Cuba doit produire les aliments qu’elle consomme

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Un article de Freddy Pèrez Cabrera publié dans Granma International en français le 24 février 2012.

Une des questions les plus importantes posées au peuple cubain, considérée par la direction du pays comme une question de sécurité nationale.

Cuba doit produire les aliments qu’elle consomme

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POUR un pays comme le nôtre, qui dispose de rares ressources naturelles et qui doit faire face à des restrictions économiques importantes, il est inadmissible de continuer à dépenser chaque année des sommes considérables dans l’achat de denrées alimentaires, dont nombre d’entre elles pourraient être produites à Cuba, si le secteur était plus efficace et si l’on utilisait correctement les progrès scientifiques et techniques pour augmenter la production.

Ne serait-ce que l’année dernière, Cuba a dû débourser plus de 1 700 millions de dollars dans l’achat de produits alimentaires sur la marché international, une dépense étroitement liée à la flambée des prix de la majorité des denrées.

Un groupe de scientifiques, dont le Dr Sergio Rodriguez Morales, directeur de l’Institut national de recherches sur les tubercules tropicales (INIVIT) et Osvaldo Martinez, à la tête du Centre de recherches sur l’Économie mondiale (CIEM), ont analysé cette question, apportant une série de données qui nous invitent à la réflexion, mais aussi à l’action.

LE MONDE À L’ENVERS

Selon des rapports de l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), au début des années 60, les pays du Sud présentaient un excédent commercial agricole d’environ 7 milliards de dollars par an. Cependant, vers la fin des années 80, cet excédent avait disparu. Aujourd’hui par contre, tous les pays du Sud sont des importateurs nets de produits alimentaires, ce qui prouve clairement que les importateurs sont de plus en plus nombreux et que le nombre de producteurs diminue.

À cela il convient d’ajouter ces dernières années, l’envol accéléré des prix dû, entre autres facteurs, à la croissance démographique, à l’utilisation de grains pour la fabrication de biocarburants, l’érosion du sol, l’épuisement des nappes phréatiques, le détournement de l’eau d’irrigation vers les villes, la stagnation des rendements dans l’agriculture des pays développés, des phénomènes associés au changement climatique et aux factures de pétrole élevées.

Sur la question des agrocarburants, la FAO a elle-même reconnu qu’à partir de l’année 2000 la production d’éthanol a consommé le quart du maïs produit aux États-Unis, soit de quoi nourrir 350 millions de personnes chaque année.

Pour avoir une idée de la gravité du phénomène, seulement en 2009, aux État-Unis, le pays le plus riche du monde, on a récolté 416 millions de tonnes de céréales, dont 119 ont fini dans les distilleries d’éthanol afin de produire du carburant pour les automobiles.

Et en Europe, où une grande partie du parc automobile roule au diesel, on observe une demande croissante de ce carburant fabriqué à partir de végétaux, principalement produit à base d’huile de colza et de palme.

Osvaldo Martinez, directeur du CIEM signalait récemment qu’il convient d’ajouter un nouveau phénomène : la spéculation financière autour de la question sensible de l’alimentation, qui a amené les grandes puissances à placer sur les marchés alimentaires environ 13 millions de dollars.

En outre, la population mondiale a presque doublée depuis 1970 jusqu’à nos jours : elle s’accroît de 80 millions de personnes par an, ce qui signifie que chaque jour, il y a 219 000 bouches de plus à nourrir, dont beaucoup d’entre elles seront accueillies avec des assiettes vides, un problème semble-t-il sans solution, si les prédictions de l’ONU se matérialisaient, à savoir qu’en 2030, la demande d’aliment augmentera d’environ 50%.

Pour ce qui concerne les sols, on estime que sur un tiers des terres cultivables dans le monde l’érosion est plus rapide que sur la superficie non cultivée, ce qui entraîne une chute de productivité des terres.

Quant à la distribution, on estime que 25% des habitants des pays développés consomment 50 % des aliments, le reste étant consommé par les 75% de personnes vivant dans les pays sous-développés. Par ailleurs les habitants des pays riches consacrent entre 10 à 20% de leur salaire aux aliments, alors que dans les pays pauvres, ils y consacrent environ 85%.

L’augmentation de la demande de viande dans les pays émergents comme le Brésil, la Russie, l’Inde, le Chine et Singapour, pour ne citer que quelques exemples, a influé sur les prix, et a entraîné un accroissement de la consommation mondiale de farine de soja de 67% durant ces dix dernières années

La Chine, par exemple, est devenue le premier producteur de viande de porc dans le monde, avec 46%. Cependant, pour chaque tonne de soja produite, elle en importe 2,5, ce qui a entraîné la flambée des prix des matières premières destinées à la fabrication des tourteaux.

Un autre phénomène préoccupant ces dernières années est l’exode des paysans vers les grandes villes. Ainsi, alors que dans les années 50 on comptait quatre personnes vivant en milieu rural pour une à la ville, aujourd’hui, la proportion est pratiquement égale.

Par ailleurs, les grands producteurs d’aliments consomment de plus en plus et exportent moins. Ainsi, par exemple, 90% du riz produit dans le monde est asiatique, un continent qui n’exporte que 10% de sa production.

Tout aussi sensible : le problème des semences. Dans les années 60, la quasi-totalité d’entre elles appartenaient à des agriculteurs ou à des institutions publiques. Par contre aujourd’hui, dix entreprises dont Monsanto, Syngenta, DuPont et Bayer, entre autres, contrôlent 67% du marché international des semences.

Quant aux engrais, la situation est à peu près la même : globalement, leur consommation industrielle s’est accrue de 31% entre 1996 et 2008, bien qu’à des prix inaccessibles pour les pays pauvres. Pour en avoir une idée, il suffit de dire qu’entre 2007 et août 2008, leur prix s’est envolé de plus de 650%. Pendant cette période, l’entreprise Mosaic, la troisième productrice d’engrais au niveau international, a augmenté ses bénéfices de 1000%.

PRODUIRE DES ALIMENTS : UNE QUESTION DE SÉCURITÉ NATIONALE

Face à ce chaos mondial et à un monde qui désormais achète les aliments au lieu de les produire, Cuba n’a pas d’autre alternative que de travailler sans répit à la production des aliments qu’elle consomme, et dont elle aura besoin dans l’avenir. D’où la priorité donnée à cette question par la direction de la Révolution, qui a considéré avec justesse le sujet comme une question de sécurité nationale.

Conscients qu’il sera de plus en plus difficile à l’économie cubaine d’acheter sur les marchés des produits tels que le riz, les graines, le lait, le café ou les viandes que nous ne produisons pas en quantité suffisante, un changement de mentalité s’impose. Il s’agit d’assouplir les contraintes au développement des forces productives, de supprimer les obstacles objectifs et subjectifs qui empêchent d’avancer plus rapidement vers la solution de ce problème.

Pour cela, il faut passer d’une agriculture qui utilise beaucoup d’intrants à une agriculture durable qui privilégie des pratiques agro-écologiques adaptées et une utilisation efficiente des semences. En effet, durant ces 100 dernières années, la qualité des semences et l’introduction de nouvelles variétés ont permis une augmentation de 50% des rendements au niveau mondial. Pour atteindre ces objectifs, Cuba compte sur un immense potentiel scientifique et technique, selon le Dr Sergio Rodriguez, directeur de l’INIVIT.

Comme devait déclarer le commandant en chef Fidel Castro au Sommet mondial de l’alimentation qui s’est tenu à Rome en octobre 1996 : « Le tocsin sonne aujourd’hui pour ceux qui meurent de faim chaque jour, il sonnera demain pour l’humanité tout entière si celle-ci n’a pas voulu, n’a pas su, ou n’a pas pu être suffisamment intelligente pour se sauver elle-même. »