Réforme constitutionnelle. L’autonomie et ses enjeux

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La consultation populaire sur le Projet de nouvelle Constitution a débuté le 13 août dernier et s’est terminée le 15 novembre. Elle a mobilisé plus de 7 millions de citoyens.
Le nouveau texte de Constitution sera approuvé par référendum en février 2019.
Parmi les articles proposés, le Projet souhaite placer les municipalités à des échelons supérieurs,
"en inscrivant l’autonomie municipale comme un principe qui doit guider leur organisation et leur fonctionnement",
"une autonomie essentielle pour l’exercice municipal" qui, entre autres nouveaux aspects,
"offre un cadre adéquat pour stimuler les procédures de consultation de la population locale en vue d’identifier les priorités et de rechercher des solutions participatives",
comme le souligne Lissette Pérez Hernández dans son entretien avec le journal Granma.
P.L.

L’autonomie municipale constitue un moyen approprié pour que le territoire, de façon stratégique, puisse mettre en œuvre les politiques nationales qui lui incombent – Photo : Juvenal Balán.

Article paru dans Granma le 21/11/18. Auteur : Yudy Castro Morales.

« Le cadre structurel et fonctionnel de l’État cubain à tous les niveaux, comme expression ultime de l’institutionnalisation, est le Pouvoir populaire en tant que configuration locale d’organisation politique. La municipalité étant partie intégrante de celle-ci, de par la nature même de son projet, elle se distingue par sa vocation démocratique.

Le fait que les municipalités se situent au niveau inférieur du point de vue territorial et fonctionnel les rend plus proches des électeurs et les transforme en pouvoir d’État primaire, lequel a besoin pour son élaboration (contrôle et transformation) d’un citoyen actif. »

C’est ainsi que la Docteure Lissette Pérez Hernández, professeure titulaire de la Faculté de droit de l’Université de La Havane, a engagé le débat avec Granma en parlant de la transformation et du rôle majeur des municipalités dans la structure économique, politique et sociale du pays.

Parmi les aspects novateurs introduits dans le Projet de Constitution, l’accent est mis sur la reconnaissance explicite du principe d’autonomie municipale. Quelle en est l’envergure en fonction de ce que contenait déjà la Constitution en vigueur ?

La Constitution en vigueur, à partir de la réforme de 1992, assigne aux municipalités une personnalité juridique et leur donne mandat pour satisfaire les besoins élémentaires de la commune. Cependant, de multiples facteurs, parmi lesquels ceux qui découlent des avatars de l’époque elle-même, n’ont pas permis que de telles entités d’État se déploient ainsi qu’elles pouvaient et devaient le faire.

« Aujourd’hui, le Projet de Constitution place les municipalités à des échelons supérieurs, en inscrivant l’autonomie municipale comme un principe qui doit guider leur organisation et leur fonctionnement. Assurément, cette reconnaissance s’avère transcendante : l’autonomie est essentielle pour l’exercice municipal.

Et cela suppose quelques points fondamentaux : que les municipalités puissent s’organiser par elles-mêmes ; qu’elles aient la capacité d’agir à l’intérieur de leur domaine de compétences, dans le respect de la Constitution et des lois ; qu’elles possèdent la personnalité juridique, ce qui suppose en retour de bénéficier de la capacité d’être des sujets de droits et de devoirs et d’assumer la responsabilité de leurs propres décisions, actions ou inactions ; qu’elles disposent de moyens pour mettre en œuvre leurs attributions et remplir leurs objectifs ; et qu’elles puissent passer des accords et prendre des décisions dans le cadre de la commune, avec une portée et des effets contraignants.

À cet effet, la reconnaissance de l’autonomie municipale implique l’existence d’actions décentralisées préalables qui renforceront l’autorité municipale, permettant une gestion individualisée de chaque municipalité à partir de ses priorités et particularités, afin de résoudre ses propres problèmes et satisfaire les besoins locaux.

Il résulte de ce qui vient d’être dit que l’autonomie doit améliorer la gestion, identifier et exiger la responsabilité face aux manquements et, ainsi, contribuer à élever la crédibilité du Pouvoir populaire.

Par ailleurs, l’autonomie concourt à un élément municipal fondamental car, en vertu de la véritable autorité qu’elle exprime, elle offre un cadre adéquat pour stimuler les procédures de consultation de la population locale en vue d’identifier les priorités et de rechercher des solutions participatives. C’est ainsi qu’elle constituera un principe qui renforce également la démocratie municipale.

La proposition d’autonomie municipale, contenue dans le Projet constitutionnel, tient compte du fait que les municipalités doivent trouver dans leurs fonds propres une source importante de recettes budgétaires, en plus des ressources financières centralisées déjà existantes, leur permettant de prendre les décisions pertinentes en ce qui concerne les dépenses nécessaires pour résoudre telle problématique ou pour investir dans le développement local. »

En résumé, où réside ce qui est véritablement novateur et quel pouvoir cela donne-t-il ?

Dans le Projet constitutionnel, sont mis en évidence comme attributions innovantes dans le cadre de l’autonomie municipale l’autorisation et le contrôle par l’Assemblée municipale du Pouvoir populaire, pour ce qui lui incombe, du programme économique, du budget et du plan de développement global de la municipalité, ainsi que du plan d’aménagement urbain et territorial, de la conclusion d’accords et de la mise en place de dispositions, dans le respect de ses compétences, dans des domaines présentant un intérêt pour la commune, tout cela conjugué au contrôle de leur exécution.

« De même, pour ce qui la concerne et conformément aux règles établies par le Conseil des ministres ou le Gouvernement provincial, il lui incombe de contrôler l’organisation, le fonctionnement et les missions des organismes chargés de procéder aux interventions économiques, de production et de services, de santé, de service à la personne, de mesures de prévention et de protection sociale, des domaines des sciences, de l’éducation, de la culture, des loisirs, des sports et de la préservation de l’environnement dans la commune.

Bien que ce ne soit pas reconnu expressément, on pourrait également déduire de l’interprétation du texte du Projet que les Assemblées municipales pourront concevoir et approuver des politiques publiques locales, en accord avec les lignes directrices générales du Gouvernement, et dicter les arrêtés municipaux correspondant au cadre décisionnel qui les autorise.

C’est pourquoi je voudrais dire, en résumé, que l’autonomie municipale représente la voie adéquate pour que le territoire, de manière stratégique, puisse mettre en œuvre les politiques nationales qui lui incombent, telles l’élaboration et l’évaluation des politiques publiques locales qui, parmi d’autres aspects tout aussi pertinents, permettent aux citoyens de revaloriser de façon positive le fonctionnement municipal et les institutions publiques, dès ce niveau. »

Cette reconnaissance, comme toutes les transformations engagées qui font intervenir la municipalité, doivent nous conduire à une gestion territoriale plus efficace. À cet effet, quelle municipalité voulons-nous, vers quelle municipalité devons-nous tendre dans tous les domaines ?

À elle seule, la reconnaissance de l’autonomie ne garantit pas une meilleure efficacité de la gestion du territoire même si elle offre le cadre juridique et les bases adéquates pour que cela se passe ainsi.

« Mais le caractère effectif des mesures municipales dépendra, en outre, de multiples autres facteurs, parmi lesquels on peut souligner les suivants.

a) En gardant à l’esprit le contenu et l’ampleur de l’autonomie, il sera juridiquement essentiel d’édicter une Loi des municipalités, laquelle permettrait de regrouper les textes de lois dispersés sur ce thème, de légaliser des pratiques nécessaires au bon fonctionnement des municipalités et d’introduire des modifications en vue d’une amélioration municipale dans le but de réguler, de façon cohérente et en un seul agencement au niveau supérieur, les principes qui doivent régir l’action municipale, les compétences et la structure municipale, les attributions de chaque instance et, particulièrement, les divers types de relations qui existent entre les différentes instances.

b) En ce qui concerne les questions relatives à la formation, il faudra renforcer les moyens car les autorités municipales seront confrontées à de nouveaux défis et devront agir de façon différente.

c) On devra garantir le rôle actif du citoyen par des voies participatives, essence même de la conception du Pouvoir populaire, en particulier pour ce qui concerne le contrôle.

Relever ces défis nous rapprocherait des municipalités que nous souhaitons (et dont nous avons besoin), c’est-à-dire des municipalités qui agissent en tenant compte du caractère autochtone et démocratique exprimé par la conception formelle et juridique de Cuba.

Pour qu’elles soient des municipalités décentralisées, qui agissent de façon institutionnelle et responsable, en fonction des intérêts, des besoins et des choix concertés préalablement avec les habitants, pour qu’elles se construisent dans des espaces démocratiques optimaux pour une appropriation citoyenne. Et en fonction de tout cela, qu’elles s’organisent et fonctionnent comme des réseaux naturels en quête de leur propre développement, ainsi que du développement intégral et harmonieux du pays. »

En tenant compte des défis déjà mentionnés, quels autres obstacles y aura-t-il à surmonter pour aboutir aux municipalités dont nous avons besoin ?

« Tout d’abord, il faut que les autorités municipales comprennent le rôle dynamique et prépondérant que leur concède le Projet constitutionnel et qu’elles se préparent à assumer de nouvelles compétences, à agir de façon décisionnelle plus indépendante, à modifier les méthodes et les modes de travail, à offrir des espaces ouverts à l’innovation et à la créativité, tout comme à obtenir une prise de conscience quant à la responsabilité qu’elles assument et dont elles devront répondre.

Deuxièmement, qu’elles mettent à profit les voies participatives déjà existantes ainsi que les nouvelles introduites par le Projet constitutionnel pour resserrer les liens entre les autorités et les citoyens.

Et, enfin, il faudra améliorer l’éducation civique citoyenne par tous les moyens possibles.

Le projet du Pouvoir populaire cubain, au niveau municipal, exige, de façon démocratique, la consolidation du cadre institutionnel et des instances qui connaissent ce qu’elles doivent faire et qui aient une gestion efficace, ainsi que des citoyens autonomes qui sachent contrôler, exiger la mise en œuvre de ce qui a été décidé et accompagner les processus de prise de décision et de fonctionnement, par une participation active et déterminée. »