Entretien avec Jean Mendelson, ambassadeur à Cuba de 2010 à 2015

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(quotidien Sud-Ouest)

Posté par Michel Porcheron

Le diplomate Jean Mendelson, qui a notamment servi au Chili et a été ambassadeur de France à Cuba (2010-2015) a été présent au 30e Festival International du film d’histoire de Pessac (18–25 novembre), ayant pour thème « Amérique latine, Terres de feu ». Il a été l’invité, jeudi 21 novembre, du Grand oral des Rencontres Sciences-Po /Sud-Ouest

Jean Mendelson a quitté La Havane en janvier 2015 pour occuper le poste d’ambassadeur itinérant pour l’Amérique latine et les Caraïbes dans le cadre de la préparation de la COP 21 (convention des Nations Unies sur les changements climatiques).

Entré en diplomatie avec l’arrivée de la gauche au pouvoir, en 1981, l’ex militant du PSU, formé à l’ENA a passé une bonne partie de sa carrière en poste dans le continent latino-américain , il fut secrétaire d’ambassade au Chili sous Pinochet, conseiller en Argentine de 2003 à 2008 avant de rejoindre La Havane, après un intermède à Madrid comme conseiller culturel et à Paris au Quai d’Orsay, dirigeant le chantier du déménagement des archives du Ministère vers la Courneuve.

Dans ses éditions du dimanche 17 novembre, le quotidien Sud-Ouest publiait un entretien avec Jean Mendelson, qui répondait aux questions de Christophe Lucet.

LARGES EXTRAITS :

En prenant pour thème « L’Amérique latine terres de feu », le 30 e Festival de Pessac a eu le nez creux…

Jean Mendelson- Des explosions sociales au Chili, en Équateur, en Haïti, un séisme politique en Bolivie, au Pérou et au Nicaragua, un retournement politique en Argentine, Lula libéré au Brésil... Sans parler du chaos au Venezuela, des drames quotidiens au Mexique ou en Colombie, dont on parle rarement tant ils sont fréquents, ou la situation au Honduras. Oui, ce choix est prémonitoire. Et avec les incendies en Amazonie, « terres de feu » n’est plus une métaphore ! Mais si tous ces événements évoquent une déferlante sur notre « Extrême Occident », pour citer le mot d’Alain Rouquié en 1987, il serait hasardeux de les englober dans une grille unique d’explication.

À Cuba, l’échec de la normalisation avec les États-Unis sous Trump est-il provisoire ?

La politique du garrot, que Washington conduit vis-à-vis de Cuba, passe inaperçue en Europe mais a des effets dramatiques pour les Cubains.

Et elle dure, de façon plus ou moins rigide, depuis six décennies. Les Nations unies viennent une nouvelle fois (la 28e), dans l’indifférence générale, de demander la levée du blocus américain, qu’on préfère qualifier « d’embargo » en Europe. Savez-vous, par exemple, que depuis quelques jours, pour aller des Antilles françaises à Cuba, il faut passer par... Paris ? Cette politique ne changera pas tant que le président Trump sera en place.

Mais il n’y aura pas de retour au castrisme des années i960. La situation géopolitique et celle de Cuba ont profondément évolué. La question ouverte est celle des capacités de résistance de la population et l’immense déception causée par la fin des espérances nées au terme de la présidence Obama et détruites par celle de Trump

Evo Morales parti, où va la Bolivie ?

La crise bolivienne traduit l’extrême tension qui divise géographiquement, politiquement et socialement ce pays « plurinational ». Le président Morales a conduit, depuis 2006, une révolution pacifique, en bouleversant la situation et le statut des Indiens, marginalisés depuis l’indépendance en 1825.

Quoi qu’il arrive, il restera le dirigeant qui aura permis d’intégrer la masse indienne dans la vie et même la direction du pays. Devait- il briguer une quatrième réélection ? Face à l’ampleur de la contestation qui a suivi ce scrutin, la question de la candidature de trop peut être posée. Car si elle était légale, elle avait été rejetée par référendum.

De même, il ne faut pas oublier qu’en Bolivie et ailleurs dans le sous- continent, des forces politiques se réclament de la démocratie mais n’acceptent les résultats électoraux que s’ils leur sont favorables, les autres étant, par essence, truqués.

Auparavant, Jean Mendelson avait répondu à des questions sur le Chili et l’Argentine.

Êtes-vous surpris par la flambée de colère dans ce Chili que vous connaissez bien ?

Surpris ? Le mot est faible. Récemment, le président Peinera qualifiait son pays d’« oasis dans un sous-continent en proie à des convulsions imprévues ». Reconnaissons qu’au- delà des réactions de panique ou d’enthousiasme, chacun, au Chili - gouvernement, opposition, partis, syndicats... - a été pétrifié par la flambée qui se prolonge.(…)

Le Chili est sorti pacifiquement de l’ère Pinochet mais prisonnier d’une constitution illégitime, car rédigée et adoptée en 1980 en pleine dictature. Et jusqu’à présent, il a été impossible de desserrer ce carcan qui interdit à tout gouvernement de conduire une politique économique autre que néolibérale à l’extrême.

Le Chili, vu d’Europe, est un havre de démocratie et de développement Mais il est, avec le Brésil, le pays le plus inégalitaire d’Amérique latine. L’endettement dramatique de la classe moyenne, la destruction des services publics (santé, éducation), la privatisation de l’eau alimentaient une colère rentrée. Le prétendu « modèle chilien » a explosé en quelques jours. Le citoyen ayant été supplanté par le consommateur, on croyait la population endormie, elle n’était qu’anesthésiée

Jusqu’où cela peut-il aller ?

Face à une mobilisation d’une telle ampleur, spontanée et inorganisée - n’en déplaise aux autorités qui affirment qu’« un ennemi puissant et organisé » est à l’origine des troubles -, on ne peut exclure aucun scénario : répression sanglante ? Épuisement du mouvement ? Débouché politique via une nouvelle Constitution ? Je ne me risquerai à aucun pronostic.

Le vrai « miracle chilien », c’est peut- être que l’explosion sociale ait été si tardive dans un pays aussi inégalitaire

L’Argentine revient au péronisme après une parenthèse libérale. Comment l’analysez-vous ?

Difficile à définir par les péronistes argentins eux-mêmes, le péronisme est incompris à l’étranger. Ceux qui, durant des décennies, ont parlé de Perón comme d’un dictateur et assimilé sa doctrine au fascisme, en font aujourd’hui un centre -gauche sans idéologie. (…) La relation à ce mouvement reste la ligne de clivage incontournable de la politique argentine.

La victoire actuelle du péronisme a sanctionné la politique libérale du président Mauricio Macri, qui a appauvri la classe moyenne et rejeté dans la grande précarité les milieux populaires. La question sociale revient au premier plan et c’est un défi pour le futur gouvernement d‘Alberto Fernandez car l’économie est à l’arrêt et l’endettemment colossal.

Nous avions publié sur notre site le 30 octobre 2013 :
Quand l’ambassadeur de France à Cuba témoigne

(mp)