Notre Caraïbe

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Cela a fait 70 ans à la fin de 2019, que l’on a publié « Le royaume de ce monde »

Même si les habitants d’origine de l’arc des îles qui s’étend des côtes vénézuéliennes à l’entrée du golfe du Mexique étaient les indiens Arawaks venus du continent, comme en a témoigné l’expédition entreprise par Nuñez Jimenez depuis les sources de l’Amazone, il semble qu’ultérieurement l’histoire a accentué la tendance à la diversité. Sur ces terres occupées par des peuples venus de divers pays d’Europe, la pluralité linguistique, à laquelle se sont ajoutées diverses expressions créoles{{}}néessdu processus de métissage, s’est imposée...

Notre Caraïbe

...Vinrent ensuite les habitants natifs d’autres continents, esclaves africains, travailleurs de Chine et d’Inde.Cependant, la perspective culturelle a progressivement révélé l’unité essentielle qui{{}}se cache{{}}dans cet univers si{{}}varié.Dans ce processus d’auto-reconnaissance identitaire, la contribution des cubains a revêtu une importance toute particulière.

José Marti a compris que l’arc antillais faisait barrage à l’expansion territoriale des Etats Unis. Il pensa à l’indépendance de Porto Rico parallèlement à{{}}{{}}celle de Cuba.A la veille de la Guerre Nécessaire, son voyage depuis Montecristi jusqu’à Cabo Haitiano lui a permis d’être au cœur de la réalité sociale et humaine de l’île voisine e td’apprécier l’accueil chaleureux que lui ont réservé les habitants en le recevant chez eux.

C’est juste à la fin du premier quart du XXème siècle que Ramiro Guerra a révélé, avec la publication Sucre et population aux Antilles,la base de ce qui nous unissait. C’étaient ce que l’on appelle l’économie de plantation. Ce socle commun prolongeait le concept de Caraïbe jusqu’aux régions continentales telles que le sud cotonnier des Etats Unis et les zones côtières de d’Amérique centrale pour arriver jusqu’au Brésil. Trop souvent oublié,l’historien José Luciano Franco s’est tourné vers Toussaint Louverture.

Indirectement, la Seconde Guerre Mondiale a exercé une influence sur la prise de conscience de la « caribénité ».{{}}Ecrivains, artistes, et chercheurs nés dans cette région ont entrepris le « retour au pays natal », selon les mots du poète martiniquais Aimé Césaire, immédiatement publié à Cuba dans sa version espagnole. Ils avaient séjourné en Europe pour compléter leur formation.Ils étaient revenus avec une approche nouvelle.

Par ailleurs, le conflit belliqueux a permis un rapprochement plus étroit entre les îles, malgré le manque de voies de communication. Le poète Nicolás Guillén, l’écrivain Alejo Carpentier, les peintres Carlos Enriquez et Wifredo Lam{{}}ont bénéficié de séjours fructueux en Haïti. De par son histoire et sa situation géographique la plus grande des îles des Antilles formait une passerelle entre la Caraïbe et l’Amérique Latine.

Et même au-delà, la compréhension de nos réalités profondes, marquées par les empreintes d’un colonialisme persistent, a permis le rapprochement avec des régions plus vastes de notre planète.Impliqué dans la lutte pour l’indépendance algérienne, le martiniquais Frantz Fanon allait s’exprimer au nom des « damnées de la terre ».

A la toute fin de sa vie Wifredo Lam allait peindre son hommage au Tiers Monde. Le poète Roberto Fernández Retamar allait, avec l’image symbolique de Caliban, revendiquer la nature de notre altérité.

Cela a fait 70 ans à la fin de2019, que l’on a publié« Le royaume de ce monde », texte magistral, rénovateur du roman latino-américain qui reste terriblement actuel.

Pour le romancier cubain, le voyage en Haïti est arrivé au bon moment. Il a parcouru le pays et eu des échanges avec les anthropologues locaux.Ces expériences{{}}sont devenuesles déclencheurs de la cristallisation de recherches entamées tout jeune, lorsque, en étroite relation artistique avec les musiciens Amadeo Roldán et Alejandro García Caturla, il a fait des recherches sur les sources africaines de notre culture et tenté d’exprimer cette vision dans son premier roman, Écue-Yamba-Ó. Cependant, il savait qu’il n’était pas allé au fond des choses, que le grand dilemme consistait à allier le local et l’universel.

Les pérégrinationsde l’esclave Ti Noel traversentLe Royaume de ce monde.Porteur d’une culture ancestrale, héritage des « grandes louanges » d’Afrique, attaché à la connaissance{{}}des secrets de la nature les plus cachés,{{}}il reste{{}}étranger au langage qu’essaient d’imposer les oppresseurs.De sorte que, lorsque le rebelle Mackandal est arrêté et condamné à être brûlé vif{{}}en spectacle public pour servir d’exemple, la masse des esclaves comprend qu’il reste vivant. Il s’est simplement transformé et survivra en tant que source de foi et d’espérance.

Au moment de l’insurrection haïtienne, Ti Noel émigre à Santiago avec son maitre. Il retourne à Cabo. L’esclavage a cessé même si il existe une autre forme de servitude. Le dictateur noir Henri Christophe impose par la violence le très durlabeurpourla construction,pierre à pierre,dela forteressede la Citadelle.

Au fil du récit, à partir du retour de Ti Noel vers une terre natale qu’il ne reconnait plus du tout, son profil personnel acquiert la dimension d’un nous. Lorsqu’il achève enfin sa très longue{{}}{{}}errance, Il connait un moment de suprême lucidité et il comprend que« la grandeur de l’homme réside précisément dans l’amélioration de ce qu’il est…Par conséquent, accablé de tâches, beau dans sa misère, capable d’aimer au milieu des fléaux, l’homme seul peut trouver sa grandeur, sa dimension optimale, auRoyaume de ce Monde ».