KORDA, pour comprendre Cuba et les cubains...

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Lors de la réception organisée à l’occasion de l’arrivée du "Bateau de la solidarité", (le premier car il y en a eu deux) organisé par notre association, KORDA, ce photographe de talent, emblématique de la révolution cubaine s’il en était, nous a fait l’honneur de réaliser le reportage photo ! Cela en présence, d’une importante délégation française, de notre ambassadeur, des autorités cubaines et de la participation de la population de Régla, le port de La Havane. Dans la vidéo jointe, KORDA explique comment lui est venu le désir de soutenir la révolution...

La vie en 35 mm

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Auteur : Nelson Herrera Ysla* | Source : CUBARTE | 19 , Novembre 2012

Si pour Jean Luc Godard le cinéma était la vérité 24 fois par seconde, pour Alberto Díaz Gutiérrez, mondialement connu comme Korda, la vie entrerait dans un photogramme de 35 mm : toute la vie.

Des femmes, des leaders politiques, des paysans, des soldats, des enfants, des intellectuels, se sont disputés, sans le savoir, l´intérêt et la curiosité de cet extraordinaire photographe cubain qui n´abandonnait jamais son appareil photo, ni même un instant car cela pouvait être décisif, crucial et cela arrive seulement une fois.

Grâce à sa passion infinie pour l´art des négatifs, des filtres, des révélateurs et des fixateurs, des lumières rouges, des agrandisseurs, des pinces et bacs, déambulant comme un poisson pris dans cet océan magique de la chambre noire, les Cubains ont aujourd´hui l´une des archives d´images les plus aimées de notre mémoire et de notre identité.

Il fallait le voir chargé de lourd téléobjectif et d’appareils photo autour du cou, avec plusieurs objectifs et des rouleaux de pellicules fourrées dans son gilet et une vieille mallette contenant d’autre matériel à l’épaule, montant sur des échafaudages, sur un camion ou sur un bateau, perché sur un toit, pour se rendre compte que la photo est un acte d´amour profond pour la vie et une expression artistique risquée qui nécessite un quota peu enviable d´audace et de risque.

Héritier de la meilleure tradition du reportage mondial qui nous vient de la fin du XIXe siècle – née de ce besoin de fixer pour l’histoire des petits et des grands événements des hommes, des pays et des civilisations –, Korda a surmonté tous les obstacles pour être là, dans l´oeil du cyclone, que ce soit une concentration massive de Cubains, le paysage gelé des environs de Moscou ou les rues frénétiques de New York.

Il l’a appris alors qu´il révisait les images éloquentes de nos guerres d´indépendance, des archives Casasola de Mexico, des incroyables reportages et chroniques de la revue Life et, surtout, de cette magistrale iconographie des styles de vie, des gouvernements, des personnalités, de la violence, des révoltes populaires, que l’agence Magnum a fait circulé dans le monde à travers de nombreux magazines et journaux sous les prestigieuses signatures d´Henri Cartier-Bresson, Robert Capa, David Seymour, René Burri ou Eugene Smith, parmi d’autres.

Il a aussi beaucoup appris du respecté photographe étasunien Richard Avedon quand il est entré dans l´univers de la mode et de la publicité vers le milieu des années 50 : ce fut précisément Richar Avedon qui lui a conseillé de se dédier pleinement à refléter les petits et les grands événements de la révolution triomphante de 1959 en voyant ses photos cette même année.

Il a gagné immédiatement du prestige dans notre milieu journalistique et culturel. Il s’est sommé à une liste de photographes cubains qui commencent à enregistrer le tourbillon de nos vies dans les villages, les campagnes et les villes du pays : Constantino Arias, Raúl Corrales, Osvaldo Salas, Roberto Salas, Mario García Joya, Ernesto Fernández et des étrangers attirés par les changements et les transformations dans le processus révolutionnaire : Luc Chessex, Paolo Gasparini, Lee Lockwood, René Burri, dont certains ont décidé de rester durant des mois et des années entre nous.

Son sort était jeté. Dès ce moment Korda s’est converti en une référence essentielle pour les événements et l´histoire de la Révolution Cubaine. Il n’arrêtait pas de photographier les soldats de l´Armée Rebelle, les premiers miliciens et miliciennes, les alphabétisateurs adolescents de la gigantesque campagne éducationnelle, les défilés et les marches, les moments de calme tendu et de repos, et les illustres visiteurs qui arrivaient à Cuba pour connaître de première main ce qu´ils voyaient à travers les célèbres agences de presse, tels que Jean Paul Sartre ou Pablo Neruda.

Il s’est converti, avant tout, en photographe de Fidel Castro, il l’a accompagné lors de nombreux moments transcendantaux et intimes pour offrir, probablement, la plus complète iconographie personnelle du leader de la Révolution. Il l’a accompagné durant ses premiers voyages à l´étranger, en Amérique du Nord et en Amérique Latine, puis en Union Soviétique, ainsi que lors des discours et des concentrations publiques.

Sa proximité avec Fidel lui a aussi permit de photographier Ernesto Che Guevara pour la première fois pendant son travail et ses loisirs jusqu´à ce qu’en 1960, lors d´une manifestation en hommage aux victimes d´une attaque terroriste ayant eu lieu dans la baie de La Havane, il prenne ce qui allait devenir la photographie la plus reproduite et manipulée de la planète : le visage énergique et provocateur, sévère et élégant du guérillero héroïque, que Cuba allait lancer à toute l´humanité après sa mort en Bolivie en 1967.

Dès lors, ses importants photographies des années antérieures dédiées à la mode féminine dans les années 1950, à la vie dans les villes et dans les campagnes cubaines, à la Révolution sous ses nombreuses expressions et ses actions, passent à un second plan de sa carrière car tout le monde voulait posséder une copie de la photo du Che, imprimé avec ferveur dans la solitude de son laboratoire.

Si Korda, dans ses premières aventures, nous avait révélé une certaine modalité du look capitaliste, spécifiquement de la femme, dans ces photographies réalisées avec des modèles pour la publicité commerciale qui posaient pour lui avec plaisir, il surprendre ensuite cette autre découverte exemplaire de la femme cubaine convertie à partir de 1959 en un composent humain de premier ordre dans le pays : combattante, professionnelle, ouvrière, orgueilleuse de sa nouvelle attitude, de son regard et de son corps.

En somme, Korda créait un nouveau style surgit à partir de circonstancielles politiques différentes : il avait capté un look cubain en substance, inédit jusqu´alors. Ces photos ont fait également le tout de la terre : des visages féminins inoubliables et spectaculaires de notre esprit, de notre comportement et de notre culture.

Divers tempéraments du monde ont posé pour lui et dans certains cas avec lui : Silvana Pampanini, Gabriel García Márquez, Nikita Jruschov, Jack Nicholson, Fidel Castro, rendant mutuelle sa passion indéfectible pour la photographie, qui n’a jamais diminué.

Korda a été capable de saisir les multiples atmosphères que nous avons vécues toutes ces années, depuis l´intenses et controversée décennie des années 60 jusqu´aux dernières années du siècle dernier. Sa nature inquiète, sa puissance intellectuelle, sa volonté de collaboration, plus un fort amour pour sa famille, ses amis, le peuple cubain et son histoire, pour ses artistes et ses intellectuels, ont débouché sans aucun doute sur engagement transparent avec sa réalité et son époque. Si certains voulaient le qualifier de « photographe engagé » ils aurait raison car il l’a été, objectivement, jusqu´au de dernier instant de sa vie quand il commençait à sentir, comme une brise d’air chaud, les mérités éloges depuis tant d’années d’effort et consécration.

Rien d´humain ne lui a été étranger et indifférent. Il aimait capter les signes que la vie nous procure lors des moments les plus simples et insignifiants – beaucoup plus que ceux considérés glorieux – et pour lesquels il faut vivre en alerte constante, comme il a vécu, car c’est en eux qu’on découvre l´homme et la femme dans son existence complexe et mystérieuse, sans artifice ni vanités ou mythification.

Ce passé et ce récit que constituent ses splendides photos disent autant ou plus de nous que n´importe quel essai, poème, conte, roman, film, chanson, créés à Cuba au cours des dernières décennies. En elles se trouve sa contribution personnelle à l´imaginaire collectif de la nation. Ses mises au point, ses cadrages et ses compositions ne tentaient pas la grandiloquence.

Il s´est appuyé sur les plans généraux en certaines occasions, mais il préférait le détail, le fragment, le véritablement transcendantal depuis le point de vue esthétique et éthique. Parfois ses photos semblent aller sur les mêmes territoires que l´affiche, l´épigramme, le haïku.

« J’ai compris qu´une idée peut être visualisée sur quelques centimètres de papier. Il ne faut rien de plus. Et être reçue avec la même passion et le même engagement avec lesquels on a su le développer dans sa tête et dans son cœur alors qu´on est en face d´elle, quelques secondes avant d’appuyer sur l’obturateur

 », disait-il.

Pour comprendre Cuba et les Cubains, Korda devient une source essentielle, nécessaire et encore vivante.

Découvrez KORDA, une vidéo, la présentation de sa vie et de ses activités : http://www.havana-cultura.com/fr/int/art-plastique/photographe/alberto-korda#/3389