Une longue bataille pour la souveraineté

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Dans cet article Graziella Pogolotti reprend les propos (terribles !) tenus par le sieur Léonard Wood quelque temps après les jours funestes qui suivirent la fin de la guerre hispano-cubaine (1898).

120 ans après, ces propos qui témoignent de la volonté des Etats-Unis d’annexer Cuba sont toujours d’actualité. Ils pourraient être tenus aussi par le président actuel de ce pays, Donald Trump, comme le montrent ses propositions faites devant l’assemblée générale de l’ONU qui vient de se tenir fin septembre, propositions repoussées à l’unanimité par tous les autres pays membres, moins 1, Israël !
Paula Lecomte.

 
Cette illustration dans la presse de l’époque évoque l’humiliation que signifiait pour les cubains l’Amendement Platt. Photo : Archives.


"Il est évident que l’amendement Platt a laissé peu ou aucune indépendance à Cuba...

Et le but maintenant est de chercher l’annexion ...

Cuba ne peut faire aucun traité sans notre consentement, ni emprunter au-delà de certaines limites...Pour cela il est évident que tout est absolument entre nos mains...

Avec le contrôle que nous exerçons sur Cuba, qui bientôt se convertira en possession, nous contrôlerons le commerce mondial du sucre. Je crois que c’est une acquisition très souhaitable pour les États Unis. L’île s’américanisera graduellement et en un temps raisonnable nous posséderons une des îles les plus riches du monde."

L’auteur de ce texte est Léonard Wood, intervenant gouvernemental de Cuba. Il a été écrit après les jours funestes qui suivirent la fin de la guerre hispano-cubaine. Il révèle le procédé d’annexion de l’île en accord avec la doctrine du Destin Manifeste. Il souligne la dépendance économique et politique et indique les voies à suivre pour changer les mentalités.

La citation est extraite d’un article d’Antonio Nuñez Jimenez, publié au début des années 60 du siècle passé et repris dans le dernier numéro de la Gaceta de Cuba.

Sa lecture est particulièrement opportune dans le contexte de la commémoration du début de nos guerres pour l’indépendance et de la dernière bataille livrée aux Nations Unies pour que cesse le blocus, expression contemporaine de la traditionnelle proposition d’appropriation de Cuba du voisin du nord.

En effet peu de pays comme le nôtre ont dû lutter aussi longtemps pour conquérir leur pleine souveraineté.

L’invasion de l’Orient par l’Occident accomplie, la victoire était à portée de main après la chute d’Antonio Maceo. Aux morts au combat, aux champs dévastés s’ajouteront les conséquences de la brutale Reconcentration décrétée par Valeriano Weyler. Pour briser la volonté des Cubains, les paysans seront conduits dans les villes et abandonnés à leur sort, privés de logement, de nourriture et d’hygiène. Le coût démographique a été atroce. Néanmoins au moment de signer le traité de paix, les représentants de l’île ne pourront pas s’asseoir à la table des négociations.

L’amendement Platt a été aboli en 1934 comme concession au rejet interne soutenu et accentué au cours de la Révolution des années 30. Il répondait aussi à l’application de la politique dite du Bon Voisin formulée aux États Unis. Dans la pratique, le Traité de réciprocité Commerciale établit des relations exclusives avec un seul pays pour une économie basée sur la monoculture du sucre. La vie des Cubains était assujettie aux quotas octroyés pour la consommation de l’Amérique du nord et aux variations des prix. Aux brèves périodes de vaches grasses succédaient les périodes de vaches maigres, les récurrentes crises de chômage.

Malgré la domination économique, le projet d’annexion proposé par Léonard Wood n’a pas eu les répercutions prévues sur les mentalités. Le modèle nord américain affichait une image de modernité inscrite dans le développement technologique. Le commerce des dix cents offrait des marchandises bon marché jetables et beaucoup de boutiques commenceront à s’appeler ’grocery’. Mais le hot dog n’a pas remplacé le pain avec la pâte de goyave partagé par les écoliers et les travailleurs du port.

L’ingérence dans les affaires intérieures du pays a été contreproductif et a blessé la dignité cubaine. Le sentiment de frustration généré par l’imposition de l’amendement Platt, le sang versé ont consolidé les valeurs nationales. Les maîtres maintiendront vivante la mémoire des héros. L’affrontement avec les dictatures soutenues par l’empire a contribué à la radicalisation dans le camp des idées.

La notion d’indépendance s’est associée progressivement à un projet de justice sociale, en continuité avec le projet martien. Cette synthèse historique a nourri la plateforme programmatique de « L’histoire m’absoudra ». La revendication de souveraineté nationale s’est alors inscrite dans la volonté de décolonisation plus large, de dimension latino-américaine et tiers-mondiste. La voix de Cuba a porté au-delà de l’île.

Dans un monde dominé par la violence, par le retour de la xénophobie par l’agressivité d’une droite aux relents de fascisme et par le pillage suicidaire des ressources naturelles, la défense des valeurs essentielles de notre projet historique, solidaire et éthique est un impératif.


http://www.granma.cu/opinion/2018-11-11/un-largo-batallar-por-la-soberania-11-11-2018-19-11-37