« Les orphelins de Sankara » honorent leur père spirituel

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Ce film, déjà projeté et primé dans moult festivals, dont le Fespaco édition 2019, revient sur une histoire incroyable et méconnue :

  • l’envoi à Cuba de quelque 600 enfants défavorisés pour qu’ils aillent étudier des disciplines utiles et reviennent ensuite participer au développement de leur pays.

« Les orphelins de Sankara », un film de Géraldine Berger. © Les Films d’un Jour

Ils s’appellent Maryam, Athanase ou Émilienne… Ils font partie des 600 enfants burkinabè entre 12 et 15 ans partis à Cuba en 1986, choisis par le président Thomas Sankara sur des critères sociaux, venant de familles rurales et défavorisées.

Quand un pays envoie ses enfants à Cuba

Géraldine Berger, qui a découvert cette histoire totalement par hasard, fait témoigner ces « orphelins » partis étudier la médecine, l’agronomie, la soudure industrielle ou la géologie plusieurs années à Cuba sur l’Île de la Jeunesse. « Je me suis demandé ce qu’ils avaient en tête avant de quitter leur pays pour partir vivre à 8 000 km », se souvient la documentariste. « Comment un pays laisse partir des enfants à Cuba, comment avait été leur voyage, car c’est une odyssée extraordinaire. Qu’étaient-ils devenus  ? Et qu’avaient-ils fait de cette épopée cubaine ? »

Non sans mal, en 2009, la cinéaste française finit par rencontrer ceux qui se désignent comme les « Orphelins de Sankara ». Elle a recueilli leurs témoignages et aussi retrouvé des archives inédites, un peu jaunies, notamment ces images de Thomas Sankara galvanisant la foule en 1983 : « Vous n’avez pas d’école, vous n’avez pas d’hôpitaux, vous n’avez pas de routes. Très bien, vous les aurez  ! Vous les aurez parce que désormais, tous vous allez vous retrousser les manches… »

L’héritage de Sankara occulté, ses orphelins oubliés

De quoi mobiliser ces adolescents qui partent étudier loin de leur famille pendant des années et ne trouvent pas, en rentrant, l’accueil espéré. Ilfaut dire qu’après l’assassinat de Sankara en 1987, l’arrivée de Blaise Compaoré au pouvoir au Burkina Faso et la fin de la guerre froide, ces émissaires burkinabés en terre cubaine ont été oubliés, voire volontairement mis de côté.

« Il faut savoir que les familles de ces enfants n’avaient aucune nouvelle, beaucoup d’ailleurs les pensaient morts suite à l’assassinat de Thomas Sankara, explique Géraldine Berger. Les retrouvailles n’ont donc pas forcément été faciles, les familles avaient évolué et eux-mêmes avaient grandi, ils ne se reconnaissaient pas, et ils parlaient surtout espagnol et non plus leur dialecte. »

Thomas Sankara avait tout imaginé pour leur retour, ils auraient dû avoirdes appartements, des emplois. Mais le changement à la tête de l’État a scellé leur sort : « Leurs diplômes n’ont pas été reconnus, déplore Géraldine Berger. On leur disait  : ’vos diplômes sont rédigés en espagnol, on n’a personne pour les traduire’, des choses aussi absurdes que cela  ! Et ceux qui ont quand même pu trouver un travail, on les a envoyés loin aux frontières, de sorte qu’ils ne puissent pas se réunir et former un groupe révolutionnaire ».

https://vimeo.com/440730523
Extraits «  Les orphelins de Sankara  », un film de Géraldine Berger. © Les Films d’un Jour

La fidelité aux idéaux de jeunesse

Il faut dire que, formés à Cuba, ces jeunes Burkinabè ont pu suivre une doctrine marxiste-léniniste et suivre pour certains une initiation militaire. Pendant des années, cette histoire a été occultée, jusqu’à l’insurrection populaire de 2014

Malgré tout, Géraldine Berger ne trouve nulle amertume en interviewant ceux qui ont été mis de côté. Au contraire, elle est fascinée par la fidélité de tous ceux qu’elle a rencontrés à leur idéal de jeunesse : « Ils ont reçu une mission enfant et ils y sont restés loyaux. Ils sont soucieux de rendre ce qui leur a été donné  :cette idée de servir leur pays, aider au développement, au-delà de leur cercle familial. Ils ont vraiment pris Thomas Sankara comme un père spirituel. Il y a ce moment extraordinaire où Thomas Sankara leur rend visite sur l’Île de la Jeunesse quelques mois après leur arrivée, et il leur a serré la main à chacun  ! Il s’est passé là quelque chose de très fort. C’est un point de jonction entre la petite et la grande histoire. Et j’ai trouvé une photo de ce moment-là. »

Ce documentaire, primé dans de nombreux festivals, dont celui d’histoire de Pessac, participe à ce devoir de mémoire. Projeté au mémorial Thomas Sankara, il fera pour la première fois l’objet d’un débat.