Le supplice de la goutte

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Un article de Jacques Lanctot, publié dans le Journal de Monréal.

Tandis qu’au Québec on discute de l’installation du couple princier quelque part au Canada et que certains ténors du mouvement indépendantiste montent aux barricades devant cette absurdité, ici, à Cuba, on subit le supplice de la goutte.

 

Comprenez-moi, je ne dis pas qu’il ne faut pas dénoncer cet anachronisme royal, je veux juste vous faire part du combat quotidien de mes frères cubains. Chaque matin, on se lève en se demandant quelle sera la nouvelle mesure diabolique que le président machiavélique des États-Unis — la mafia, au moins, a un code d’honneur, lui pas — annoncera pour serrer la vis un peu plus à ceux qui vivent dans cette île trop belle pour être cédée à quelque gouvernement étranger. 

Bien sûr, quand on se compare, on se console. Tout à côté, le peuple haïtien ne s’est pas encore remis du séisme qui a dévasté le pays il y a dix ans et bien malin celui qui pourrait mettre sur papier et sur pied un plan d’urgence pour permettre aux Haïtiens de vivre bientôt dans des conditions humainement acceptables. Et les Portoricains viennent de subir, eux aussi, un terrible tremblement de terre qui a aggravé un peu plus leur situation, alors qu’ils attendent toujours l’aide promise par leur gouvernement officiel, celui des États-Unis, pour reconstruire leur pays dévasté par l’ouragan Maria, il y a deux ans. 

Après le resserrement de la loi Helms-Burton, avec l’application illégale de mesures extraterritoriales contre Cuba, après l’arraisonnement en pleine mer de bateaux battant pavillon grec, libérien, chypriote, panaméen ou autres, transportant à Cuba le précieux pétrole pour faire fonctionner son économie, occasionnant des pénuries de toutes sortes, dans les transports publics, entre autres, après l’imposition d’amendes millionnaires aux compagnies étrangères qui n’obéissent pas aux diktats de la Maison blanche, quartier général du tueur en série, après l’interdiction aux bateaux de croisière d’accoster à Cuba, ne serait-ce que pour une petite saucette de douze heures, après l’interdiction aux compagnies aériennes étatsuniennes d’atterrir dans les aéroports de l’île sauf dans la capitale havanaise, après l’interdiction des voyages organisés ou charters étatsuniens à Cuba, sauf ceux ayant comme seule destination La Havane, après l’impossibilité, pour l’équipe nationale de baseball de Cuba, de participer au tournoi des Caraïbes qui doit avoir lieu à Porto Rico en début de février en raison de soi-disant problèmes avec l’octroi de visas étatsuniens — Cuba avait remporté le championnat l’an dernier —, après mille et une attaques toutes aussi sournoises que cruelles, voilà que des entreprises pétrolières se sont vues interdire de vendre du gaz liquide à Cuba. 

Cette nouvelle interdiction frappe surtout les familles cubaines. Pour l’instant, La Havane n’en souffre pas car la majorité des foyers sont approvisionnés en gaz naturel, ce qu’on appelle ici « gas de la calle », qui arrive par des conduites souterraines. Là où ça fait mal, c’est en dehors de la capitale, dans les banlieues et les campagnes où les cuisines fonctionnent au gaz propane, qui vient en bombonnes. Le remplissage des bombonnes est maintenant rationné jusqu’à nouvel ordre. 

Ce que ne semblent pas comprendre ceux qui nourrissent une haine profonde à l’égard du peuple cubain, à Miami et à Washington, c’est que cette recrudescence des mesures contre Cuba ne fait que consolider la détermination des Cubains et sa confiance en son gouvernement. Devant l’épreuve, devant l’ingérence étrangère, devant le mauvais sort jeté sans raison par un homme indigne honni de plus en plus par la communauté internationale et à qui on s’apprête à faire un procès en destitution pour abus de pouvoir, faisons front uni, se disent les Cubains. Il n’y a pas d’autres solutions. 

Mais s’il y a un domaine que l’empire étatsunien n’a jamais pu contrôler, c’est l’immense pouvoir de la culture cubaine. Même pendant les pires années de la dictature de Batista, alors que la mafia étatsusienne tentait de convertir Cuba en lupanar et en bordel, les arts cubains sont demeurés le principal foyer de résistance et un phare dans la nuit, qui a permis au peule cubain de ne jamais perdre son identité. On raconte que dans ces années-là, il y avait dans tous les boui-bouis de coins de rue, dans les quartiers populaires, des « vitrolas », des jukebox où l’on jouait presque exclusivement de la musique, non pas américaine, mais cubaine. Uniquement en espagnol. J’aimerais en dire autant de mon Québec chéri.