LE TOURNANT A 180° DU JAZZMAN ROBERTO FONSECA

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Qui aurait parié qu’un artiste strictement "intellectuel" de la scène cubaine du jazz comme Roberto Fonseca nous fasse cadeau d’une œuvre aussi viscérale que YO ?

L’ancien accompagnateur du chanteur du Buena Vista Ibrahim Ferrer, emprunte un chemin à rebours de l’histoire du jazz.

Un article de Bruno Pfeiffer dans le quotidien LIBERATION du 10 mai 2012..

Une évolution non démentie...

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Qu’on en juge : près de cent ans après sa naissance, le jazz est devenu moins instinctif, pensé en profondeur, gambergé. Cérébral, parfois. Une évolution non démentie : le jazz s’est rapproché à chaque étape d’une expression plus écrite. Sans démentir le swing chevillé aux partitions, cela s’entend...

Le précédent opus du pianiste, son cinquième, Akokan (label ENJA, distribué par Harmonia Mundi) confirmait la tendance. Un disque de concepteur. Une musique de quintet fignolée au stylo. Sous la construction élaborée battait cependant le cœur de La Havane. Sous le style millimètré collant à la partition s’amorçait une gestation. Que s’est-il passé ?

Il y a trois ans, de passage à la Bastille, sur le mode de la confession, le placide Cubain, me livrait quelques éléments :

"Je commence généralement mes compositions par des mélodies pour envoyer des couleurs et toucher l’esprit. Les notes imprimeront un climat au morceau. J’écris tout. Cependant je viens d’un pays de chaleur humaine et d’échange. Le rythme reprend naturellement ses droits. Avouons-le, presque surnaturellement. Les choses se passent ainsi. La musique véhicule un mouvement interne qui porte l’auditeur. Elle est tout sauf inerte. Elle manifeste une vie propre. D’autres fois, un balancement surgit : il m’enveloppe. Il impose d’emblée sa loi. Je transmets parfois la vibration au public à mon corps défendant »

On découvre sur le Live in Marciac (2010), l’échange phénoménal qui anime ses concerts. Les ressorts de son île natale ont fini par embrasser le processus de création.

Roberto Fonseca qualifie la marche franchie de nouvelle affirmation de soi, de renaissance On relève autre chose.

La culture Yoruba imprègne l’héritage familial. Descendant d’un babalao (officiant de la religion santeria), Fonseca a passé l’enfance au sein d’une famille pratiquant la santeria. La grand-mère lui inculque le culte des ancêtres. "Ils me suivent, ils me soutiennent" , plaide l’initié.

Le culte yoruba, dont la santeria représente un prolongement, arrive du Nigeria. A Cuba, le culte avait été réprimé par les Espagnols. Aujourd’hui, il compose l’ADN des Cubains. Pour Roberto Fonseca, "la santeria établit le rapport entre l’âme et l’esprit, entre le matériel et le spirituel" .

Il revendique l’initiation : il est dorénavant fils de Shango, Déesse du feu et de la danse ! Le Cubain a réalisé la synthèse entre les influences mystiques, la culture musicale, et le groove afro-local. Ainsi apparaît YO. L’album développe un concept d’union entre les inspirations cubaines et africaines. Entre orgue Hammond, instruments électro-analogiques, et luth n’goni africain. Un alliage renversant.