Cuba et l’union européenne, cinq ans de dialogue

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Paru dans Todo Cuba, le 22 avril 2020

Aujourd’hui, cela fera 5 ans que le dialogue entre Cuba et l’U.E. s’est rétabli. Dans ce laps de temps, l’U.E. s’est rapprochée de l’île tandis que les Etats Unis sous l’administration Trump , se sont éloignés. Ce sont des années caractérisées par des liens économiques et diplomatiques.

La Havane, 22 avril 2015. C’est aujourd’hui l’anniversaire du jour où s’est restauré en Belgique le dialogue avec l’U.E., représentée par sa cheffe de la diplomatie du moment, Federica Mogherini et Cuba avec sa délégation chapeautée par le ministre des relations extérieures Bruno Rodriguez. Depuis 2011 les conversations étaient gelées.

Cinq mois auparavant, les Etats Unis et Cuba avaient pourtant initié un dégel diplomatique après presque 6 décades d’inimitié et interrompu à peine 3 années après par l’arrivée de D.Trump à la maison Blanche.

A la différence de ce qui arriva avec Washington , la Havane et Bruxelles ont continué de travailler et aujourd’hui ont dépassé les presque 20 années tendues de « position commune » qui régirent leurs relations, une politique impulsée en 96 par le gouvernement espagnol de José Maria Aznar qui conditionnait tout dialogue à l’avancée des droits humains sur l’île.

Confiance et dialogue avec l’Union Européenne.

De ce black out total on est passé pendant les 5 dernières années à une balance positive au dire de l’ambassadeur de l’U.E. à Cuba, l’espagnol Alberto Navarro.
Parmi les étapes figurent quatre visites de Mogherini, un goutte à goutte constant de voyages d’état des gouvernants de l’U.E., cinq sessions de dialogue sur les droits humains, deux conseils bilatéraux et le coup de pouce à des dialogues politiques sectoriels dans des domaines cruciaux pour le pays comme l’agriculture ou le changement climatique.

Et surtout, la signature de l’accord politique de coopération depuis la fin de 2017. Cuba était l’unique pays latino américain qui n’avait pas encore de relations de ce type avec l’U.E.

« Nous avons créé une relation de confiance basée sur le respect mutuel et reconnaissant les forces de l’autre » signala A. Navarro , qui pointa aussi le renforcement de la coopération qui a triplé depuis ces années de 30 à 120 millions d ’euros dans les domaines de l’agriculture durable, les énergies renouvelables ou la numérisation des archives, avec un programme d’échange unique d’experts.

Pour l’analyste et ex-diplomate cubain Carlos Alzugaray, même si cinq années « semble peu quand il a fallu tant d’années pour arriver à ce point », l’important est que « le processus ait avancé plus ou moins sans contretemps et qu’il ait servi à connaître et éliminer les stéréotypes réciproques qui existaient entre Cuba et l’U.E.
Les deux acteurs politiques ont souffert des changement importants ces cinq dernières années mais la volonté de continuer à avancer a toujours été présente » ajouta l’expert.

L’Europe face aux sanctions des Etats Unis.

Le coup de barre des Etats Unis en direction de Cuba n’a pas entamé la détermination du vieux continent de conserver d’étroites relations, cela a été un coup pour les intérêts économiques et les investissements croissants des entreprises européennes sur l’île.

Washington non seulement a freiné le dégel mais a renforcé le blocus en vigueur depuis 60 ans avec des nouvelle sanctions dont la réactivation de deux dispositions de la loi Helms-Burton qui permettent de demander réparation devant des tribunaux des Etats Unis pour les entreprises dont les biens avaient été confisqués après la révolution de 1959.

En ce moment il y six plaintes contre des entreprises européennes au Etats Unis.
La situation a affecté négativement les intérêts économiques de nos entreprises et de nos concitoyens, a reconnu Navarro.

Le diplomate rappela que l’U.E. et ses membres ont toujours dénoncé les sanctions unilatérales et particulièrement leur traduction extraterritoriales : « Nous les considérons contraire au droit international, illégales, inefficaces et contreproductives car elles font du mal à des innocents et au peuple cubain. De plus, avec la pandémie du COVID-19, elles sont immorales ».

Des mesures dont l’impact est « difficile à mesurer parce qu’avant tout dissuasif » et les investissements se font ailleurs.

D’autre part, pour Carlos Alzugaray, l’hostilité des Etats Unis « a renforcé la volonté politique des deux acteurs à aller de l’avant ». L’U.E. « a réagi avec fermeté avant les mesures prises par Trump ».

« Cela ne fait aucun doute que l’U.E. dans son ensemble est le principal partenaire commercial et important en matière d’investissements étrangers directs. Cuba le voit comme une expression de la volonté politique européenne et c’est son intérêt de la maintenir », souligna l’ex-diplomate.

Le dilemme vénézuélien.

Une autre divergence entre les Etats Unis et l’U.E. quant à la politique envers Cuba passe par le Venezuela, le principal allié politique et économique de l’île. Tous s’accordent à dire que Cuba est un acteur important à l’heure de trouver une porte de sortie à la crise vénézuélienne.

Washington soutient que le gouvernement cubain est la clef pour maintenir Nicolas Maduro au pouvoir.

Il a surtout utilisé les sanctions comme outil de pression. Tandis que le bloc Européen qui a appliqué des sanctions à Caracas, opte pour une solution de dialogue et se démarque du « groupe de Lima », plus belligérant.

« L’U.E. qui a créé un groupe de Contact, a un envoyé spécial sur place et veut impulser une solution pacifique et démocratique promue par les propres vénézuéliens. Mais nous aimerions que Cuba fasse partie de cette solution », a considéré l’ambassadeur européen à la Havane.

Au bénéfice de Alzugaray, la proximité entre Cuba et le Vénézuela « n’a pas eu paradoxalement d’effet négatif » dans la relation entre l’U.E. et ses membres. « En général, ils comprennent que la position de Cuba est justifiée ».

« Je crois qu’ils veulent aussi que Cuba joue un rôle d’interlocuteur valide ». Cuba apprécie qu’avant ces énormes pressions de Washington, les européens avaient préféré se démarquer et continuer de travailler avec le groupe de Contact plutôt qu’avec le groupe de Lima.

Avancées inimaginables des droits de l’Homme.

La tache européenne d’avancer par le dialogue a aussi atteint le controversé champ des droits de l’Homme. Selon l’ambassadeur « on a beaucoup avancé » jusqu’à atteindre « des réussites inimaginables il y a quelques années ».

« Nous avons beaucoup de contacts, et avec respect et franchise, nous avons construit une relation de confiance sans tabous. Nous pouvons parler de tout et nous aimerions aller plus loin ». Il a précisé qu’il n’y a pas de sociétés parfaites » et parler des droits humains à Cuba suppose aussi parler de l’embargo et également de la base navale de Guantanamo » où se violent les droits internationaux et humains les plus élémentaires.

Les pas dans ce sens incluent aussi les contacts et projets « dans la bonne direction » avec la société civile indépendante de Cuba.

Sur la plus grande belligérance du parlement européen quant au respect des droits humains sur l’île, le diplomate rappela qu’en Europe « chaque institution a sa propre vie et modèle".

Les cubains sont de plus en plus conscients de la complexité européenne, avec 27 états de sensibilité différente et la même chose arrive avec les différents chefs des institutions européennes ».

L’inconnue après Cotonou

Concernant les thèmes en suspens, tant Navarro qu’Alzugaray pensent que la clef se trouve dans les alliances commerciales.
Cuba n’a pas encore décidé si elle signera le nouvel accord que négocient le bloc (Européen) et les pays ACP (Afrique Caribe et Pacifique) en remplacement de celui de Cotonou.

Le manque d’accord commercial laisse l’île en désavantage sur le marché européen. Par exemple, les fameux cigares cubains payent une taxe de 27% et les crevettes 12%.

Il reste aussi à voir l’implantation de la banque européenne d’investissements (BEI) dans le pays. De plus l’U.E. regarde vers les entrepreneurs et l’accroissement des petites et moyennes entreprises, un secteur encore sans législation.