Trois moments pour se rapprocher d’Eusebio Leal

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Cet article était prémonitoire. J’avais demandé à notre ami Gonzalo de le faire traduire rapidement, ce qu’il a fait lui même... Le décès d’Eusebio Leal, que nous redoutions, est hélas venu nous devancer...
RG

Par Sheila Barros Fals
Paru sur le site du Bureau de l’Historien de Camagüey le 15 Juillet 2020

J’avais seulement dix ans lorsque je le vis pour la première fois. C’était pendant les journées du 3ème Congrès des Pionniers à La Havane. Il avait organisé un déjeuner sur la place même de la Cathédrale pour ceux qui savent aimer, comme il le dit en cette occasion en paraphrasant Marti.

Je l’avais vu à la télévision ; mais sa voix humble et le voir agir de si près n’avaient pas de comparaison. Il nous parla de l’Apôtre, de ce que nous représentions pour l’humanité, de construire un futur radieux pour l’Île. Tant de conseils qu’avec mes jeunes années, je les ai brodés pour toujours dans mon âme jusqu’à aujourd’hui où je le partage. Aujourd’hui où je parviens à exprimer l’impact de cette première rencontre.

Nombreux furent les enfants qui l’approchèrent quand il termina son intervention pour lui poser des questions et même pour se faire photographier avec lui afin de perpétuer l’instant. Je n’ai pas osé parler beaucoup, j’en avais même perdu la faim non pas parce que le délicieux déjeuner qu’il offrait n’aurait pas satisfait le moindre des goinfres mais parce que j’ai senti que tout ce qu’il nous avait expliqué était bien supérieur à quelque question ou appréciation que ce soit de ma part.

Un peu timide et un peu nerveuse, je me suis approchée et je l’ai remercié. Avec son sourire savant, il m’a offert le plus beau des souvenirs, non pas de ceux que je garde en photo mais bien dans mon cœur.

Les années passèrent…
Oui, le temps passa et un aigle passa aussi sur la mer ; et de l’odeur du sel et des mouettes de mon inoubliable Nuevitas* , j’ai dépassé mon destin dans ces terres de tinajones * et hommes de vergogne. J’ai commencé à m’accomplir en tant que journaliste sur la page web du Bureau de l’historien de Camagüey (OHCC).

*NdT :
Nuevitas : Ville de Cuba. Près de Nuevitas se trouve la Playa de Santa Lucía, un des sites touristiques les plus célèbres de Cuba.
Tinajones :Grandes jarres en terre cuite qui étaient placées dans les patios afin de conserver l’eau douce.

Lors des premières rencontres organisées autour du défi de l’organisation des cités, l’événement le plus important que réalise l’institution qui sauvegarde le patrimoine dans la province, on commentait seulement les inoubliables interventions d’Eusebio mais on n’avait jamais pu le joindre jusqu’à ce qu’en 2019 sa participation fût confirmée.

Puis le moment arriva
Un théâtre préparé avec tous les honneurs qu’il mérite, des illuminations et un lieu au centre de la scène pour tenir une conférence. Eh bien non ! En arrivant, il n’était pas d’accord avec tout ce protocole, encore moins avec la composition avec la table et la chaise très baroque. Tout cela était très froid et trop loin du public, de ses pareils. L’humilité et cette grandeur qui le rendent unique sont le meilleur de ce qui fait sa personne. En un instant, tout de ce qui avait été prévu pour son accueil fut changé. Les caméras, journalistes et tous les présents paraissaient des abeilles dans la ruche en s’agitant d’un côté et d’autre. Parce qu’Eusebio laissa moins d’un mètre de distance et il commença à dialoguer du côté spécial que nous avons, nous cubains, de l’histoire de Camagüey, de la beauté des femmes d’ici.

Il en est résulté un échange si agréable, comme ceux auxquels il nous habitue mais qui aussi deviennent si spécifiques. Les aiguilles de la montre tournèrent pendant 45 minutes et nous restâmes tous assis en attendant plus.

Cette fois, je ne pouvais pas me dispenser, très personnellement, de recueillir ses impressions. Ce n’était plus la petite fille des années passées. J’avais avec moi le texte Carlos Manuel de Céspedes, le journal perdu avec l’intention d’en partager des idées et de repartir avec un autographe à l’intérieur. Sans ressembler à une composition de primaire, avec ces mots …« ce fut inoubliable »… J’ai même aidé une femme passionnée par son œuvre à s’approcher et à lui offrir une collection de livres qu’elle embrassait avec tant de tendresse qu’il en fut touché.

Un Eusebio qui vit à Camagüey
Le travail indescriptible d’Eusebio Leal, plus dans ses aspects personnels que les professionnels, transcende les générations et les barrières dans le temps. Son empreinte spirituelle dans chaque ville de cette île qu’il aime et qui sa grande demeure. Il ,’y a pas que La Havane qui s’honore de l’avoir, Camagüey et ses habitants apprécient chaque inauguration.

J’ai toujours vu José Rodriguez Barreras, Directeur du Bureau de l’Historien de la ville Camagüey travailler avec sérieux et centré sur les projets de cette ville de bergers et de sombreros qu’il défend tellement. Mais au-delà de cet homme construit dans son travail pour la préservation d’une ville à laquelle il se consacre, j’ai découvert il y a seulement quelques jours un homme reconnaissant et sensible qui pourrait dire que le meilleur des mentors qu’il puisse avoir c’est Leal.
Lors d’un entretien pour une prochaine émission télévisée que prépare Audiovisuales Principe consacrée à Eusebio, il nous commenta toutes les relations avec Camagüey qu’a cet homme incroyable. Cela remonte à des années en arrière avant même la création du Bureau de l’Historien à Camagüey. L’histoire de la ville, riche, a séduit l’orateur et l’a alors fait rêver d’une institution qui veillera sur la conservation du patrimoine et le révélera.

Avec Joseito, nous avons pu découvrir cet homme simple que les scénarios (NdT : le mot au pluriel peut aussi s’écrire « scenarii » mais c’est de l’italien. En France, les deux orthographes sont admises. Je choisis la façon française) les plus sombres ne parviennent pas à en éteindre la lumière ; cet homme qui préférait une chaise dans la petite cuisine – au siège de l’OHCC – plutôt qu’aller dans luxueux restaurant, cet homme qui ressent Agramonte dans ses veines, cet homme dont l’acharnement et l’honnêteté lui ont permis d’ériger de colossales œuvres d’amour, cet homme duquel je me suis approchée pour la troisième fois malgré la distance à partir des paroles de l’un de ses élèves les plus expérimentés.

Je remercie la vie pour me placer au bon endroit à chaque instant, pour me donner la possibilité d’offrir par mon humble écriture mon admiration et celle de ma terre à Eusebio Leal.