« Il existe un consensus au sein de la société cubaine pour sauvegarder le système »

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Entrevue avec Salim Lamrani

par Salim Lamrani et Edmundo García

Le véritable rôle des médias ...

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EDMUNDO GARCÍA : Salim Lamrani, lors de votre conférence ici à la Alianza Martiana, vous vous êtes montré assez critique vis-à-vis du rôle des médias et vous avez cité l’exemple de Cuba en donnant quelques informations, quelques détails et statistiques d’Amnistie Internationale. Vous avez évoqué la manière dont cela était reflété dans les médias. Je crois que nous devrions débuter cette interview, cette conversation par cela.

-SALIM LAMRANI : Je crois qu’il faut commencer par le postulat suivant : les grands groupes économiques et financiers du monde contrôlent le secteur de la presse, et le rôle des médias n’est plus de fournir une information vraie et vérifiable au lecteur, à l’opinion publique, mais de contrôler le marché des idées et défendre l’ordre établi. Ainsi, l’objectivité des médias est un mythe car ils défendent des intérêts très précis.

Vous évoquez la question des droits de l’homme, qui est la problématique par excellence dès lors qu’il s’agit de Cuba. Ne comptez pas sur moi pour vous dire qu’il n’existe aucune violation des droits de l’homme à Cuba. Mais si je souhaite me faire une opinion juste et vérifiable sur la situation des droits de l’homme à Cuba et voir s’il existe une spécificité dans ce domaine, par rapport au reste du monde, je n’ai qu’à consulter une source internationale qu’est l’organisation Amnistie Internationale, et qui publie chaque année un rapport détaillé sur la situation des droits de l’homme à Cuba. Le postulat des médias est le suivant : « Cuba est un pays qui viole les droits de l’homme et qui se démarque du reste du continent américain, par exemple, par ses violations des droits de l’homme ». Nous pouvons comparer ce postulat de base avec la réalité des faits en nous référant au rapport. Selon le rapport d’Amnistie International d’avril 2011, dans le continent américain, l’un des pays qui viole le moins les droits de l’homme – sans doute le moins – ou qui les respecte le mieux est Cuba. Ne croyez pas ce que je raconte, allez sur le site Internet d’Amnistie Internationale où le rapport est disponible en trois langues : français, anglais et espagnol. Amnistie Internationale est une organisation que nous ne pouvons qualifier de procubaine pour la raison suivante : elle a rompu ses relations diplomatiques avec Cuba depuis 1988. En conclusion, il y a un abîme entre la rhétorique médiatique de départ et la réalité des faits. Vous pourriez me rétorquer que la Colombie ou le Honduras ne sont pas des exemples en termes de droits de l’homme, et que la comparaison n’est pas très explicite.

Prenons donc le cas suivant ; comparons la situation des droits de l’homme à Cuba et au sein de l’Union européenne. Pourquoi l’Union européenne ? Parce que depuis 1996, l’Union européenne impose à Cuba une Position commune en raison de la situation des droits de l’homme. Qu’est-ce qu’une Position commune ? Il s’agit du principal pilier de la politique étrangère de Bruxelles vis-à-vis de La Havane, qui limite les échanges diplomatiques, politiques et culturels. Il est singulièrement curieux que le seul pays du continent américain victime d’une Position commune soit Cuba, alors que selon Amnistie International Cuba est le pays qui viole le moins les droits de l’homme. Il s’agit là d’une première contradiction. Maintenant, il convient bien évidemment d’évaluer la légitimité de l’Union européenne à s’ériger en juge sur la question des droits de l’homme, parce que pour pouvoir stigmatiser un pays sur ce thème il faut être irréprochable.

Que dit Amnistie Internationale ? Selon le rapport d’avril 2011, disponible sur Internet de manière gratuite, 23 des 25 pays qui ont voté les sanctions politiques et diplomatiques et culturelles contre Cuba en 2003 – ils étaient 25 et non 27 à l’époque – présentent, selon Amnistie International une situation des droits de l’homme qui est pire que celle de Cuba. Prenons le cas qui me concerne le plus, le cas de la France. Nous sommes la Patrie des droits de l’homme. Néanmoins, j’invite tous les auditeurs à se rendre sur le site d’Amnistie Internationale, à prendre le rapport sur Cuba et le rapport sur la France, à les comparer et à tirer leurs propres conclusions. Cela est donc un exemple de la manipulation médiatique. Je le répète, Cuba ne présente pas un bilan parfait, propre, sur la question des droits de l’homme. Il y a quelques critiques de la part d’Amnistie International sur la question de la liberté d’expression, de la liberté d’association, etc. Mais quand nous comparons cela avec la réalité existante sur notre continent, et sur le continent américain, nous découvrons qu’il s’agit d’une énorme manipulation.

Lire la suite : http://mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=28620

Salim Lamrani est enseignant, écrivain et journaliste français. Docteur du Centre de Recherches Interdisciplinaires des Mondes Ibériques Contemporains (CRIMIC) de l’Université Paris-Sorbonne. Spécialiste des médias et des relations entre Cuba et les Etats-Unis. Connaisseur de première main de la réalité cubaine à travers ses études et ses visites régulières. Il a récemment disserté à Miami sur le rôle des médias dans le traitement du thème Cuba. En tant que journaliste et spécialiste, il a interviewé des figures du gouvernement, de la culture et de la dissidence.