Hommage à Berta

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Berta Martinez, actrice et directrice artistique cubaine, s’en est allée. Mais l’empreinte personnelle de son œuvre demeure et contribue à façonner l’histoire du mouvement théâtral cubain.

Berta Martinez, actrice et directrice artistique.
Photo : La Jiribilla

 


 De façon récurrente, ces dernières années Berta Martinez évoquait l’époque du Prado 111 quand, au siècle dernier dans les années 50, la troupe de théâtre Prometeo, sous la direction de Francisco Morin, donnait régulièrement des représentations à un petit groupe de très fidèles spectateurs. On raconte, qu’une fois, avant le début du spectacle, un acteur a voulu s’adresser au « cher public ». « Le public c’est moi » répondit une voix solitaire venue de la pénombre.

La salle était petite, peu aménagée et soumise aux conditions de la température ambiante. Elle disposait aussi d’un décor sommaire. Se limitant à un répertoire contemporain, ils n’avaient pas besoin d’investir en costumes d’époque. Ils n’avaient pas le soutien de la presse accréditée dans les médias de plus large diffusion. Avec cette obstination de fondateurs ils répétaient avec rigueur, continuaient à innover mois après mois. Ils travaillaient en vue de façonner un art, de définir une façon de faire et de conquérir, patiemment et méthodiquement un public potentiel. En dehors des tentations commerciales, ils croyaient en l’avenir.

A contre –courant, dans le silence et l’apparente solitude, Prometeo a pu réunir une troupe remarquable d’acteurs. C’était une période d’attente et de préparation. Ils ne cherchaient pas un moyen de subsistance dans le théâtre, mais un sens de l’existence tourné vers la nécessité d’établir des passerelles avec un public en formation, cet interlocuteur nécessaire. Avec le triomphe de la Révolution il a été possible à nouveau de développer l’expérience acquise. Le soutien gouvernemental a ouvert un espace pour la professionnalisation du mouvement théâtral cubain.

Après la disparition de Prometeo, Berta Martinez a intégré le théâtre Estudio, fondé en 1958, cela fait maintenant soixante ans, qui a aussi vu le jour dans les années d’attente et de préparation sous la direction de Raquel et Vicente Revuelta. Berta Martinez a pu développer son travail d’actrice dans ce cadre. Elle a fait beaucoup plus. Elle s’est impliquée dans la mise en scène. Avec la présence d’acteurs de premier ordre, tels que Abelardo Estorino, Raquel y Vicente Revuelta, au théâtre Estudio coexistaient différentes conceptions concernant la façon d’instaurer un dialogue constructif avec le public. Tous s’accordaient sur le fait que le plaisir de l’œuvre devait libérer la conscience du spectateur tant sur le plan intellectuel que sur celui de la sensibilité. Pour donner du sang neuf aux classiques de la littérature dramatique, il fallait redécouvrir par l’étude et la recherche les interrogations du moment derrière les écrits. Il était nécessaire d’analyser textes et contextes, de transmettre cet apprentissage aux acteurs et de chercher des moyens de communication efficaces. Berta Martinez a compris la nécessité d’associer geste, parole et musique à un visuel percutant.

Je me souviens encore de son interprétation de Noces de Sang, de Federico García Lorca, dans les années 80 du siècle dernier. La signature du contrat matrimonial conçu comme un mariage d’intérêt prenait toute son ampleur au centre de la scène. Construite sur une composition inhabituelle, la séquence des actions soulignait l’imminent déclanchement de la tragédie. Il y a de nombreuses années, la lecture des Misérables de Victor Hugo m’a révélé l’inquiétante existence d’une réalité cachée dans les profondeurs de la ville. L’art authentique représente un aspect spécifique à la connaissance des zones les plus enfouies de la réalité.

Au milieu de la solitude, du désarroi et de l’adversité, une génération d’artistes cubains a consacré des nuits blanches à l’édification progressive des bases de leur art, à l’étude et à l’expérimentation.

Par leur œuvre ils aspiraient à contribuer à l’éveil spirituel de la société qui les avait vus naître. Ils avaient foi en l’amélioration de l’être humain, en la possibilité de transformer, au plus profond le monde qui les entourait. C’est ainsi qu’est né notre Ballet National et que l’on a exploré les voies de la danse contemporaine. A cette époque-là ils ne percevaient pas la portée de la tâche fondatrice qui allait se cristalliser avec le triomphe de la Révolution de janvier. Sous ces auspices, leur œuvre a trouvé, dans le public naissant l’interlocuteur tant recherché.

Intégrée à cette génération fondatrice, Berta Martinez s’en est allée. Mais l’empreinte personnelle de son œuvre demeure et contribue à façonner l’histoire du mouvement théâtral cubain.


 http://www.cubadebate.cu/opinion/2018/11/04/homenaje-a-berta/#.W-QvfZNKiM8