Eusébio Leal à l’anniversaire de La Havane ...

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Nous nous permettons de reproduire cet article publié en décembre 2011, mais qui garde toute sa valeur. Il préfigure déjà ce que nos amis cubains préparent pour novembre 2019 pour le 500ème anniversaire de la capitale, anniversaire auquel nous participerons de façon toute particulière...

Ce discours a été prononcé le 15 novembre 2011 à l’occasion de la célébration de l’anniversaire de la capitale cubaine. Eusébio LEAL est Historien de la Ville de La Havane. Docteur en Sciences Historiques à l’Université de La Havane Master en Amérique latine, les Caraïbes et Cuba Spécialiste Archéologique Science. Député. Ambassadeur de bonne volonté de l’Organisation des Nations Unies.
Eusébio LEAL est titulaire de très nombreuses décorations de part le monde. En France il a été fait Commandeur de la Légion d’Honneur et titulaire des Palmes académiques.
Ami de notre association avec laquelle il a réalisé la Maison Victor Hugo, il fait parti de la Présidence d’Honneur de Cuba Coopération France.

Chers concitoyens,

Je me réjouis que nous célébrions ensemble aujourd’hui le 492° anniversaire de la fondation de la ville. En réalité, cet événement a dû avoir lieu plutôt un jour de l’année 1514, dont nous sommes sûrs, non pas ici, mais sur la côte sud de l’actuel territoire de La Havane, en un lieu non déterminé de la Ensenada de Broa, peut-être près de Batabano. Beaucoup pensent que c’était à Melena del Sur.

Depuis ce jour et jusqu’à présent, le village de Mélena conserve fidèlement un registre qui indique : « Ici a été fondé La Havane » et comme la voix populaire fait aussi partie de l’histoire et en est une des sources fondamentales, nous nous en remettrons à elles, en pensant qu’au commencement de cette histoire, il y a un peu moins d’un demi millénaire, les sept villes se sont fondées de l’est à l’ouest, résultat des deux missions, l’une menée par Diego Velasquez de Cuellar, l’autre par son lieutenant Panfilo de Narvaez, accompagné d’un homme illustre qui mérita par son œuvre et sa vie, d’être reconnu par José Marti, dans L’âge d’or, le père Fray Bartolomé de las Casas .

Le père Las Casas fut une des références de l’humanisme moderne et des droits des hommes face à l’implacable soif des conquistadors, appuyant les aborigènes des îles qui ont été nommées Antilles en mémoire du dialogue épistolaire entre Christophe Colomb et le sage Paolo del Pozo Toscanelli à Florence. Le Antilles semblaient être la reproduction de cette île merveilleuse qu’ensuite Tomas Mora présentera comme le monde de l’utopie, au milieu de la nouvelle Méditerranée qu’était la Mer Caraïbe.

Ces villes, l’une après l’autre, s’élevèrent sur des territoires aborigènes. C’est pourquoi, à l’exception de la Santisima Trinidad del Espiritu Santo ou de Santiago de Cuba, les noms des villes proviennent d’un nom castillan, du nom d’un saint protecteur ou d’un nom indigène : San Cristobal de La Habana pour Habaguanex, San Salvador del Bayamo, Santa Maria del Puerto del Principe de Camaguey ou, la première de toutes, Nuestra Senora de la Asuncion de Baracoa qui a célébré son cinquième centenaire. A l’occasion de cette fête, j’ai eu l’honneur d’y célébrer les paroles commémoratives. On célébrait deux événements, la fondation de la ville et l’existence à Baracoa de l’unique croix conservée de ces jours où la conquête était accompagnée de l’évangélisation. Aujourd’hui, la Croix de la Parra, proclamée Monument national, est conservée et entretenue non seulement par les fidèles chrétiens mais aussi par tous les cubains et baracoens qui voient en elle un symbole à la fois culturel et spirituel, termes indissociables l’un de l’autre.

C’est pour cela que nous pourrions célébrer tranquillement un anniversaire de plus et nous rapprocher du demi millénaire. Je souhaite que nous tous ici, nous puissions nous réunir dans quelques années pour le 500° anniversaire de La Havane, en 2019.

Aujourd’hui, nous sommes heureux d’être ici, commémorant l’installation du camp initial, qui devint le village de San Cristobal, qui apparut pendant des décades sur les cartes comme une petite église signalant un lieu au sud, du nom de San Cristobal, appelé aussi le vieux village et un autre nom, La Havane avec un v, qui plus tard encore se réuniront dans le seul nom de San Cristobal de La Havane.

Nous savons maintenant que ce voyage du sud au nord dura peut-être des années,peut-être des hauteurs de las Puentes Grandes, lieu sain par son altitude, peut-être des terres que se réserva le conquistador, à l’ embouchure de l’actuelle rivière Chorrera, dans la zone où s’édifie une partie de La Havane moderne qui inclut le Vedado, avant de s’aventurer à traverser le fleuve et gagner une autre partie moins belle de La Havane.

Mais, ce qui est sûr, c’est qu’à partir de 1508, le port, que le navigateur galicien Sebastian de Ocampo appelle port des Carènes- il put y mettre ses bateaux en carène- est connu ; ce port est bien protégé naturellement, un canal étroit et navigable mène à une baie qui s’ouvre en 3 poches presque parfaites, en forme de clef qui figurera ensuite sur le blason de La Havane, protégé par des hauteurs où se trouve aujourd’hui la forteresse de La Cabana, au fond ouvert où se trouve aujourd’hui le sanctuaire de la Vierge de Régla.

Ce port devint si connu avec le temps que les bateaux qui venaient approvisionner les garnisons de la Floride espagnole, ceux qui venaient de Vera Cruz, ceux qui amenaient les cargaisons laissées a Acapulco en provenance de Chine, ceux qui arrivaient de Portovelo , Nombre de Dios, Chagres, se retrouvaient au port de la Havane, armés et protégés par une flotte de galions, pour reprendre le chemin du port de Séville, auquel ils accédaient par les eaux tranquilles du Guadalquivir, après une traversée de l’Atlantique, selon un trajet identique à celui des vols aériens actuels, une route que Christophe Colomb avai initiée, la dernière escale de son fabuleux voyage étant les îles Canaries, à la recherche ensuite de la terre ferme.

Nous célébrons le 492° anniversaire avec des choses accumulées dans le temps et qui furent le fruit du travail d’innombrables générations, des événements qui ont à voir avec la culture, les arts, les sciences, la musique, l’architecture, l’urbanisme, des faits politiques, des faits d’armes, des insurrections civiles, des événements mémorables qui vont de l’incendie de la ville par les corsaires et pirates français , le siège et la prise de La Havane par les britanniques en 1762 ou la victoire de la Révolution cubaine le 1° janvier 1959, quand par hasard, agonisa une ceiba(arbre cubain) qui précéda celle que nous voyons ici et qui fut plantée au cours du premier semestre 1959, alors que la précédente était morte, comme l’ancien régime.

Aujourd’hui, nous sommes ici, face à la place d’Armes, un espace privilégié, un espace archéologique. Quand nous évoquons la place, immédiatement les empreintes du passé apparaissent : la communauté primitive, avec ses objets et ses escargots taillés, le cimetière d’une église qui n’existe plus, les ruines des premières maisons que les archéologues découvrirent récemment lors des travaux de restauration du Palais du second Chef.

Nous contemplons, depuis ces marches, les dernières lumières sur le profil de la Giraldilla que Géronimo Martin Pinzon fondit pour La Havane pour en faire girouette en haut de la tour où l’antique cloche du Château a salué notre marche vers la place.

Les enfants de l’ école Angela Luanda, sur le lieu des anciennes forges, sont venus en portant sur leurs épaules de lourdes massues, lourdes comme l’histoire, massues d’argent qui sont les répliques de ces anciennes massues qu’utilisèrent les chevaliers du Moyen-Age pour rompre avec leurs lames les cuirasses et les armures des chevaliers. Elles sont ensuite devenues le symbole du pouvoir et de la protection des rois , des évêques et prélats, des maires et le symbole de l’honneur des villes . Ces massues, commandées par le Chef de la Havane à l’orfèvre Juan Diaz, en 1634, sont les joyaux les plus anciens que la ville conserve er chaque année, elles sont nettoyées et, resplendissantes, elles réalisent ce parcours avant de tourner autour du tronc de la ceiba. Sorte de rite magique, bien qu’il n’y ait rien de magique en elles.

Quelqu’un me demanda un jour pourquoi nous tournions autour de la ceiba, comme s’il était possible d‘expliquer la poésie qui est le sel de la vie. Oui , il est indispensable de tourner autour du tronc, en demandant que dans cette spirale, elle nous tende la main, que nous nous réconcilions avec le temps et que nous ayons présent à l’esprit qu’on peut accéder au futur depuis le passé.

Je me réjouis, en tant que restaurateur, conservateur, historien de la ville de La Havane, successeur de l’œuvre de mon prédécesseur le docteur Emilio Ruig Leuchsenning et de tous ceux qui l’ont précédé durant des siècles, de nous retrouver aujourd’hui au Templete, à l’ombre de ces monuments, non seulement de l’arbre, mais aussi de la colonne et du petit temple gréco romain qui rappelle la fidélité et la grandeur de La Havane , sa splendeur que jamais le temps ne pourra blesser ou endommager.

Si l’on voit dans la ville les signes de la décadence, si l’on voit les traces et les dommages du temps, nous ne pleurerons pas comme la femme de Loth sur le passé et les statues renversées. Jamais je n’accepterai cela, j’ai un groupe de collaborateurs qui durant presque un demi-siècle, m’ont accompagné dans le travail de restauration, de reconstruction, de recherche. Il n’y a pas un seul jour où n’apparaissent des livres, des papiers, des documents, des médailles, des tableaux, il n’y a pas un seul jour où, avec colère ou joie, nous ne luttions pour redresser une pierre, restaurer un toit, réparer une tapisserie, prêcher une cause qui parfois semble perdue. Nager à contre-courant est ardu, mais il me plaît de penser que nous redonnons vie à la ville, nous n’essayons pas de l’embaumer, ni de la tuer, au contraire.

Les enfants des écoles représentent une continuité prometteuse, ils sont notre espérance, la continuité est en eux. S’il n’en était pas ainsi, aucun vœu au pied de l’arbre sacré ne serait possible. Si Rome, après des milliers d’années, s’incline encore devant la louve qui allaita Romulus, si aujourd’hui encore des villes anciennes préfèrent une monnaie lancée dans une fontaine, un regard vers un monument, vers une pyramide qui, durant des siècles est restée intacte, La Havane aussi conservera sa foi dans le futur.

Et c’est pour cela qu’aujourd’hui nous refaisons le chemin et marchons vers l’arbre en soutenant les massues et en demandant pour la ville qui s’approche de son demi millénaire toutes les bénédictions et tout ce que la ville réclame. Paix, concorde, constructeurs, travailleurs, peuple bon et honnête, honorable et décidé, travailleur et lutteur, peuple plein d’espoir et de courage.`

Que celui qui prône le découragement, soit tenu pour infidèle, que celui qui prétend que cela ne vaut pas la peine de lutter pour ce à quoi l’on croit, on lui réponde que ce sont des paroles absurdes et impossibles à entendre. Nous devons être les chantres de cette volonté et au nom de celle-ci, j’apporte à la ville en ce jour, tout le travail réalisé, celui de nombreux cubains de l’est à l’ouest et je ne crains pas le paradoxe, ce n’est pas nécessaire, parce qu’elle est la capitale de tous.

Capitale signifie capita qui vient du mot latin tête. La Havane, est la tête, la ville qui porte la couronne, depuis des siècles, la ville qui a été un horizon dans le monde. La Havane, avec l’article qui la précède, non pas Havane, La Havane, cela veut dire qu’elle est unique. Il n’y en a aucune autre qui ait son nom, ni même un nom qui y ressemble. C’est seulement et exclusivement La Havane.

Merci beaucoup