Fidel et la culture

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Fidel et la culture

Fidel Castro durante el discurso conocido como "Palabras a los intelectuales", en la Biblioteca Nacional, el 30 de junio de 1961. Foto : Archivo del sitio Fidel Soldado de las Ideas.


Je suis une survivante de ces journées intenses de débat à la Bibliothèque Nationale qui s’achevèrent avec le discours de Fidel connu ensuite sous le nom de Message aux Intellectuels. Le profil des participants étaient varié. La plupart étaient écrivains ou artistes mais il y avait aussi des historiens et des architectes en accord avec une conception globale de la culture. C’était au mois de juin 1961, deux mois seulement après la victoire remportée à Girón. La tenue du congrès qui allait être à l’origine de la naissance de l’Uneac était toute proche.

La commémoration des éphémérides ne peut rester figée dans un rituel évocateur d’un ensemble de photos fixes et immobilisées dans le temps. Elle offre l’opportunité de mobiliser la réflexion productive ouverte aux grands thèmes contemporains. L’évènement qui posait les fondements de la politique culturelle de la révolution cubaine a fait couler beaucoup d’encre. Animés par des intérêts politiques opposés, certains se sont concentrés sur l’analyse de la célèbre formule « tout dans la Révolution, rien contre la Révolution » synthèse de l’un des aspects abordés dans l’examen du vaste domaine de la culture. C’était des réponses apportées aux interrogations sur la liberté de création, qu’a soulevées le véto opposé par l’ICAIC à la projection du documentaire PM dans les cinémas.

L’approche fragmentée fait abstraction du contexte. La victoire remportée à Giron n’impliquait pas l’abandon du blocus infligé à Cuba. La subversion qui encourageait le recours à la violence a continué. Avec ce soutien, les rebelles ont persisté à l’Escambray et dans d’autres territoires ruraux. Ils imposaient la concentration de ressources militaires et paralysaient le développement économique dans ces régions. L’appel à l’arrêt des agressions a conduit à la crise d’octobre. Par ailleurs, la révolution n’a pas renoncé à la singularité de son projet. Le choix socialiste fusionnait organiquement avec la fidélité à la cause décolonisatrice et à l’engagement internationaliste tel qu’allait le ratifier la II Déclaration de La Havane, début 1962. La voie socialiste garantissait la défense de la souveraineté nationale toujours reportée. Cependant comme l’affirmerait Fidel à de nombreuses occasions tout au long de sa vie, le meilleur moyen d’y parvenir restait à déterminer. Les polémiques de l’époque à ce sujet sont bien connues, et nombre d’entre elles encouragées par le Che. Sans taire la pluralité des points de vue, il fallait construire un consensus dans la vie publique et la culture, ce qui ne signifiait pas imposer une homogénéité de la pensée, mais conjuguer des volontés diverses en fonction de la réalisation d’un projet social.

Dans le domaine de la culture, la direction de l’UNEAC a entériné la reconnaissance de la convergence générationnelle et l’engagement actif des porteurs des différentes orientations esthétiques. Lezama et Carpentier, ainsi que Roberto Fernandez Retamar, Lisandro Otero et Fayad Jamis se rassemblaient autour de Nicolas Guillén. Pablo Armando Fernandez allait être le détenteur des clefs de la grande maison du 17 y H.

Une lecture attentive de Message aux Intellectuels révèle que le discours est en lien avec les réponses aux problèmes posés lors du débat. Je me souviens, par exemple, qu’un écrivain catholique a demandé s’il pourrait poursuivre sa mission intellectuelle dans la perspective philosophique qu’il avait adoptée. La réponse fut positive. Dans ce contexte une plateforme conceptuelle qu’il faudrait consolider au fil des années, a également vu le jour. La culture était historiquement l’une des richesses des cubains à laquelle on avait porté atteinte. Elle était étroitement liée à l’accès à l’éducation et comme stimulant de la pensée créative dans tous les domaines. C’était l’année de la Campagne d’Alphabétisation, et les fondements de la Réforme Universitaire ont été posés, alors que naissaient les Instituts de recherche scientifiques et qu’était planifiée la formation des enseignants d’art. Dans une démarche audacieuse Fidel allait parrainer l’apparition des Editions Révolutionnaires. Victimes de la colonisation, nous avions le droit de nous approprier le savoir accumulé dans le premier monde au prix du pillage des territoires périphériques. On pouvait lire sur une affiche placée dans l’entrée par la Bibliothèque Nationale une citation de Fidel : « La Révolution ne te dit pas : crois, la révolution te dit : lis. »

Paradoxalement, au plus dur de la période spéciale, ces idées ont repris de l’importance. Le dialogue avec les intellectuels est devenu plus fréquent. Dans des circonstances si défavorables atténuées par l’euphorie néolibérale, Fidel a sauvé le concept d’« universalisation de l’université ». L’éducation supérieure ne pouvait avoir comme objectif que celui de former des professionnels pour répondre aux besoins de spécialistes. Au-delà du but utilitaire, il offrait l’accès à de plus amples horizons et à la conquête d’une richesse spirituelle croissante.

Fragilisée et dans une regrettable mise entre parenthèse de notre processus historique, la politique culturelle fidéliste mérite une analyse globale pour préserver sa portée stratégique d’une exceptionnelle actualité face aux défis dus aux conséquences de la pandémie. Nombreuses sont les énigmes, mais le crépuscule de l’euphorie néolibérale est annoncé. Les statistiques effrayantes de malades sans protection, de cimetières débordés, témoignent de la crise de la société malade du racisme et de la fièvre de l’or et menacée par la destruction de la planète. Il est temps de refonder avec les outils de la culture et une bataille efficace des idées qui nous impliquent tous, parce que comme nous l’a montré la pandémie, nous sommes tous menacés. Dans ce contexte, la pensée de Fidel, sauvée dans son intégralité, continue à éperonner Rocinante
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http://www.cubadebate.cu/opinion/2020/06/29/fidel-y-la-cultura/#.Xwt_qXUzaW8