FLOR CROMBET et son petit-fils ROMULO LA CHATAIGNERAIS

par COLLECTIF MEMOIRE DES RELATIONS FRANCO-CUBAINES

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Notre ami Alfred CONESA, directeur de recherche à l’INRA, Président Honoraire d’AGROPOLIS à Montpellier est l’auteur d’un roman publié en juin 2019 et qui est consacré à Flor Combret "Le baiser de Cuba" Un destin français sur le chemin de l’indépendance cubaine.
L’ouvrage est publié aux éditions ERICKBONNIER.
RG

COLLECTIF MEMOIRE DES RELATIONS FRANCO-CUBAINES

Mail : memoirefrancocubaine2020@gmail.com

DU « PETIT FRANÇAIS » Fils d’esclave et de colon,
LE GÉNÉRAL INDÉPENDANTISTE FLOR CROMBET

À son petit- fils, ROMULO LA CHATAIGNERAIS
PIONNIER DES ETUDES AFRO-CUBAINES

Texte écrit par DANIEL CHATELAIN :

. Membre de la Société Française d’Ethnomusicologie. Doctorat de 3e cycle de Sociologie après des études concernant aussi la Géographie, l’Histoire et l’Anthropologie.

. Retraité du département de Musique de l’Université Paris 8.

. Ancien animateur de la revue Percussions pour les musiques traditionnelles.

. Publications sur la musique cubaine à partir de 1993.

. Président de l’Association Culturelle Internationale Transrythmes.

. Créateur des échanges culturels Ritmacuba (Matanzas et Santiago de Cuba) et Ritmabahia à partir de 1989.

. Directeur de rédaction du site ritmacuba.com, chaîne YouTube D Ritmacuba.

Nous lui laissons la parole :


I - FLOR CROMBET : LE « PETIT FRANÇAIS »

FILS D’ESCLAVE ET DE COLON ET HÉROS CUBAIN

Flor Crombet

« FLOR CROMBET est né le 22 novembre 1850 ? (ou le 17 septembre 1851 ?) dans la caféière La Ninfa, dans le « quartier » de Brazo del Cauto, non loin d’El Cobre.

Sa famille paternelle est française, venue de l’île de La Grenade (qui a été par deux fois française entre 1690 et 1785). Il était fils de l’esclave MARIA DEL ROSARIO. Dans son testament de 1852 le père, FRANCOIS/FRANCISCO déclare avoir deux enfants naturels, « MANUEL et « FLORES ». Ses parents meurent du choléra alors qu’il est très jeune.

Il est recueilli par le frère de son père EMMANUEL/MANUEL CROMBET et ISABEL(LE) BALLON - tous les deux nés à CUBA - et est élevé dans une autre caféière, BELLA VISTA dans le quartier de HONGOLOSONGO, également près d’El COBRE (ces caféières étaient nommées le plus souvent en français par leurs propriétaires : LA NYMPHE, BELLE VUE etc, mais c’est la traduction castillane qui a été reconnue).

BELLA VISTA, une des grandes caféières « de Français » répertoriée, située à environ 450 m. au- dessus de la mer, est connue localement pour son « minaret » qui domine toujours le paysage environnant.


Du côté de Hongolosongo

MANUEL et ISABEL le reconnaissent comme fils légitime sous le nom de FRANCISCO ADOLFO CROMBET.

Quand il se mariera au Costa Rica (en exil) en 1892 il dit s’appeler ADOLFO FLOR CROMBET TEJERA, mais déjà il n’est connu exclusivement que comme FLOR CROMBET. Le jeune métis reçoit la meilleure éducation dans la plantation familiale et s’y relaient des professeurs de la communauté française. Au français et à l’espagnol s’ajoutent l’enseignement de l’anglais et de l’italien. Il devait aussi parler le créole qui servait de langue de communication dans ces plantations, mais on n’en connaît pas de témoignage.

Au début du soulèvement indépendantiste en 1868, à 17 ans, il intègre une « compagnie » indépendantiste nommée « La FRANCESITA » (La petite française), aux côtés du commandant COUREAU, de son frère EMILIANO CROMBET et des esclaves libérés : Camilo Crombet, Noel Crombet et Cefiro Coureau (à Cuba les esclaves prenaient systématiquement le nom de leur maître).

Son frère Emiliano meurt en janvier 1872 dans l’attaque d’une caféière défendue par l’armée espagnole, l’Eden(1).

A la mort du commandant COUREAU, la compagnie est dirigée par FLOR, et sera connue plus tard sous le nom de « La CRIOLLA » (La Créole).

Le président de la République en arme, CARLOS MANUEL DE CESPEDES, qui a lui-même libéré ses esclaves et les a enrôlé dans la guerre, le décrit dans une lettre de 1872 comme : « un ’’FRANCESITO’’ (un petit français) créole, grand et fin, très élégant et sympathique ; il promet d’être un de nos meilleurs chefs ».

Cet irréductible gagne ses galons sur le champ de bataille et participe en effet aux trois guerres d’indépendance, en unissant ses efforts avec le général ANTONIO MACEO. Il refuse tout contact avec l’ennemi et fait même reproche à MACEO d’avoir envisagé des pourparlers dans la première guerre.

Leaders cubains (1895) avec de gauche à droite et de haut en bas :

Commandant Antonio Collazo, Général Flor Crombet, Général Antonio Maceo, Brigadier Cedreco, Colonel Salvador Rosado, Brigadier Morua, Commandant Borja, Colonel Aurelio Castillo, Commandant Manuel Peña, Commandant Castillo... et le chien d’Antonio Maceo appelé ’Cuba libre’

(Source : Nostalgia Cuba)

Cette photo le montre à la droite du ’géant’ MACEO avec le port de chapeau d’un fier vigneron du Languedoc et une lavallière (cravate souple nouée en deux larges boucles) très ’fleur au fusil’. La moustache cache une cicatrice à la lèvre supérieure issue d’un combat. 

Issu du monde des caféières françaises de Cuba, le paradoxe est qu’il participe aux combats qui aboutissent aux premières destructions par le feu des cafetales des Français, quasi-généralisées au fil de la guerre, entre assauts et politique de la « terre brûlée ». Tandis que GOMEZ et MACEO ont établi leur base d’opération dans la caféière Aguacate du Mont Taurus (Monte Rus) dans l’actuelle Province de GUANTANAMO, il participe entre autres, aux prises contre les troupes espagnoles de “Nueva Málaga”, “La Dorotea” (1868), “La Matilde”, “La Aurora” (1869), “El Cristal”, gagnant ses galons un à un et, déjà comme commandant, de la cafetal La Indiana” (1871).

En 1895, avec le titre de général, il a le commandement de la goélette qui ramène à Cuba les frères ANTONIO et JOSE MACEO. Une fois effectué, ce qui sera connu comme le débarquement de DUABA, il cède le commandement au prestigieux ANTONIO MACEO.

Il mourra au combat, le 10 avril 1895. Peu après, les frères MACEO se sortent, eux, de ce guêpier, ce qui permet à ANTONIO MACEO de conduire ’l’invasion’ de l’Ouest du pays.


A Duaba, le monument au débarquement des frères Maceo et Flor Crombet

Un fils de FLOR CROMBET était né au COSTA RICA. Il reviendra au petit-fils De FLOR CROMBET, lui aussi né dans ce pays, mais devenu colonel cubain de faire le récit du débarquement héroïque de son grand-père dans un livre intitulé ’LA EXPEDICION DEL HONOR’. Ce récit sera à son tour magnifié en 2013 dans une série télévisée cubaine de 17 volets ’DUABA. LA ODISEA DEL HONOR’.


Maceo et Crombet dans la série télévisée ’Duaba. La Odisea del Honor’

JOSE MARTI a dit de lui après l’avoir rencontré « ...FLOR a un cœur noble, un jugement sain et pense comme je pense sur le futur destin de Cuba »

A Santiago de Cuba, le parc connu sous trois noms différents : Placita de Santo Tomás, Placita de los Mártires et Parque Flor Crombet, ce dernier étant le nom officiel. Avec l’obélisque dédié à Flor Crombet, en minerai de de la mine d’El Cobre, de son territoire d’origine. Photo Miguel Rubiera Justiz/sdl

Alignement des héros à Santiago de Cuba

II - ROMULO LACHATAIGNERAIS (PETIT-FILS DE FLOR CROMBET)

PIONNIER DES ETUDES AFRO-CUBAINES

Romulo Lachatañere (Lachataignerais)

Après la mort de COUREAU, FLOR CROMBET avait uni sa vie à la sœur de son camarade de combat, nommée CECILIA. Les déclarations de propriété au consulat français(2) nous font faire l’hypothèse que les COUREAU (parfois écrit CUREAU) seraient en fait au départ des COURONNEAU, (nom bien compliqué à prononcer pour des hispanophones !), ceux qui possédaient la plantation LA MERCED.

FLOR et CECILIA donnent à leur fille le nom de FLORA. Celle-ci se maria à un autre descendant de Français de la province orientale, La CHATAIGNERAIS, avec qui elle eut cinq enfants, le benjamin, ROMULO naissant à SANTIAGO DE CUBA le 4 juillet 1909.

Un esprit aussi résolu que son grand-père comme nous allons le voir.

ROMULO LA CHATAIGNERAIS fait ses études secondaires dans sa ville natale, puis obtient son doctorat en pharmacie à l’Université de La HAVANE.

Il lutte contre la dictature de GERARDO MACHADO dans les rangs des étudiants. Plus tard, il rejoint le Parti communiste de Cuba. Il purge une peine de prison pour avoir participé à la grève de mars 1935. Il part, grâce à une bourse, aux ÉTATS-UNIS et combat pendant la Seconde Guerre mondiale.

NICOLAS GUILLEN le décrit comme « un homme de visage fin et à la voix douce, un jeune intelligent et curieux, confiant en lui-même“.

Quand il commence à publier, est-il las d’entendre son nom « exotique » maltraité par une prononciation à l’espagnole ? Veut-il ne pas marquer de distance par rapport à son lectorat ? Toujours est-il qu’il décide de modifier son nom en lui donnant une orthographe castillane « Lachatañeré ».

Forcément fier d’être le petit-fils d’un héros de l’indépendance bien éduqué et justement glorifié, qu’il n’a pu connaître directement, il sait qu’il est aussi l’arrière- petit-fils d’une esclave dont on connaît très peu de choses. Son approche de la vie populaire, de la religion populaire, c’est-à-dire des cultes afro-cubains, dans les périples peu fortunés de sa vie havanaise l’amène à publier dans ce domaine.

Il collabore dans les journaux ’DIARIO DE CUBA’ (Santiago de Cuba) et ’NOTICIAS DE HOY’ (La Havane) et dans les revues ’ESTUDIOS AFROCUBANOS’ (où il a publié ’El sistema religioso de los lucumís y otras influencias africanas en Cuba, entre 1939 et 1940), ’MEDIODIA ’ (proche du parti communiste), tous deux de La Havane, et VISION de New York. Il donne de nombreuses conférences.

Il publie « Oh mio Yematá, cuentos y cantos negros » (1938), avec une préface de FERNANDO ORTIZ (lequel accepte de la part du jeune chercheur le rejet du terme « brujeria », sorcellerie, pour parler du système religieux lucumí(3)) et « El Manual de Santeria », qui porte deux sous-titres différents : sur la couverture « Estudios afrocubanos » et dans le texte « El sistema de cultos Lucumí ». Ce dernier livre paraît à La Havane en 1942 (alors qu’il réside déjà depuis deux ans aux Etats-Unis), là encore dans une maison d’édition liée au parti communiste.

Ces deux publications en font un pionnier des études afro-cubaines aux côtés de FERNANDO ORTIZ et LYDIA CABRERA. Et aussi un intellectuel révolutionnaire analysant le rôle de la question noire dans la nécessaire transformation sociale et politique.

L’ensemble de ses écrits sur les cultes afro-cubains est réédité à La Havane en 1993 sous le titre « El sistema religioso de los afrocubanos » avec une importante préface de l’historien ISAAC BARREAL (plusieurs rééditions).

Dans un article d’abord publié en anglais, ’Quelques aspects du problème noir à Cuba’, l’analyse distanciée des contradictions entre noirs et mulâtres et des divisions entre mulâtres, se joint à la connaissance intime de son milieu d’origine et de sa mentalité, héritée du côté paternel comme maternel : ’Ces divisions, quoique surgies au cours de l’histoire par le caractère particulier de l’économie esclavagiste de la région, ont été aussi influencées par chaque groupe de mulâtres, aussi bien les descendants des Français - à travers des réfugiés qui échappèrent à la révolution haïtienne - que les mulâtres hispanophones. Le premier groupe reçut une éducation ’à la française’, avec un sens libéral certain, plus complète que celle reçue par les descendants d’espagnols. Ils reçurent des avantages économiques sur les seconds, considéraient ceux-ci inférieurs culturellement et s’ils ne se séparèrent pas d’eux, du moins ils les considéraient avec condescendance. Les mulâtres de culture française, appelés ’les Français de la Rue Le Coq’ (en français dans le texte), du fait de la coutume reculée dans le temps d’installer leurs commerces dans la rue appelée ’calle del Gallo’ à Santiago de Cuba, s’efforcèrent de vivre à la manière française et dépréciaient le dialecte dérivé de l’espagnol : ’pagnol’, préférant parler le patois dérivé du français’ (notre traduction)...

Vers 1900 et en 2020 : Croisement de la rue Gallo et bas de la rue Enramadas (montante) Santiago de Cuba. 1-La banderole correspond à l’hôtel historique français ’de Lassus’. 2-Le symbole du coq à l’origine du nom de la rue (un coq de métal surmontait une maison de Français).

À sa mort dans un accident d’avion à PUERTO RICO (en 1951), l’intellectuel engagé en même temps que biologiste (déclassé du fait de sa vie militante) ROMULO LACHATANERE né LACHATAIGNERAIS était employé de laboratoire au Columbia University Hospital et membre du Parti Communiste des ÉTATS-UNIS.  »

(1) Crónicas de Santiago de Cuba d’Emilio Bacardi Moreau

(2) Recensement des propriétés de Français à Cuba au Consulat de France de La Havane de 1843
(3) Ce qui était une critique implicite de Fernando Ortiz qui avait publié un livre au titre plus tard contesté ’Los Negros Brujos’ (Les Noirs Sorciers).



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SOURCE :
http://www.ritmacuba.com/De%20Flor%20Crombet%20a%CC%80%20Romulo%20Lachatan%CC%83ere.html


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