La réorganisation monétaire : un processus essentiel à la transformation de l’économie cubaine

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Granma Edition française
Auteur : Leidys Maria Labrador Herrera et Yaditza del Sol González
20 octobre 2020

Dans ce processus, personne ne sera abandonné à son sort. Il ne sera pas appliqué non plus de thérapies de choc. Les produits et les services de consommation de masse de première nécessité seront subventionnés

L’unification monétaire vise à supprimer enfin le CUC. Un délai est accordé afin que l’État puisse collecter la monnaie en circulation. Les gens auront un certain temps pour effectuer le change. Le peso cubain sera la seule monnaie ayant un cours légal à Cuba. PHOTO : ROBERTO GARAICOA

La réorganisation monétaire et de change, son fonctionnement interne et les contraintes objectives qui rendent indispensable la réalisation de ce processus ont été expliqués par Marino Murillo Jorge, membre du Bureau politique du Parti et chef de la Commission permanente pour la mise en œuvre des Orientations, et par Alejandro Gil Fernandez, vice-premier ministre et ministre de l’Économie et de la Planification, qui sont intervenus le 13 octobre lors de l’émission télévisée La Table ronde.

La première chose qui est apparue clairement est que la réorganisation monétaire et de change à Cuba a un caractère interdisciplinaire et transversal, qui comprend l’unification monétaire et de change, l’élimination des aides excessives et des gratuités indues, ainsi que la modification des revenus. Son application est une nécessité impérative et constitue une étape essentielle pour aller de l’avant dans la stratégie économique du pays.

Au début de son discours, Gil Fernandez a fait référence aux paroles du Premier secrétaire du Parti communiste cubain, le général d’armée Raul Castro Ruz, à la clôture de la 10e Période ordinaire de sessions du Parlement, en décembre 2017 : « Même si l’élimination de la dualité monétaire et de change ne résoudra pas en soi, comme par magie, tous les problèmes accumulés dans l’économie cubaine, elle constitue le processus le plus décisif pour aller de l’avant dans la mise à jour du modèle économique cubain, du fait de son impact sur toutes les sphères de l’activité économique et sociale de la nation. Faute de résoudre ce problème, il est difficile d’avancer correctement.

« Nous devons être capables, tout en unifiant le système monétaire, de surmonter les distorsions existantes en matière d’aides, de prix et de tarifs de gros et de détail et, bien entendu, de pensions et de salaires dans le secteur étatique. »

Il a indiqué que le secteur étatique cubain a un certain niveau de développement, grâce à un travail stratégique mené depuis plusieurs années. Par ailleurs, a-t-il, il est indispensable de parvenir à mettre en place des enchaînements productifs dans des conditions similaires pour les secteurs étatique et non étatique, et il faut également encourager les exportations.

Ce processus a un caractère transversal au sein de l’économie, si bien qu’il a fallu travailler avec soin et une grande rigueur technique pour chacune des propositions, a déclaré Murillo Jorge. À cet effet, 14 sous-groupes de travail ont été mis en place, auxquels ont participé plus de 200 collègues de différents organismes, ainsi que des universitaires.

« Nous avons même consulté des expériences internationales. C’est la première fois que nous traitons ces questions en public, mais cela n’est pas suffisant, il nous faudra les expliquer et les clarifier progressivement. »

« Les informations que nous allons donner aujourd’hui sont les idées de départ sur le processus de réorganisation monétaire. Nous demandons de la compréhension, car tout ne peut pas être dit dès aujourd’hui. Il s’agit d’un processus nécessaire qui implique également des risques », a-t-il déclaré.

POURQUOI LA RÉORGANISATION MONÉTAIRE EST-ELLE INDISPENSABLE ?

Pour répondre à cette question, le chef de la Commission permanente pour la mise en œuvre des Orientations a souligné que Cuba est confronté à un environnement monétaire très difficile, qui empêche l’économie de fonctionner de manière naturelle et qui conduit à sa gestion administrative. Parmi les problèmes ponctuels signalés, figurent :
- Des déformations dans la formation des prix (ils ne permettent pas aux producteurs d’avoir des signaux clairs du marché).

  • De graves problèmes de salaires (déficits salariaux accumulés sur une longue période, qui ont conduit à l’application de mesures qui, à l’époque, ont été positives, mais qui sont de nature partielle et non intégrale).
  • Des problèmes d’efficience dans le système des entreprises qui doivent être pris en compte.
  • Problèmes d’incitation pour les exportateurs.
  • Des déséquilibres macroéconomiques dans l’économie (déficits fiscaux élevés, qui ont dû être approuvés, car le niveau de transfert du budget de l’État vers le système des entreprises est très élevé, alors que cela doit être l’inverse).
  • La comparabilité économique de Cuba avec le monde devient plus complexe.

Tout cela génère une charge institutionnelle élevée.

« L’architecture institutionnelle qui a engendré la dualité monétaire ne peut pas être résolue en peu de temps, car cela a des effets sur les gens. La société cubaine a toujours été très équitable et, par conséquent, les thérapies de choc, les taux de chômage élevés, entre autres mesures extrêmes, ne sont pas une option », a déclaré le membre du Bureau politique du Parti.

Il a également souligné que ce processus a eu des antécédents dans les Orientations approuvées lors des 6e et 7e Congrès du Parti :

  • 6e Congrès, Orientation n° 55 : Avancer sur la voie de l’unification monétaire, en tenant compte de la productivité du travail et de l’efficacité des mécanismes de distribution et de redistribution (...)
  • 7eCongrès, Orientation n° 40 : Conclure le processus d’unification monétaire et de taux de change comme une étape décisive de la réorganisation monétaire du pays.
    Ce sont près de dix années passées dans tout ce processus, a-t-il dit.

DANS QUEL CONTEXTE LE DÉVELOPPEMENT DE CE PROCESSUS EST-IL PROPOSÉ ?

La crise mondiale, aggravée par la pandémie de COVID-19, a provoqué des tensions dans l’économie au niveau mondial, de sorte que, du point de vue macroéconomique et microéconomique, il est urgent d’adopter des actions profondes pour avancer dans la mise à jour du modèle économique.
« Il n’est pas possible de continuer à avancer dans les transformations de l’économie si nous ne procédons pas à la réorganisation monétaire », a déclaré Murillo Jorge.

QU’EST-CE QUE LA RÉORGANISATION MONÉTAIRE ?

Le processus comprend quatre parties essentielles :
1. Unification monétaire.
2. Unification des taux de change.
3. Modification des aides (excessives) et des gratuités (indues).
4. Modification des revenus (ce qui implique une réforme des salaires).

Chacun de ces aspects est traité en même temps, dans le but de parvenir à l’intégralité requise du processus.

Marino Murillo Jorge a expliqué que l’objectif est que tous les salariés, « au terme de ce processus, soient dans de meilleures conditions qu’ils ne le sont actuellement. »
« L’unification monétaire entraîne une dévaluation et cela exige des ajustements. Cela provoque une pression sur le système d’entreprises dans la recherche d’efficience, sans thérapie de choc. »

QU’EST-CE QUI PROVOQUE LA DUALITÉ MONÉTAIRE DANS UN PAYS ?

Elle se produit en raison de certaines situations qui affectent le système de production et empêchent la monnaie nationale de préserver les fonctions de la monnaie.

Les concepts de base

La dualité monétaire :
Une situation dans laquelle deux monnaies coexistent et partagent légalement, dans une certaine mesure, les fonctions de l’argent dans l’économie nationale.

Fonctions de l’argent :
- Moyens de paiement.

  • Unité de compte.
  • Réserve de valeur.

La dualité monétaire : Situation dans laquelle il existe deux taux de change pour une même monnaie.

Taux de change :

  • Prix d’une devise exprimé en termes de monnaie nationale (quantité de monnaie nationale par unité de devise).

Dans l’environnement monétaire cubain, il existe deux taux de change :

  • Dans le circuit des entreprises (en gros) 1 CUP =1 CUC et 1 CUC = 1 USD (actuellement avec dotation centrale).
  • Dans le circuit des personnes physiques (détail) 25 CUP=1 CUC et 1 CUC=1 USD.

UNIFICATION MONÉTAIRE

« L’unification monétaire vise à supprimer enfin le CUC. Un délai est accordé afin que l’État puisse collecter la monnaie en circulation. Les gens auront un certain temps pour effectuer le change. Le peso cubain sera la seule monnaie ayant un cours légal à Cuba », a expliqué Murillo Jorge.

À partir de là, plusieurs inquiétudes se font jour dans notre population, notamment en ce qui concerne ce qui va se passer avec le CUC qu’ils ont en leur possession, soit parce que cet argent est déposé à la banque, soit à leur domicile, a-t-il dit.

Dans le cadre de ce processus, nous avons donc défini une période d’au moins six mois pour que la population puisse changer ou dépenser cet argent, a-t-il expliqué. « Le CUC qui continuera à circuler, l’État le collectera jusqu’à ce qu’il n’y en ait plus. »
Par exemple, pendant la période de temps établie pour effectuer le change, les gens pourront aller dans les magasins et acquérir les produits dont ils ont besoin en payant en CUC, mais la monnaie de cet achat leur sera rendue en CUP, comme le pratiquent déjà certains établissements commerciaux dans leur gestion des ventes, a-t-il dit. « Et de cette façon, le CUC qui reste en possession de la population sera retiré également. »

De même, le taux de change en vigueur avant la mesure sera respecté. Quel que soit le nouveau taux de change, les gens pourront changer au même taux que le taux actuel (24 CUP).

Dans le cas du secteur des entreprises, les comptes en CUC seront transformés en CUP, 1x1, en conservant leur valeur actuelle.

Murillo Jorge a annoncé que l’unification des taux de change ne sera pas un long processus et impliquera une forte dévaluation.

Il a ajouté par ailleurs que cette mesure sera appliquée le premier jour d’un mois, car les entreprises doivent clôturer leurs états financiers.

« Ce que nous devons dire clairement, c’est que par la dévaluation de la monnaie, nous recherchons la compétitivité, ce qui signifie un niveau de pression pour le secteur des entreprises, qui devra faire face aux effets de cette dévaluation, notamment en raison des processus liés aux importations et à la fixation des prix de gros. »

Dans ce sens, a-t-il dit, tous les prix de gros à Cuba vont augmenter en corrélation avec l’augmentation des produits importés. « Il n’existe pas de manière humaine de dévaluer sans que les prix de gros n’augmentent. »

Selon Murillo Jorge, cette augmentation des prix de gros sera également influencée par la réforme salariale qui sera menée dans le pays, car les entreprises devront intégrer les augmentations de salaires dans leurs coûts.

« Dévaluer la monnaie et augmenter les salaires est synonyme d’augmentation des prix, ce qui signifie inflation. La question est de savoir combien de temps il faudra pour que l’augmentation des prix de gros se répercute sur les détaillants. »

Il a déclaré que ce processus de dévaluation peut prendre de six à douze mois, même si cela se reflètera dans certains produits dès le premier jour. « S’il n’y a pas d’augmentation des prix de gros, les entreprises enregistreront des pertes », a déclaré Marino Murillo.

« Le problème est de s’assurer que l’augmentation des prix ne soit pas supérieure à la hausse des salaires prévue, car il s’agirait d’une inflation supérieure à celle qui a été définie. Indépendamment des signaux du marché, les caractéristiques mêmes de l’économie nous permettent de créer les conditions pour que cela ne se produise pas », a-t-il déclaré.

LES IMPACTS SUR LE SYSTÈME DES ENTREPRISES

Il y a un groupe d’entreprises à Cuba qui devra faire un effort d’efficience pour supporter le processus de dévaluation, mais il y en a d’autres dont nous savons à l’avance qu’elles ne pourront pas l’assumer et qu’elles pourraient subir des pertes, au moins pendant la première année, a déclaré Murillo Jorge.
C’est pourquoi nous avons conçu une stratégie pour « donner un coup de pouce » monétaire à ces entreprises pas très efficientes, à savoir que d’une certaine manière nous subventionnerions les pertes de cette entreprise, mais nous serions gagnants, car nous éviterions sa fermeture, et avec elle, des situations telles que le chômage ou l’interruption des services de base et des besoins fondamentaux, que génèrent ces entreprises pour la population, a-t-il dit.

« Il s’agit d’un programme d’aide du gouvernement, avec des engagements très clairs sur la manière dont, au fil du temps, ces pertes seront réduites et l’entreprise deviendra plus compétitive. »

Par ailleurs, a-t-il dit, cette dévaluation devrait promouvoir ce que l’on appelle la théorie de la correction des prix relatifs, ce qui signifie que les matières premières nationales deviendront moins chères pour l’industrie cubaine que celles importées.
Donc, nous devons faire en sorte que les matières premières nationales soient moins chères que les matières premières importées, ce qui stimulerait ces enchaînements productifs si nécessaires, a-t-il dit.

« La correction des prix relatifs est l’effet le plus important que nous établirions, car elle devrait conduire au changement de salaire et la motivation à produire serait plus grande. Bien que ces mesures ne soient pas la baguette magique qui va tout changer, elles créent incontestablement les conditions d’une réaction positive des producteurs dans le système commercial et apportent un soutien à la politique du pays qui consiste à exporter davantage et à substituer certaines importations. Avec cela, le marché commencera à donner des signaux différents à l’économie.

« C’est l’effet le plus important que nous attendons, une correction des prix relatifs, une augmentation des salaires et une plus grande motivation à travailler, même si cela ne se fera pas du jour au lendemain. »

Dans son intervention, il a reconnu qu’il y aura de l’inflation, mais dans le bon sens, car s’il y a dévaluation, les prix vont augmenter, mais l’important est que cela ne dépasse pas les indicateurs qui ont été conçus, a-t-il précisé.

Pour contrôler cela, a-t-il dit, nous proposons que les prix d’un petit groupe de produits, qui sont transversaux à l’économie, soient centralisés, comme, par exemple, le prix du carburant. En même temps, le système commercial aura la faculté de former les autres prix qui ne sont pas centralisés, mais avec certaines limites, a-t-il ajouté.

LES PRIX DE DÉTAIL

Quant aux prix des produits de détail, qui ont beaucoup à voir avec la consommation de la population, ils resteront centralisés, certains seront subventionnés et d’autres pas, a déclaré M. Murillo.

« Par exemple, dans le cas du panier familial réglementé, nous conserverons certains produits à prix centralisés et également subventionnés, comme le lait pour les enfants de 0 à 7 ans. D’autres également auront un prix unique, mais sans subventions, bien qu’ils resteront inscrits dans le livret d’approvisionnement en tant que mécanisme de distribution, afin de garantir que tout le monde en bénéficie. »
Même si un autre moyen indirect de contrôler l’inflation est de garantir un plus grand approvisionnement, dans les conditions actuelles de l’économie cubaine, cela n’est pas faisable, a-t-il dit.

Il ne faut pas oublier que toute augmentation des prix exerce une pression sur les revenus personnels, d’où l’importance de la réforme des salaires, a-t-il dit.

COMMENT LA RÉFORME DES SALAIRES SERA-T-ELLE CALCULÉE ?

Nous avons calculé un panier de référence de biens et de services [panier des ménages], ce qui n’est pas la même chose que le panier de base réglementé. Ce sera le point de référence pour fixer le salaire minimum et, à partir de là, l’échelle des salaires selon les 32 groupes qu’elle contient, a déclaré Murillo Jorge.
Dans ce premier groupe de salaire minimum, il y a 29 000 employés dans le secteur d’État, sur les presque trois millions qui y travaillent, a-t-il ajouté.

Il existe un concept de base, à savoir que le salaire doit soutenir la consommation du travailleur et de la famille, et donc que le salaire minimum doit être un peu plus élevé que le panier de référence.

« D’après les études que nous avons réalisées, nous savons que la composition des noyaux familiaux à Cuba est statistiquement de trois personnes, dont deux travaillent.

« Il peut se présenter le cas que dans ce noyau de trois personnes, sur les deux qui travaillent, l’une gagne peut-être le salaire minimum, mais l’autre peut avoir un salaire quatre ou cinq fois supérieur à ce salaire minimum, de sorte qu’ils sont en mesure de couvrir les dépenses de la famille. »

Toutefois, lorsque cela ne se produit pas, que ces deux personnes perçoivent le salaire minimum et qu’à elles deux, elles n’atteignent pas la valeur du panier de biens et de services pour chacune, dans ce cas, la sécurité sociale interviendra, a-t-il dit.

L’objectif, a-t-il souligné, sera de subventionner ces personnes et non tous les produits, selon le principe que dans ce processus, personne ne sera laissé à l’abandon.

Il a également annoncé que le fonds salarial du pays sera multiplié par 4,9, tandis que celui destiné à la sécurité sociale sera multiplié par cinq. En attendant, les prix dans le secteur public devraient augmenter bien en dessous de ces valeurs.

Murillo Jorge a souligné qu’il s’agit de la grande question de la réforme des salaires. « Si la dynamique de croissance des salaires est supérieure à celle de l’augmentation des prix, ceux d’entre nous qui travaillent avec l’État seront en meilleure position. C’est un autre des objectifs de la réorganisation », a-t-il déclaré.

La réforme des salaires vise une meilleure répartition des richesses, car dans la pratique, aucun nouveau profit n’a été créé, a-t-il dit. « Bien qu’il soit nécessaire, dans ce processus, d’éliminer les aides et les gratuités indues et les services gratuits, les enfants et les femmes enceintes, les citoyens incapables de travailler ou les services à forte consommation nationale, tels que l’électricité, seront toujours protégés. »

À propos des explications de Murillo, Alejandro Gil Fernandez, vice-premier ministre, a confirmé l’importance de l’exécution des quatre tâches contenues dans la réorganisation monétaire comme étant la seule façon de parvenir à une véritable transformation.

« Ne considérons pas cela comme un mal nécessaire ou un recul. Les changements proposés nous permettront d’être en meilleure position pour aller de l’avant », a-t-il déclaré.

Ces mesures, a-t-il ajouté, sont dans l’intérêt de tous. « Ceux d’entre nous qui travaillent avec l’État vont être reconnaissants de l’augmentation de salaire et que le travail soit la principale source de revenus. Dans un tel contexte, il sera difficile à Cuba de vivre sans travailler, mais nous apporterons tout le soutien nécessaire aux personnes vulnérables et inaptes au travail. La réorganisation monétaire va générer des bénéfices importants », a-t-il conclu.