Des produits chimiques pourraient être la cause du syndrome de La Havane

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Un article de Luc Chartand et Martin Movilla pour le site RADIO CANADA.

Il semble que ce soit l’épilogue d’un des meilleurs romans d’espionnage pondu par ls autorités des Etat=Unis.Ces dernières tenaient le gouvernement cubain pour responsables des troubles subis par leurs diplomates en poste à La Havane.
Les cubains étant accusés de harcèlement acoustique visant leur ambassade, sans aucune preuve ...mais pas sans conséquences, puisque Trump en a profité pour prendre des mesures de rétorsion contre Cuba...
RG

Un militaire cubain porte un masque lors d’une opération de fumigation.

Le mal mystérieux qui a frappé une quarantaine de Canadiens et d’Américains – des diplomates en poste à Cuba et des membres de leurs familles – n’aurait rien à voir avec des « attaques acoustiques ». 

Une nouvelle étude, obtenue en exclusivité par Enquête, pourrait balayer toutes les théories émises à ce jour pour expliquer ce phénomène. Des agents neurotoxiques utilisés en fumigation pour éradiquer les moustiques pourraient en être la cause.

Dans la foulée des problèmes de santé subis au cours des trois dernières années par des diplomates, une étude clinique consacrée aux victimes canadiennes a été confiée par le ministère des Affaires mondiales du Canada au Centre de traitement des lésions cérébrales de l’Université de Dalhousie, en Nouvelle-Écosse.

Une équipe multidisciplinaire composée de 26 chercheurs et dirigée par le neurologue Alon Friedman a été mise à contribution.

Il s’agit de l’investigation scientifique la plus poussée menée à ce jour sur des individus frappés par ce que l’on désigne désormais comme le « syndrome de La Havane ».

Maux de tête, perte auditive, problèmes cognitifs, pertes d’équilibre... les chercheurs de Dalhousie ont procédé à l’évaluation poussée de ces symptômes et se sont livrés à des examens d’imagerie du cerveau.

[Les données compilées] soutiennent un diagnostic de lésion cérébrale acquise chez les diplomates canadiens et leurs familles en poste à Cuba.

L’étude confirme que le mal qui a frappé 15 Canadiens n’est pas imaginaire.

Analyse du cerveau d’un diplomate canadien

Photo : Centre de traitement des lésions cérébrales de l’Université de Dalhousie

Fumigation excessive

Le rapport oppose une nouvelle théorie à toutes celles avancées à ce jour pour expliquer ce « syndrome ». Il s’agirait d’une contamination par un agent neurotoxique.

« Le processus clinique, écrivent les chercheurs, le mode des lésions, les régions du cerveau touchées [...] ainsi que le contexte d’une exposition commune ont soulevé l’hypothèse d’une exposition à faible dose à des neurotoxines. »

Ces résultats, ajoutent-ils, « suggèrent fortement » une intoxication à des organophosphates, des molécules qui se retrouvent dans des produits de fumigation.

Cuba, comme nombre de pays tropicaux, effectue depuis longtemps, et de façon routinière, des fumigations dans le but d’éliminer les insectes porteurs de maladies infectieuses.

En entrevue à Radio-Canada, le chef de l’étude de l’Université Dalhousie, Alon Friedman, fait un lien direct avec le mystérieux mal dont ont souffert les diplomates canadiens.

« En 2016 et en 2017, lorsque les symptômes ont commencé, le gouvernement a lancé une vaste campagne de fumigation contre le virus Zika sur toute l’île, et en particulier à La Havane et dans les zones urbaines », dit-il.

L’armée cubaine a été mise à contribution, des camions patrouillant les rues périodiquement en pulvérisant de grandes quantités d’agents insecticides.

Un militaire cubain porte un masque lors de la fumigation.

Un militaire cubain lors d’une opération de fumigation, à La Havane, pour lutter contre le Zika, un virus transmis par les piqûres de moustique, en 2016.

Photo : Getty Images / Yamil Lage

Qui plus est, des ambassades y sont allées de leurs propres opérations de fumigation dans les résidences et les bureaux diplomatiques.

L’ambassade du Canada a accentué ses fumigations, parfois cinq fois plus qu’habituellement, en vue de protéger ses diplomates.

Ces opérations étaient souvent menées toutes les deux semaines, ont affirmé des diplomates canadiens à Enquête.

« Ces deux sources combinées ont certainement exposé les diplomates de manière excessive », conclut le Dr Friedman.

Affaires mondiales Canada a refusé de répondre aux questions de Radio-Canada à ce propos. 

Les diplomates testés à l’Université de Dalhousie présentaient notamment des traces de ces contaminants dans leur sang, et ce, des mois après leur exposition.

Il existe une corrélation entre les individus les plus touchés par les symptômes et le nombre de fumigations qui ont été effectuées à leur résidence.

Vous pouvez consulter l’étude du Centre de traitement des lésions cérébrales de l’Université de Dalhousie ici (en anglais)

La piste de l’arme acoustique mise à mal

Depuis la révélation publique de ces affections mystérieuses, à l’été 2017, l’hypothèse d’attaques commises à l’aide d’une arme non identifiée mais émettrice d’ondes énergétiques a été mise de l’avant, notamment par le département d’État américain.

Étant donné que de nombreuses victimes faisaient état de bruits dérangeants, voire violents, lors de l’apparition des symptômes, on a imaginé une « arme acoustique » à l’œuvre ou encore un rayon énergétique ciblé.

Il a été établi par la suite que des enregistrements de grésillements suspects réalisés par des victimes américaines se sont avérés ceux des sons émis par une espèce de grillon lors de la période d’accouplement.

L’étude de l’Université Dalhousie révèle d’ailleurs que ces fameux « bruits » n’avaient pas été entendus par la plupart des victimes canadiennes. 

Diverses hypothèses sur la nature de cette arme en ont découlé : ultrasons, infrasons, micro-ondes, etc. Mais chacune de ces hypothèses se heurte à des objections techniques, à commencer par le contexte physique des lieux associés aux événements.

« Cela violerait les lois de la physique », explique à Radio-Canada le neurologue Mitchell Valdés Sosa, chef scientifique de l’enquête mise sur pied par le gouvernement cubain.

« Le son ne peut pas endommager le cerveau sans détruire l’ouïe. Les micro-ondes ne peuvent pas être ciblées de manière à endommager sélectivement le cerveau. Les ultrasons devraient avoir été émis tout près de la tête, car ils se dissipent très rapidement. Les infrasons ne peuvent pas être ciblés. Donc cette idée d’une arme visant quelqu’un dans une pièce et passant à travers les murs, comme l’ont prétendu certains diplomates, ne tient pas la route scientifiquement », dit-il.

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Hystérie collective ?

Devant les lacunes de la théorie des armes, l’hypothèse d’un phénomène d’hystérie collective avait aussi été proposée et défendue par plusieurs scientifiques.

Les maux ressentis par les victimes se retrouvent fréquemment dans l’ensemble de la population et peuvent être attribuables à de très nombreuses causes. Ces symptômes peuvent avoir préexisté chez les victimes et être devenus plus perceptibles chez les individus inquiets pour leur sécurité à Cuba.

Au sein d’une communauté fermée comme celle du corps diplomatique, un effet psychologique de groupe est possible.

Cela l’est d’autant plus dans un contexte d’alerte comme celui qui prévalait à Cuba, alors que des officiels des gouvernements américain et canadien parlaient de possibles attaques et que des collègues étaient évacués les uns après les autres. 

« Si des gens croient qu’ils sont attaqués et que leur gouvernement le leur confirme, et qu’on les évacue comme s’ils étaient sur un champ de bataille, alors n’importe quel symptôme sera amplifié », explique le neurologue Mitchell Valdés Sosa à Enquête.

Un homme devant l’ambassade du Canada à La Havane, à Cuba.

Ambassade du Canada à La Havane, à Cuba

Photo : La Presse canadienne / Desmond Boylan

Cependant, bien que cette dimension psychologique ne puisse être complètement écartée, elle paraît avoir joué un rôle tout à fait secondaire, si on en croit les résultats de l’étude menée à l’Université de Dalhousie.

L’enquête multidisciplinaire faite dans cette université de Nouvelle-Écosse a été codirigée par une psychiatre, Cindy Calkin. Celle-ci rejette catégoriquement la thèse de l’hystérie collective.

« J’ai interviewé presque tous les sujets et je n’ai trouvé aucune indication de désordre psychiatrique. Un diagnostic d’hystérie de masse nécessite qu’on ne trouve aucune cause médicale sous-jacente. Or nous avons trouvé des preuves médicales », explique-t-elle.

Autopsie d’un chien

Les chercheurs canadiens ont notamment procédé à l’autopsie cérébrale d’un chien. Il s’agissait de l’animal d’un des diplomates touchés qui présentait un comportement agressif et souffrait de convulsions à la fin de son séjour à Cuba. 

Or le cerveau de ce chien, euthanasié après son retour au Canada, présentait des lésions cérébrales semblables à celles observées chez les patients. 

Ce chien, ironise le Dr Friedman, « n’était certainement pas atteint d’hystérie de masse ! »

Analyse du cerveau du chien autopsié

Photo : Centre de traitement des lésions cérébrales de l’Université de Dalhousie

Des symptômes liés à Cuba

Une autre observation cruciale concerne les victimes plus récentes. Certains diplomates ont été touchés par le syndrome plusieurs mois après le début de la crise. Le cas le plus récent a été signalé en décembre 2018.

Or ces victimes plus récentes avaient été soumises à des examens médicaux et neurologiques avant de partir pour Cuba, si bien qu’il a été possible de comparer leur condition au retour avec ces données de référence. Ces cas permettent de rejeter l’hypothèse de troubles préexistants qui n’auraient été identifiés et signalés par les victimes que suite à la crise desdites attaques.

« Nous avons trouvé des changements cérébraux qui sont de toute évidence dus à leur séjour à Cuba », dit Alon Friedman.

Le rapport de l’équipe de Dalhousie met donc à mal aussi bien l’hypothèse d’attaques « acoustiques » que celle d’un phénomène initié par la peur collective d’être attaqué.

Cette étude, dont les hypothèses devront être contre-vérifiées, apporte pour la première fois une explication appuyée et cohérente à cette énigme qui perturbe depuis près de trois ans les relations entre Cuba, les États-Unis et le Canada.

Affaires mondiales Canada estime pour sa part le mystère n’est pas entièrement dissipé. « Même si nous explorons toutes les avenues possibles, ce qui inclut les recherches à l’Université Dalhousie, aucune cause définitive des incidents de santé n’a encore été déterminée », écrit le porte-parole John Babcock.

La Gendarmerie royale du Canada poursuit son enquête en collaboration avec les autorités cubaines.

À voir

L’émission Enquête diffuse un reportage sur le « syndrome de La Havane », jeudi soir à 21 h (HE), sur ICI Radio-Canada Télé et sur ICI Tou.tv

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