Covid-19 : de quel modèle de santé avons-nous besoin ?

Dr. José Moya Medina, représentant de l’OPS*/OMS à Cuba

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Le nouveau coronavirus COVID-19 est à l’origine d’une pandémie sans précédents dans l’histoire récente de la santé publique mondiale. Fin mars, plus de 200 pays dans le monde ont confirmé la présence du virus sur leur sol ; dans la majorité d’entre eux par une transmission locale ou communautaire qui oblige à prendre des décisions d’isolement pour des groupes à risque ou de confinement généralisé de la population.

S’agissant d’une nouvelle maladie déclarée par la Chine à l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et dans le cadre du nouveau Règlement Sanitaire International (RSI-2005), le Directeur de l’OMS, après consultation des experts, déclara le 30 janvier que le nouveau coronavirus représente une Urgence de Santé Publique Internationale (ESPI) face à laquelle tous les pays devaient se préparer. Plus tard, le11 mars, en constatant que dans plusieurs régions du monde le COVID-19 se transmettait localement, il déclara la pandémie.

Seulement quelques semaines après la confirmation de cette nouvelle maladie à Wuhan , en Chine, favorisée par le trafic aérien mondial, la transmission du COVID-19 apparut d’abord dans les pays voisins comme la Thaïlande, le Japon et la Corée du Sud ; leurs stratégies et la façon d’aborder l’épidémie sont utiles aux autres pays pour orienter une réponse rapide et opportune, en fonction du stade où ils en sont.
On a défini les différentes étapes pour traverser cette épidémie :

  • a) préparation ;
  • b) premiers cas importés et identification des clusters ;
  • c) transmission locale ou communautaire.

Il est clair, s’agissant d’une nouvelle maladie, que toute la population mondiale est susceptible d’être malade. Il n’existe aucune immunité préalable chez les enfants, les jeunes, les adultes et les personnes âgées. C’est un virus qui se transmet par les voies respiratoires, il peut donc se propager très vite entre les personnes. On observe un taux de reproduction (RO) de 2.2 à 2.9 personnes, selon des premiers rapports. C’est-à-dire que chaque personne infectée contaminerait en moyenne 2 à 3 personnes. Ces estimations et d’autres apparues dans les premières études seront à compléter et à vérifier dans les prochains mois.

Dans une de ses premières études, la Chine a fait la description épidémiologique avec un échantillon de 70 mille cas. Selon cette étude, on observe que 80% des cas peuvent présenter des formes légères ou modérées et 20% pourraient atteindre des formes graves et critiques nécessitant une ventilation mécanique et pouvant entraîner la mort.

L’étude mentionne aussi que parmi les facteurs de risque pour les formes graves et critiques on trouve le grand âge et la présence de maladies chroniques comme l’hypertension, le diabète, une maladie pulmonaire chronique et une maladie rénale chronique. Il convient de signaler que l’hypertension et le diabète représentent une seule entité ou pathologie. En revanche, quand on parle de maladies respiratoires et rénales chroniques, on compte dans chacun de ces groupes plusieurs maladies. Par exemple, la maladie pulmonaire obstructive chronique connue sous le nom de EPOC, une maladie respiratoire chronique, est causée en grande partie par la consommation de tabac. Le tabagisme et l’obésité constituent aussi des facteurs de risque que l’on devra considérer dans les nouvelles études en cours.

Concernant le taux de mortalité, il y a eu quelques changements. Initialement estimé à 2.3%, on l’a corrigé pour l’estimer à 3,4°/° ; nous observons même un taux supérieur dans quelques pays, comme l’Italie. Cette estimation va être adaptée dans chaque pays selon différents facteurs, parmi lesquels la capacité de son système de santé à identifier et offrir un traitement opportun aux cas confirmés de COVID-19.

Cela requiert un système de santé publique possédant des réseaux de laboratoires et des réseaux d’équipes d’épidémiologistes dans le domaine des soins de santé primaires, pour rechercher les contacts et identifier les clusters. La mortalité dépend aussi du nombre de lits disponibles à l’hôpital, d’unités de soins intensifs, de personnel de santé en nombre suffisant et qualifié. La qualité des soins aux patients sera donc liée à la capacité du système de santé, à sa solidité, au budget alloué, à son organisation, à la couverture et à l’accès universel à ses services.

L’accès à ces services sera particulièrement critique pour les populations des zones rurales, celles des zones frontalières et pour les peuples indigènes, parmi d’autres secteurs vulnérables. Une autre variable à considérer, l’accès aux services de santé doit être vu comme un droit humain auquel l’Etat doit pourvoir pour que ses concitoyens puissent l’exercer pleinement. Malheureusement l’accès à la santé dans notre région varie selon les pays, cela va de ceux qui garantissent l’accès universel et gratuit jusqu’à ceux qui offrent un accès limité en fonction des capacités financières de chacun, situation qui exclut de ces services une très importante population pauvre de notre Amérique.

Les réformes néolibérales, initiées il y a 30 ans dans certains de nos pays, ont contribué à diminuer le rôle de l’Etat et à laisser les initiatives privées liées au complexe médico-industriel définir l’accès à la santé par les compagnies d’assurance et les services privés de santé. Ainsi, le système public de soins s’est retrouvé très souvent affaibli et c’est dans ce contexte qu’il doit affronter le plus grand défi lancé par une épidémie. Ni le choléra, la dengue ou la grippe, ni la vague croissante de maladies non transmissibles, ne présentent un aussi grand défi que celui que nous affrontons maintenant avec le COVID-19.

Dans la mortalité et son impact sur les services de santé, il faut aussi considérer l’aspect démographique de la population. Ces pays ou villes où se concentrent un grand nombre de personnes âgées devront faire très attention à les isoler volontairement et à leur donner des soins opportuns si besoin. Dans nos pays, un des succès auxquels nous faisons souvent référence c’est l’augmentation de l’espérance de vie. Maintenant, paradoxalement, ce succès nous rend plus vulnérables à cette pandémie. Nous avons beaucoup de raisons de protéger les anciens, prendre soin d’eux et chercher à les isoler pour quelques mois supplémentaires. Ils devront attendre pour serrer dans leurs bras leurs enfants et petits-enfants jusqu’à ce que tout cela soit fini.

Mais quand tout cela sera fini, nous devrons nous interroger : de quel modèle de soins avons-nous besoin ? La leçon de cette nouvelle pandémie doit nous permettre de redéfinir la meilleure forme d’organisation des services de santé et de l’accès de la totalité de la population à ces soins, d’une manière universelle et gratuite. Il faudra discuter de la véritable importance de la santé publique et du rôle de l’Etat pour y pourvoir.

On doit corriger les inégalités sociales face à l’accès aux services de santé. Les Etats devront se demander quel est le budget approprié requis pour ce secteur et particulièrement pour le système national de surveillance de la santé publique dans ses capacités analytiques, prédictives et sa réponse face à des phénomènes qui affectent d’une façon permanente la santé de nos populations.

tiré de la revue : Temas, de Cubarte , portail web de la Culture cubaine

*OPS Organisation Panaméricaine de Santé