Omara Durand et l’évènement de la décennie aux Jeux Paralympiques

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Omara Durand et l’évènement de la décennie aux Jeux Paralympiques

Article de Joel García León, 8 septembre 2020, Trabajadores, Organe de la Centrale des Travailleurs de Cuba. Traduit par Pascale Hébert.

Depuis une dizaine d’années, l’athlète cubaine déficiente visuelle, Omara Durand, 28 ans, enchaîne les performances et les records du monde sur 100, 200 et 400 mètres. Elle vient d’être distinguée par le vote des internautes. C’est l’occasion de rééditer une interview où elle raconte son parcours et plaide pour une meilleure prise en compte des athlètes porteurs de handicap. Pascale Hébert

La nouvelle a réchauffé les cœurs au milieu de la pandémie et nous l’a rappelée en train de courir. Omara Durand s’est imposée ce dimanche lors de la consultation du Comité Paralympique international, réalisée sur le réseau social Twitter, pour décider quel a été le meilleur moment des Jeux Paralympiques de la dernière décennie (Rio de Janeiro 2016 et Londres 2012).

Omara Durand

Au dernier tour, les internautes ont donné le plus grand nombre de voix à l’Antillaise (429), qui a devancé de 200 points la cycliste britannique Sarah Storey (229). Ce qui a fortement joué c’est le caractère spectaculaire de ses trois médailles d’or d’il y a quatre ans sur le sol brésilien, où elle a imposé trois records mondiaux et olympiques : 11.40 secondes au 100 mètres, 23.05 sur le 200 mètres et 51.77 secondes au 400 mètres.

Cette sorte de sondages virtuels se sont développés pendant cette période de Covid-19, alors que beaucoup d’athlètes n’ont pas pu retourner à leurs entraînements, mais le plus remarquable c’est qu’à peine le résultat connu, elle a reçu les félicitations du Président cubain Miguel Díaz-Canel Bermúdez, qui l’a désignée comme la reine des Jeux Paralympiques de la dernière décennie.

Nous vous offrons ci-dessous une interview exclusive que nous lui avions faite à son retour des Jeux Olympiques, comme digne hommage à cette sportive cubaine.

Omara, que tu es grande, Omara !

Ce lundi 18 avril seront remis à Berlin les prix Laureus World Sports dans les différentes catégories. Pour la première fois une sportive cubaine, Omara Durand, a été choisie parmi les sélectionnés, dans la classe Meilleure Sportive handicapée de l’année 2015. Elle nous a accordé cette interview exclusive quelques heures avant de partir pour la capitale allemande.

Avant la première question, Omara a montré un sourire timide et simple. Comme ça arrive bien souvent, elle préfère courir sur le sol dur de la piste plutôt que de se soumettre à une interview. A 24 ans à peine, elle a été élue meilleure athlète des sports pour handicapés de Cuba en 2015, et il y a un mois seulement, sa sélection pour les Prix Laureus a été rendue officielle.

Ses médailles et ses records mondiaux sont impressionnants pour une si jeune carrière. Je lui ai proposé d’échanger en écoutant comme musique de fond une chanson de Silvio Rodríguez, immortalisée par une autre Omara, Omara Portuondo « Notre époque donne naissance à un cœur ». Les voix ne se sont pas confondues. Voici le témoignage de l’athlète.

J’ai demandé à mon ombre/ voyons comment je me débrouille pour rire/ tandis que les pleurs, avec une voix de temple/ éclatent dans la salle en arrosant le temps.

« Je suis née dans le quartier Desys, dans la commune de Santiago de Cuba. Trois sports me plaisaient : le volley-ball parce que je regardais les Brunes des Caraïbes à la télévision, la gymnastique rythmique pour l’avoir pratiquée pendant une courte période, et l’athlétisme, sport pour lequel j’ai été recrutée par le professeur Reinaldo Cascaret quand il a vu mes performances aux cours d’Education Physique.

J’étais très sage, je fréquentais les enfants du quartier, mais j’aimais être toute seule à la maison à jouer avec mes poupées. Passer mon temps à courir dans les rues n’était pas mon fort. La première fois que j’ai gagné un championnat national pour personnes porteuses de handicap, c’étai un 400 mètres, à Santiago même. J’avais 13 ans.

Mon truc à moi, ça a toujours été les courses. Je n’ai jamais fait de saut. Même aujourd’hui, à l’entraînement, il y a des exercices complémentaires qui exigent des sauts et je les fais par discipline, parce qu’ils font partie de l’entraînement. Quand c’est mon tour de sauter, ça amuse les garçons de l’équipe, je ne sais pas pourquoi. »

Mon ombre dit que rire/ c’est voir les pleurs comme si c’étaient les miens/ et je me suis tu, désespéré/ et alors j’ai entendu : la terre pleure.

« A l’âge de 15 ans (2007), j’ai gagné le 100 et le 200 mètres, en catégorie T13, du championnat du monde pour aveugles et déficients visuels, organisé à Sao Paulo, au Brésil. Je n’ai pas couru les 400 mètres parce que j’avais une petite douleur à la cuisse et qu’il faisait assez froid, c’est pourquoi l’équipe technique a décidé de me préserver pour les Jeux Para-panaméricains de Rio de Janeiro, qui auraient lieu quelques mois plus tard.

Sans vouloir critiquer les trois autres championnats auxquels j’ai participés, ceux-là ont été les meilleurs. Il y avait une grande qualité, une excellente organisation et une excellente alimentation, un hébergement très confortable et en plus, j’ai gagné trois médailles d’or alors que j’étais une gamine sans expérience internationale.

Ensuite viendrait un moment très dur, les Jeux Paralympiques de Pékin en 2008. J’en ai tiré quelques leçons après m’être retrouvée sans médaille à cause d’une blessure sévère que j’ai eue pendant la compétition. Je devais m’entraîner avec plus de sérieux, plus de responsabilité, être plus disciplinée et mûrir.

Trois personnes m’ont beaucoup soutenue à ce moment-là et elles ne m’ont jamais laissée toute seule. Mon entraîneuse, Mirian Ferrer, le physiothérapeute Abdel et le docteur Mirian Valdés. Ils savaient que ma tête disait que oui, que je pouvais, mais que mes muscles n’allaient pas suivre. Il y a eu des petits matins entiers pendant lesquels personne n’a dormi pour me faire des traitements. Et bien que j’aie concouru, je n’ai pas eu de médaille. J’ai beaucoup pleuré et eux aussi. »

Notre époque donne naissance à un cœur/ elle n’en peut plus, elle pleure de douleur/ et il faut venir en courant/ car l’avenir s’effondre/ dans n’importe quelle forêt du monde/ dans n’importe quelle rue.

« Pendant le cycle 2009-2012 de grands résultats sont arrivés. Aux Jeux Para-panaméricains de 2011, je me sentais très bien. J’avais laissé en arrière toutes les blessures et en janvier de cette année-là j’avais battu le record du monde sur 200 mètres (24.24 secondes) en Nouvelle-Zélande. Quand je suis arrivée à Guadalajara j’ai couru le 100 et le 400 mètres parce que le 200 n’était pas au programme. Dans ce combat, je suis devenue la première femme du sport paralympique à descendre en dessous de 12 secondes sur 200 mètres (11.99).

Douze mois plus tard, aux Jeux Paralympiques de Londres, j’ai gagné sur 100 et sur 400 mètres, sur cette dernière distance avec un record olympique (55.12) bien que le hasard m’avait placée dans le couloir numéro huit, le plus compliqué pour cette épreuve parce que tu pars devant tout le monde.

J’ai arrêté de courir quand je suis rentrée de ce rendez-vous car j’étais enceinte. Je suis revenue sur les pistes trois mois après l’accouchement, en 2013. La préparation pour les Jeux Para-panaméricains de Toronto (2015) a été magnifique. Mon entraîneuse savait que j’allais réussir quelque chose de grand. Avec 11.65 dans la demi-finale du 100 mètres (RM), je me suis sentie plus sûre de moi et je savais que je pouvais faire plus. Pour la deuxième fois j’ai réussi le triplet, parce que depuis 2007 les trois épreuves n’avaient pas été au programme ensemble.

Peu après j’ai participé au championnat du monde au Qatar, où j’ai imposé trois records universels : sur 400 mètres (53.05), sur 200 (23.03) et sur 100 mètres (11.48). Les gens ont été ébahis car non seulement c’étaient des records mondiaux, mais c’étaient des temps très bons si on les compare à ceux des athlètes conventionnels. Les Brésiliens disaient que ces records-là étaient impossibles à battre. »

Je dois quitter ma maison et mon fauteuil,/ la mère vit jusqu’à ce que le soleil se meure,/ et il faut brûler le ciel/ si c’est nécessaire, pour vivre. / Pour n’importe quel homme du monde,/ pour n’importe quelle maison.

« C’est Mirian qui m’entraîne depuis environ 9 ans, depuis que je suis rentrée dans l’équipe nationale. Il y a pas mal d’atomes crochus entre nous. Elle m’a beaucoup appris et elle m’a aidée à me sentir un être humain comme tous les autres, malgré ma déficience visuelle (cataracte congénitale). Je dois la remercier aussi par rapport à ma vie professionnelle car elle a été l’une de mes directrices de thèse pour ma Licence de Culture Physique.

A chaque fois que l’on m’interroge sur Yunidis Castillo, je dis que c’est un exemple à suivre à cause de sa volonté, de ses qualités humaines, de son talent en tant qu’athlète. Nous nous entraînons ensemble tous les jours et j’éprouve pour elle beaucoup de respect et d’admiration.

J’ai commencé avec le guide Yunior Kindelán avant Toronto. Au début nous avons eu du mal à nous synchroniser, mais il y a mis du sien et il y est parvenu. Dans la catégorie T12 on peut courir avec ou sans guide. Mais parfois il faut courir de nuit et à cette heure-là je n’ai pas la même visibilité que de jour. Alors Yunior joue un rôle déterminant. Il ne peut pas me dépasser pendant le course ni passer la ligne d’arrivée avant moi.

Les Prix Laureus sont comme les Oscars du Sport. Quand on m’a appelée de Berlin pour me dire tout ce que je devais faire pour assister à la cérémonie, j’ai pris ça normalement parce que je n’avais aucune idée de ce que c’était. C’est seulement le 3 mars, lorsque ça a été annoncé publiquement, que j’ai pris connaissance de l’ampleur de la chose et de ce que cela signifie. Il y aura là, entre autres, Leonel Messi, Usain Bolt, l’équipe de football de Barcelone, parmi d’autres grands sportifs. J’ai été très émue et je suis très contente. Etre la première cubaine de tous les temps à être sélectionnée c’est une chose merveilleuse. Je n’y crois pas encore.

Mon modèle sportif c’est Yipsi Moreno. Simple, modeste, sage mais lorsqu’elle entrait dans le cercle de lancement du marteau, elle se transformait en une véritable championne Pour arriver jusque-là, beaucoup de gens m’ont entourée. J’ai cité Cascaret, mais je ne veux pas oublier d’autres entraîneurs comme Marvelis et Manuel López et aussi une équipe de médecins, de psychologues et de physiothérapeutes.

Le sport pour les personnes porteuses de handicap s’est beaucoup développé à Cuba et le niveau s’est amélioré. Mais on peut encore faire plus.

Par exemple, les compétitions nationales n’ont pas encore la qualité nécessaire. Parfois je les vois comme une obligation que l’on remplit. Mais on peut travailler davantage pour les rendre meilleures.

Je me suis mise en tête que ma fille Erika se sente fière de sa mère. Elle est heureuse quand elle se met devant la télévision et elle ne laisse personne changer de chaîne pendant que je cours. »

Omara ne se sent pas célèbre. Elle se sent « comme un être humain, une Cubaine de plus qui fait son possible pour donner de la joie à son peuple, à sa famille et à son entraîneuse ». Et pour démontrer que, ce dont ont rêvé un jour Fidel, Raúl, et ce pourquoi la Révolution a tant lutté, il est possible de l’atteindre grâce aux athlètes paralympiques.

Omara, que tu es grande, Omara !

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