des étendues d’ombre et de silence.

Plimpton : Voulez-vous dire que ces écrivains, ces compositeurs, ces peintres qui vous sont proches aident à remplir les « blancs » ou s’agit-il plus simplement d’un apprentissage des techniques d’écriture ?

Hemingway : Dans une certaine mesure, ils m’ont enseigné à voir, à entendre, à penser aussi, à faire un bon usage des sensations. On pourrait comparer la sensibilité d’un écrivain à un puits. Personne ne sait exactement ce qu’il contient et surtout pas lui-même. Il est comme une énorme réserve de fantasmes, il faut savoir attendre que les ingrédients de l’œuvre à venir remontent à la surface.

LA LISTE POUR PLIMPTON


LA LISTE DE PHILIP ROTH

HEMINGWAY et MADAME BOVARY DANS SON TOP 15

Philip Roth lista dans le magazine Forward les quinze livres qu’il considérait «  comme les plus significatifs de ma vie ». Mais surtout, il indique à quel âge il a pu les découvrir, et l’on remarque comment cette gradation dans les découvertes a pu faire évoluer ses propres écrits. Il lit « L’adieu aux armes » pour la première fois à 23 ans et « Mme Bovary » à 25 ans. Voir la liste : https://www.actualitte.com/article/monde-edition/15-livres-dont-philip-roth-disait-qu-ils-avaient-marque-sa-vie/88987

(mp)

Monologue pour le maestro

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