"7 Jours à La Havane"

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Un commentaire de Nicolas Bardot pour le site CINEMA CULTE :
"Ce film est né d’une curiosité pour une ville à un moment de son histoire : La Havane ne sera sans doute plus la même dans quelques années. Une transition est en train de s’opérer. Les lignes se déplacent, la culture s’empare du quotidien, de nouvelles façons de vivre, de penser et de créer s’organisent. C’est ce qui a attiré des talents aussi différents que Benicio del Toro, Gaspar Noé, Elia Suleiman, Emir Kusturica, Laurent Cantet, Julio Medem ou Pablo Trapero et c’est ce qui inspire au quotidien Juan Carlos Tabío. Filmer ce lieu et raconter ces gens, cette humanité à un tournant de son histoire, sur une île dont le magnétisme et l’aura sont sans commune mesure avec ce que laissait espérer sa simple dimension géographique. 7 JOURS A LA HAVANE est un instantané de La Havane d’aujourd’hui : un portrait contemporain d’une ville éclectique, jeune et tournée vers l’avenir."

Ci-après un article de cinéma.nouvelobs.com

« 7 jours à la Havane » : rencontre avec Laurent Cantet

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Par Guillaume Loison 30 mai 2012

Les charmes et les tourments du petit peuple de La Havane : tel est le fil rouge de ces sept courts-métrages réalisés par autant de cinéastes prestigieux – Pablo Trapero, Elia Suleiman, Gaspar Noé ou encore Laurent Cantet. L’auteur d’« Entre les murs », qui en signe le dernier segment, une jolie fable « mysticommuniste », nous raconte son tournage.

TéléObs – Qu’est-ce qui vous a motivé pour rejoindre cette œuvre collective  ?

Laurent Cantet

Plusieurs choses. D’une part, le fait que je me suis toujours senti directement à l’aise à La Havane que je connaissais un peu avant de tourner le film. La première fois que je suis allé à Cuba, c’était pour les repérages de « Vers le Sud ». A cette époque, Haïti [le cadre du film, NDLR] était tellement incertain qu’on m’avait demandé de trouver des décors alternatifs, au moins pour des questions d’assurance.

L’autre motivation, c’était la présence dans le projet de Leonardo Padura [qui a supervisé l’écriture, NDLR] dont j’avais lu pas mal de livres. Plus généralement, à chaque fois que je tourne un film, je m’oblige à plonger dans une réalité et l’explore sous un angle singulier. Ici, ma volonté, c’était de fuir tout ce qui se rapporte au tourisme.

Vous vous êtes pourtant compliqué la tâche en tournant près du Malecón, à Havana vieja, le quartier le plus pittoresque de la ville…

Nous étions à Centro Havana, juste derrière le Malecón. Ce choix est d’abord dicté par le scénario puisqu’il me fallait la proximité de la mer – à vos lecteurs d’en découvrir la raison. Et justement c’était intéressant aussi de détourner la légende touristique du Malecón.

J’étais convaincu que le scénario et la mise en scène s’en détacheraient naturellement. Au milieu de ce groupe si vivant, il n’y avait pas un risque énorme de tourner une publicité pour les Caraïbes.

Quelles furent les autres contraintes du tournage ?

La durée de mon segment, qui ne devait pas excéder 18 minutes. La durée de tournage aussi, relativement courte : 5-6 jours. Et puis la contrainte d’écriture qui impose à chaque récit de se dérouler sur une journée.

Leonardo Padura avait proposé un certain nombre de points de départ de scénario. Je lui ai proposé un autre : partir d’éléments contenus dans « le Palmier et l’étoile » qui est sans doute mon livre préféré de lui. Mais la matière était beaucoup trop riche pour en tirer un court-métrage. Après coup, j’ai proposé un scénario que j’ai écrit seul, et que Padura a nourri, au niveau des dialogues, de petites choses qui font la réalité d’une ville qu’il connaît par cœur.

Comme beaucoup de vos films précédents, vos acteurs, notamment la truculente Nathalia qui incarne le personnage central de Martha, sont tous non professionnels. Comment les avez-vous dénichés ?

Pour le premier projet qu’on avait commencé à écrire, je cherchais déjà des lieux, des personnages. Un jour, on avait besoin d’une terrasse sur un toit d’immeuble. De la rue, j’en ai repéré une. Je sonne à la porte et Nathalia m’ouvre. Elle était en train de construire une fontaine quasi similaire à celle du film. Elle nous parlait avec l’énergie qu’on lui voit à l’écran.

J’avais dans le même temps, mon idée de scénario et mon actrice qui après avoir hésité « en faisant la star » pendant trois minutes, était partante. Restait à trouver ses partenaires. Il suffit de demander : « Et les maçons qu’on a vus chez toi l’autre jour, tu crois qu’on peut les retrouver ? » « Oh, ça n’est pas difficile… » A ce moment, Nathalia a ouvert la porte et comme dans la première scène du film, elle a appelé dans la cage d’escalier. Trois minutes après, 20 personnes débarquaient chez elle… Mon casting était prêt.

Ont-ils facilement apprivoisé la caméra ?

Je le crois, je n’ai jamais senti qu’ils cabotinaient. Nathalia est assez théâtrale, mais pas plus que dans la vie, c’est vraiment sa nature. Quant aux autres, je ne crois pas qu’ils étaient dans le jeu pur. Le maçon par exemple. Son problème, c’était de savoir si le ciment allait sécher, ou qu’on lui demanderait de faire son travail beaucoup trop vite et que, du coup, le résultat ne serait pas assez beau à ses yeux.

Si nous avons eu moins de temps de préparation que pour mes autres films, j’ai tenu à les rassembler avant le tournage pour improviser autour de situations-clés. Leur joie de tourner était incroyable. Faire un film quand personne ne vous y a préparé, c’est forcément une aventure…

L’autre raison qui a entretenu cet enthousiasme était Nathalia elle-même qui, dans la vie, possède ce côté charismatique de chef de bande. Les autres tournaient pour elle, pour raconter son histoire. Quand ils avaient un commentaire à faire ou une question à poser, plutôt que de me regarder, ils se tournaient vers Nathalia.

Votre film peut se voir comme une fable sur le communisme…

Ce qui me plaisait ici, c’était l’aventure même du tournage. Et que je crois le film est assez fidèle à cette idée d’une œuvre en train de se construire. Après oui, la notion de démerde, qui est un des éléments de la vie à Cuba, est au centre de l’histoire. Tout paraît impossible et en fin de compte tout finit par se faire par cette idée du collectif, du groupe.

Aucune ligne directrice imposée par le régime ? Aucun sujet à éviter ?

Non. Bien sûr, je me doute que certaines choses ne seraient pas passées si je m’étais livré à une critique violente du pouvoir en place… Je sais que sur le film d’Elia Suleiman, la présence de Fidel Castro à la télévision, avec le côté un peu burlesque que lui donne la mise en scène, a été un peu difficile à faire passer. Mais au bout du compte, la scène est restée dans le film…

Vous savez, ce qui m’a toujours beaucoup touché avec les Cubains, c’est leur rapport passionnel au cinéma. J’ai été plusieurs fois au Festival du Film français de Cuba. Toute la journée, vous voyez 500 personnes qui attendent sous un soleil de plomb pour espérer obtenir une place pour la projection du soir. Les festivals se tiennent dans des salles de 2 500 places qui sont bourrées à craquer à chaque séance. Elles le sont d’ailleurs hors festival.

Votre prochain projet ?

Je suis en montage de « Foxfire » l’adaptation d’un roman de Joyce Carol Oates que je tourné l’an dernier au Canada. Avec des jeunes femmes qui n’avaient jamais joué au cinéma…

  • Repères

1961. Naissance à Melle.

1998. « Les Sanguinaires », téléfilm.

1999. « Ressources humaines ».

2001. « L’Emploi du temps ».

2005. « Vers le Sud ».

2008. « Entre les murs », palme d’or. ■