A Cuba, le football grignote le royaume du baseball

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Un article de Havana Live dans sa publication du 22 novembre 2018 en français.



LA HAVANE, 22 nov. (AFP) Il a envahi le terrain par la télévision, s’est peu à peu répandu dans les rues de l’île et fait désormais vibrer enfants et adolescents : à Cuba, le football ébranle 150 ans de règne du baseball.

“Le football, ici, n’avait aucune importance et maintenant (…) il dépasse le sport national” en popularité, témoigne, le coeur brisé, Humberto Nicolas Reyes, 69 ans dont 40 passés à enseigner la “pelota”, comme on appelle à Cuba le baseball.

Sa fierté est d’avoir vu certains des enfants à qui il a appris le “strike” et le “home run”, comme Yonder Alonso et Alex Sanchez, rejoindre la prestigieuse Ligue nord-américaine de baseball (MLB).

Mais il se désespère de voir chaque jour plus de Cubains se détourner de ce sport, dont le premier match officiel sur l’île a été joué en 1874 : “Presque tout le monde est parti vers le football…”

Selon des chiffres officiels, les clubs de football comptent 25 000 inscrits, contre 46 000 pour le baseball.

Ce déclin n’est pas nouveau, mais paradoxalement, il s’accentue alors même que le baseball s’apprête à faire son grand retour aux jeux Olympiques de Tokyo en 2020, après 12 ans d’absence.

Cuba peut se vanter d’avoir décroché trois titres olympiques et 25 trophées mondiaux dans ce sport. Pourtant, dans ses rues, c’est le ballon rond qui règne en maître.

Il n’est plus rare de croiser des fans vêtus du maillot du FC Barcelone ou du Real Madrid en pleins débats passionnés. D’autres se lèvent à l’aube pour regarder à la télévision jouer leurs nouvelles idoles Messi, Ronaldo ou Neymar. Après l’école, les jeunes Cubains se font des passes dans les rues poussiéreuses de La Havane.

“On joue partout”, raconte Alejandro Izquierdo, étudiant en sport de 19 ans, qui rêve de voir Cuba se qualifier pour un autre Mondial de football, après son unique participation, en France en 1938, due à la défection de tous les rivaux de son groupe.

“Ils tuent la pelota”

Derrière cette ferveur cubaine pour le football, deux ingrédients : la mondialisation et le soutien de la télévision d’État.

Photo :AFP /LAGE

Certains jours, “il y a huit équipes de baseball qui jouent à 14h et pas un seul match n’est retransmis, la télévision diffuse le match de football de Barcelone”, se plaint Eduardo Medina, fan de 65 ans venu au Stade latino-américain, le principal de l’île, assister à une rencontre du championnat cubain.

“Qu’est-ce que cela veut dire ? Qu’ils tuent peu à peu la pelota”.

C’est lors du Mondial de 1982, en Espagne, que la télévision cubaine a commencé à diffuser les matches du plus grand rendez-vous du football, en différé, puis en direct à partir de 1994.

Dans les années 1990, elle s’est mise à retransmettre les rencontres des principaux championnats d’Europe et de la Ligue des Champions.

Côté baseball, les matches de la MLB sont apparus sur le petit écran en 2013, mais uniquement ceux ne comptant aucun joueur cubain considéré comme déserteur, alors que Cuba reste soumis à l’embargo économique des États-Unis. En 2017, elle a diffusé en différé les World Series, la finale de la MLB, sans renouveler l’expérience cette année.

“Ce genre de choses, ça a dégarnit les rangs des supporteurs du baseball à Cuba”, assure Pablo Diaz, 32 ans, un fanatique de la “pelota”.

À cela s’ajoute une baisse de niveau de jeu : affecté par les désertions de plusieurs de ses stars, le baseball cubain n’a pas gagné de compétition importante depuis la Coupe intercontinentale de 2006.

Un gant, 30 dollars

Quand il s’agit de jouer dans la rue, le ballon rond gagne haut la main, aussi pour une raison purement économique : car s’équiper pour la “pelota” fait vite grimper la facture.

Photo :AFP /LAGE

Sur l’île, un gant de baseball peut coûter 30 dollars, l’équivalent du salaire mensuel moyen, alors qu’un vieux ballon suffit pour jouer au foot.

Le sélectionneur de l’équipe nationale de football, Raul Mederos, s’en réjouit : “Aujourd’hui les enfants, les jeunes, sont plus attirés par le foot que par le baseball”.

Mais ce dernier “est le sport national et ça, personne ne le changera”, affirme-t-il à l’AFP.

Pour lui, il faut apprendre à faire cohabiter les deux sports, comme le font déjà le Venezuela, la Colombie et le Panama, tout en tirant le “maximum” de “ces jeunes qui naissent et grandissent en regardant le football”, afin de faire progresser Cuba sur ce terrain.

Car le football cubain a lui aussi souffert des désertions. Il a vécu son meilleur moment avec le sélectionneur péruvien Miguel Company (2000-2004), qui avait mené l’équipe au second tour de la Gold Cup (tournoi de la zone Concacaf – Amériques du Nord et centrale, et Caraïbes). À deux reprises, la sélection a fait match nul contre le Costa Rica aux éliminatoires pour le Mondial.

Cette fois, elle cherche à décrocher son ticket pour la Gold Cup de 2019 aux États-Unis. Pour cela, l’Institut cubain des sports a autorisé la sélection de joueurs ayant émigré ou étant né à l’étranger et qui souhaitent revêtir le maillot rouge de leur pays.

Le baseball cubain, lui, ne veut pas rester les bras croisés. Cette saison, il a modifié son championnat pour le rendre plus compétitif et commencé à rénover les stades du pays, tout en rêvant de qualification pour Tokyo-2020.

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