Eusebio Leal, l’homme

par Mario Cremata Ferran

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Aujourd’hui, un peu plus d’un mois après son départ physique, outre le fait d’avoir ritualisé à jamais ce beau geste des draps blancs suspendus aux balcons, l’hommage le plus sincère que nous puissions rendre à Eusebio Leal est de nous pencher sur sa vie, avec respect, comme il demandait qu’on le fasse pour nos grands hommes, en les acceptant tels qu’ils étaient, sans nier leurs contradictions et leurs défauts...

Auteur : Mario Cremata Ferran | internet@granma.cu

Eusebio Leal avait coutume de dire que beaucoup, y compris les femmes qui l’ont accompagné tout au long de sa vie, s’amourachaient du personnage. Mais lorsque la nuit venait et qu’il enlevait ses vêtements gris, et qu’il s’écroulait, une fois qu’il avait perdu ses forces dans sa lutte quotidienne, survenait la déception envers la personne réelle et ordinaire.

Quand les hommes cessent-ils d’être de simples mortels pour devenir des êtres de légende ? Le mythe nous apparaît-il irrémédiablement en rupture avec l’échelle humaine qui l’a précédé dans le temps ? Dans quelle mesure est-il sain de choisir une moitié et de rejeter l’autre ?

Eusebio Leal et Mario Cremata en février 2018 à l’occasion de la Foire du Livre de La Havane. Il s’agissait notamment de la présentation de l’ouvrage "Nuestro amigo Leal" recueil des messages à l’occasion de son 75e anniversaire. Eusebio concluait la rencontre en déclarant "J’appartiens à une génération avide de justice et de connaissance. La culture est la fontaine salvatrice".

...Ces idées me poursuivent aujourd’hui, alors que l’Historien de La Havane aurait fêté son 78e anniversaire. Et ces questions ont beaucoup à voir avec la manie de certains biographes de grandes figures de l’histoire de nous offrir un portrait immaculé qui ne fait que séparer les deux ailes de l’oiseau.

Eusebio fut un cubain enfant de son époque qui s’est construit au prix de la sueur et du sacrifice. Un autodidacte qui a dû surmonter les épreuves les plus difficiles et franchir de nombreux obstacles pour voir ses rêves se réaliser. Un jeune patriote épris d’histoire et l’idéal libérateur de cette Île, qui s’est attaché à magnifier cet héritage par une œuvre au service de la nation.

Il avait des défauts, c’est vrai ; il a négligé sa vie personnelle pour défendre l’utopie à laquelle il croyait sans réserve, c’est vrai aussi. Mais tout cela n’enlève rien au fait qu’il était un homme éclairé, un être unique qui a consumé son existence parmi les pavés, les canons, les drapeaux et les machettes.

Parce qu’il a cru en la valeur des symboles et a défendu, comme une colombe armée, tout ce qui faisait référence à notre grandeur morale, à l’espace de l’éthique cubaine dans laquelle nous souhaiterions vivre, si magnifiquement décrit par Cintio Vitier dans le livre Ese sol del mundo moral (Ce soleil du monde moral).

Aujourd’hui, un peu plus d’un mois après son départ physique, outre le fait d’avoir ritualisé à jamais ce beau geste des draps blancs suspendus aux balcons, l’hommage le plus sincère que nous puissions rendre à Eusebio Leal est de nous pencher sur sa vie, avec respect, comme il demandait qu’on le fasse pour nos grands hommes, en les acceptant tels qu’ils étaient, sans nier leurs contradictions et leurs défauts

C’est seulement ainsi que ceux à qui il n’a pas été donné de vivre durant son époque, ceux qui le connaîtront à peine en statue de bronze, ou de marbre, pourront ressentir les vibrations d’un homme extraordinaire, mais fait de chair et de sang.

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