Mémoire(s) antifasciste(s) au présent

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Extrait de l’article du quotidien l’Humanité du 19 décembre sous la plume de Cathy Dos Santos :
"Franco n’est pas mort. Culo al sol ! Jean Ortiz La Librairie des territoires, coll. « Paroles de militants », 198 pages, 15 euros
Dans Testament, le troubadour Silvio Rodriguez souhaitait « solder des comptes rêvés ». À la manière du poète cubain, Jean Ortiz a couché sur le papier, avec la pressante sincérité qu’on lui connaît, les engagements qui ont façonné sa vie. Le temps est parfois un ennemi contre lequel il faut batailler, en écrivant vite, très vite. Avant qu’il ne soit trop tard, avant que cette fichue maladie – Parkinson –, « devenue la compagne de chaque seconde » qui contraint « à demander l’asile politique aux souvenirs », ne remporte la partie...
https://www.humanite.fr/memoires-antifascistes-au-present-682082

Ci-après les pages consacrées à Pablo de la Torriente Brau poète cubain mort au combat pendant la guerre d’Espagne.

Pablo de la Torriente Brau,

jeune intellectuel cubain mort à Majadahonda,

sur le front de Madrid

« ¡ Arriba muchachos ! » « En avant camarades ! » Mourir à Majadahonda

PABLO DE LA TORRIENTE BRAU. Les générations de Cubains, depuis la « révolution nationaliste anti-impérialiste » de 1933, (« que se fue a bolina », qui se termina en jus de boudin) aiment ce jeune journaliste et écrivain fougueux, à la voix grave, bourré d’avenir. Sans peur des mots, il n’hésite pas à houspiller rudement ses collègues, à les rappeler à leurs « obligations » critiques et solidaires.

Cet intellectuel cubain devenu communiste s’engage, à la vie-à la mort, convaincu de la complémentarité de l’antifascisme et du combat national.

À l’été 1936, de son exil à New York, il écrit : « Je pars en Espagne » à ses amis, déjà grandes figures intellectuelles : Nicolas Guillén, Ruben Martinez Villena, secrétaire du petit PC, Raúl Roa.

Lettre d’exil de Pablo, 4 août 1936 : « Je suis absolument convaincu que le monde entier tourne autour de la révolution espagnole. L’importance de la révolution espagnole est mondiale ». Roa sera plus tard ministre des Affaires étrangères de Fidel Castro. Dans la lettre du 6 août, à Juan Marinello, Pablo défend avec passion sa décision : « J’ai eu une idée merveilleuse : je vais en Espagne, participer à la révolution espagnole ». La lettre se poursuit : « L’idée a explosé dans mon cerveau, et depuis lors, elle illumine la grande forêt de mon imagination ».

Le projet désiré devient axe de vie. « Je crois fermement que je peux faire beaucoup pour la révolution cubaine, parce qu’il semble que la révolution espagnole ait à Cuba de profondes répercussions », confie-t-il encore à Raúl Roa.

Pablo entre en Espagne par Port Bou, le 20 septembre 1936, convaincu que s’engager en Espagne, c’est prolonger les luttes cubaines d’émancipation.

Combattant des milices populaires, puis commissaire politique, le jeune militant intellectuel meurt, très tôt, sur le front de Madrid, les armes à la main, à Romanillos, près de Majadahonda, le 19 décembre 1936. Il avait à peine 30 ans et un charisme de leader atypique : physique d’athlète, le regard sombre, un humour de « guajiro » taquin. Toujours aux avant-postes, « commissaire de guerre » de la Division de El Campesino. En quatre mois, il écrit 14 chroniques sur la guerre d’Espagne. La première d’entre elles : « Des avions pour l’Espagne ».

Pablo comprend très vite toute la grandeur poétique et humaine d’un autre de ses amis : Miguel Hernández, poète de la terre ; Pablo le « nomme » commissaire culturel... Miguel, l’ancien berger d’Orihuela, l’autodidacte qui déclame sur le front républicain ses vers aux combattants. Désespéré par la mort du « camarade Pablo », Miguel Hernández écrit la poignante Deuxième élégie. Pablo sera jeté dans une fosse commune.

A Cuba, le jeune intellectuel avait pris tous les risques. Emprisonné à plusieurs reprises (27 mois au total), il impulse deux grandes grèves : 1930 et 1935, et doit s’exiler en avril 1935. Dans la vague révolutionnaire de ces années 1930, il crée l’ORCA, fonde la radicale Aile gauche étudiante, écrit « Batey »... Le « Patio de laureles » de l’université vibre de ses exhortations à l’insurrection, à « serrer les rangs », de ses convictions antifascistes,

« ¡ Arriba (en avant) muchachos ! ». L’insurrection provoque la chute du dictateur Machado, le 12 août 1933. Le véritable pouvoir est alors exercé par un groupe de sergents dirigés par un inconnu, Fulgencio Batista. Les Cubains sympathisent massivement avec les « Espagnols rouges ».

Pablo, reporter au journal « Ahora », décrit la chute du tyran. À la fois journaliste, narrateur et protagoniste. Un statut qu’il conjugue et assume. La révolution a un prix. À la Havane, il collabore aussi à la revue « El Veterano » et au quotidien « Nuevo Mundo ».

Aveugles ceux qui ne voient en Pablo de La Torriente Brau qu’un « propagandiste », un commissaire politique. Pablo, comme les 1056 volontaires cubains des Brigades Internationales, très divers politiquement, communistes, « guitéristes de Joven Cuba », anarchistes, socialistes, (peu de Noirs), conçoit l’engagement en Espagne comme le maillon d’une chaîne ininterrompue, insurrectionnelle, « internationaliste », de libération.

Il n’a même pas eu le temps de terminer son roman : Aventure du soldat cubain inconnu dans lequel il imagine une rencontre avec le fantôme d’un soldat cubain qui par erreur fut envoyé au feu lors de la 1ère guerre mondiale. Le traitement moderne et satirique du thème (les stupidités de la guerre) surprend. Pablo lie son métier d’écrivain, sans l’aliéner, à l’engagement sur les divers fronts de lutte. Dans un autre écrit, Presidio modelo (Prison modèle), de publication posthume, comme la plupart, il dénonce l’inhumanité du système pénitentiaire. Son célèbre texte, Realengo 18, décrit les conditions épouvantables de vie des paysans dans les montagnes de l’Oriente cubain. Des « realenguistas » y ont recréé une communauté utopique, « un pays différent, bien plus beau que Varadero, une société idéale communiste ».