L’Union Européenne et la rhétorique des droits humains

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Un article de Salim Lamrani.

Il démontre, arguments et références irréfutables à l’appui, notamment les rapports d’Amnistie Internationale, que l’Union Européenne se doit de modifier sa position concernant CUBA et qu’elle doit abandonner sa "position commune". Ajoutons que la France doit jouer un rôle dans cette modification, ce qui ne semble pas être encore le cas.

RG

L’Union Européenne et la rhétorique des droits humains

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Par Salim Lamrani

Depuis 1996, l’Union européenne est alignée sur la politique étrangère des Etats-Unis et impose une Position commune – la seule sur le continent américain – au gouvernement cubain. Celle-ci limite les échanges politiques, diplomatiques et culturels en raison de la situation « des droits de l’homme et des libertés fondamentales[1] ». La Position commune constitue le pilier de la politique étrangère de Bruxelles à l’égard de La Havane et représente le principal obstacle à la normalisation des relations bilatérales. Entre 2003 et 2008, l’Union européenne a également imposé des sanctions politiques, diplomatiques et culturelles à Cuba en raison de la situation des droits de l’homme.

En effet, les Etats-Unis justifient officiellement l’imposition des sanctions économiques, en vigueur depuis juillet 1960 et qui affectent toutes les catégories de la société cubaine, en particulier les plus vulnérables, en raison des violations des droits de l’homme. De 1960 à 1991, Washington a expliqué que l’alliance avec l’Union soviétique était la raison de son hostilité à l’égard de Cuba. Depuis l’effondrement du bloc de l’Est, les différentes administrations, de Georges H. W. Bush à Barack Obama, ont utilisé la rhétorique des droits de l’homme pour expliquer l’état de siège anachronique, qui loin d’affecter les dirigeants du pays, fait payer le prix des divergences politiques entre les deux nations aux personnes âgées, aux femmes et aux enfants[2].

Une Position commune discriminatoire et illégitime

La Position commune, qui se justifie officiellement en raison de la situation des droits de l’homme à Cuba, est discriminatoire dans la mesure où le seul pays du continent américain, du Canada à l’Argentine, à être stigmatisé de la sorte par l’Union européenne est Cuba. Pourtant, selon le dernier rapport d’Amnistie Internationale (AI), l’île des Caraïbes est loin d’être le plus mauvais élève de l’hémisphère en termes de violation des droits fondamentaux[3].

La Positioncommune est également illégitime. En effet, Amnistie Internationale dresse un bilan sévère et sans concessions sur la situation des droits de l’homme sur le Vieux Continent. Ainsi, pour Cuba, et contrairement aux pays membres de l’Union européenne, Amnistie Internationale ne signale aucun cas

  • d’assassinat commis par les forces de l’ordre (Autriche, Bulgarie, France, Italie, Royaume-Uni, Suède),

-d’assassinat de mineurs par les forces de l’ordre (Grèce),

-d’assassinats d’enfants souffrant de maladies mentales (Bulgarie),

-de responsabilité dans un génocide (Belgique),

  • d’actes de torture et traitements inhumains ou dégradants par les autorités (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, France, Grèce, Italie, Portugal, Roumanie, Royaume-Uni, Slovaquie),
  • d’actes de torture et traitements inhumains ou dégradants par les autorités à l’encontre de mineurs (Belgique, Bulgarie, Danemark),
  • d’actes de torture par les autorités soutenus par le plus haut niveau de l’Etat (Royaume-Uni),
  • d’impunité pour les forces de l’ordre coupables d’assassinat (Bulgarie, France, Suède),
  • d’impunité pour les forces de l’ordre coupables de torture et autres mauvais traitements (Allemagne, Belgique, Espagne),
  • d’utilisation de preuves obtenues sous la torture (Roumanie),
  • d’entrave à la justice et aux réparations pour les victimes de torture et de mauvais traitements commis par les forces de l’ordre (Allemagne),
  • d’expulsion de personnes, y compris de mineurs, vers des pays pratiquant la torture et où il y a des risques de persécution (Allemagne, Autriche, Bulgarie, Chypre, Danemark, Espagne, Italie, Malte, Pays-Bas, Royaume-Uni, Slovaquie, Suède),
  • de répression violente de manifestations de la part des forces de l’ordre (Allemagne, Belgique, Grèce),
  • de brutalités policières à caractère raciste contre les étrangers et les membres de minorités ethniques (Autriche),
  • de détention secrète de prisonniers et de transfèrement vers des pays pratiquant la torture (Allemagne, Belgique, Lituanie, Roumanie),
  • de traite d’êtres humains et d’esclavage (Chypre, Espagne, Grèce, Italie, Royaume-Uni),
  • de travaux forcés (Chypre),
  • de suicide de mineur en détention (Autriche),
  • de non assistance médicale, sociale ou juridique à l’égard des demandeurs d’asile (Belgique),
  • de discrimination légale à l’égard des minorités ethniques (Belgique, Espagne),
  • de discrimination généralisée à l’égard des minorités (Bulgarie, Danemark, Grèce, Hongrie),
  • de discrimination de la part des tribunaux de justice à l’égard des minorités (Bulgarie),
  • d’expulsion forcée de membres de minorités ethniques ainsi que de la destruction de leur logement par les autorités (Bulgarie, Grèce, Roumanie),
  • d’agressions racistes généralisées (Bulgarie),
  • d’agressions récurrentes contre les minorités sexuelles (Bulgarie, Italie, Slovaquie),
  • de non-reconnaissance des droits des minorités sexuelles par les autorités (Chypre),
  • de soutien des forces de l’ordre aux mouvements d’extrême droite lors de manifestations (Chypre),
  • de violence récurrente contre les femmes (Danemark, Espagne, Finlande, Malte, Portugal, Suède),
  • de violence récurrente à l’égard de jeunes filles et de fillettes (Espagne, Finlande, Portugal),
  • de châtiments corporels contre les enfants dans les centres spécialisés pour mineurs (Espagne),
  • d’impunité juridique pour les responsables de violences sexuelles contre les femmes (Danemark, Finlande, Suède),
  • de détention de mineurs dans des prisons pour adultes (Danemark),
  • de détention de mineurs demandeurs d’asile (Finlande, Pays-Bas),
  • de détentions au secret (Espagne),
  • d’interdiction d’enquêtes sur des crimes de droit international (Espagne),
  • de violation de la liberté de religion des femmes (Espagne, France, Pays-Bas),
  • de stigmatisation des minorités ethniques par la présidence de la République et les autorités (France, Roumanie),
  • de discours politiques discriminatoires de la part des autorités (France, Hongrie, Italie, Roumanie, Slovénie),
  • de discrimination raciale à l’égard des minorités (Italie, Portugal, Slovénie),
  • de non accès à l’éducation et à un logement décent pour les minorités ethniques (France, Italie, Portugal),
  • de conditions de détention inhumaines (Grèce, Irlande, Italie),
  • de violences à caractère raciste (Grèce, Hongrie, République Tchèque),
  • d’agression de journalistes par les autorités (Grèce),
  • de violences de la part des autorités à l’égard des minorités et demandeurs d’asile (Grèce),
  • de ségrégation raciale dans l’enseignement et d’exclusion des enfants des minorités ethniques du système éducatif (Grèce, Hongrie, Italie, République Tchèque, Roumanie, Slovaquie, Slovénie),
  • de scolarisation des enfants issus des minorités dans des établissements pour handicapés mentaux (République Tchèque),
  • de ségrégation raciale dans l’accès aux soins (Hongrie, Italie, Roumanie, Slovaquie, Slovénie),
  • de crimes à caractère raciste (Hongrie, République Tchèque),
  • d’impunité pour les responsables de crimes à caractère raciste (Hongrie),
  • de crimes à caractère antisémite (Hongrie),
  • de crimes contre les minorités sexuelles (Hongrie),
  • d’atteinte aux droits des enfants (Irlande),
  • de maltraitance sur enfants (Irlande),
  • de décès d’enfants confiés aux services publics de protection de l’enfance par manque de soins (Irlande),
  • de non-respect des droits des minorités sexuelles (Irlande),
  • de violation des droits des demandeurs d’asile (Irlande),
  • de conditions de vie « totalement inacceptables et inhumaines » dans les établissements hospitaliers (Irlande),
  • de violation du droit à l’avortement (Irlande),
  • d’interdiction légale de l’avortement (Malte),
  • de refus d’inscrire la torture parmi les crimes sanctionnés par le Code pénal (Italie),
  • de dispositions législatives discriminantes envers les minorités sexuelles avec une pénalisation de l’homosexualité (Lituanie),
  • de politiques et pratiques gouvernementales discriminatoires avec profilage ethnique (Pays-Bas),
  • de stérilisation forcée de femmes issues des minorités (République Tchèque, Slovaquie),
  • de personnes rayées arbitrairement des registres de la population (Slovénie)[4].

Conclusion

Au vu des rapports d’Amnistie internationale, il est difficile pour l’Union européenne de prétendre que la Position commune de 1996, toujours en vigueur, se justifie par la situation des droits de l’homme à Cuba. En effet, les principales nations du Vieux continent présentent également de graves violations des droits humains, souvent pires que celles commises à Cuba. L’autorité morale de Bruxelles devient ainsi discutable à plus d’un titre.

L’Europe des 27 doit normaliser ses relations avec La Havane et démontrer que sa politique étrangère n’était pas tributaire de celle de la Maison-Blanche. En abrogeant la Position commune et en adoptant une posture rationnelle, constructive et indépendante, l’UE effectuera un pas dans la bonne direction. Bruxelles doit saisir l’idiosyncrasie cubaine. En effet, le gouvernement de l’île est ouvert à tout – sauf à la négociation de la souveraineté et de l’identité nationales – dès lors que les relations se basent sur le dialogue, le respect et la réciprocité – comme l’a démontré l’accord avec l’Eglise catholique et l’Espagne qui a débouché sur la libération de tous les prisonniers dits « politiques ». En revanche il se montre résolument inflexible – il n’y a qu’à voir l’état des relations entre Washington et La Havane depuis un demi-siècle – dès lors que le langage de la force, de la menace ou de la contrainte prend le pas sur la diplomatie conventionnelle.

*Docteur ès Etudes Ibériques et Latino-américaines de l’Université Paris Sorbonne-Paris IV, Salim Lamrani est Maître de conférences à l’Université de la Réunion, et journaliste, spécialiste des relations entre Cuba et les Etats-Unis.

[1]Conseil de l’Union européenne, « Conclusion du Conseil. Evaluation de la position commune de l’UE relative à Cuba », 15 juin 2009. http://ec.europa.eu/development/icenter/repository/council_conclusions_UE_cuba_20090615_FR.pdf(site consulté le 2 octobre 2012.

[2]Salim Lamrani, Etat de siège. Les sanctions économiques des Etats-Unis contre Cuba, Paris, Editions Estrella, 2011.

[3]

[4]Amnistie Internationale, Rapport 2011. La situation des droits de l’homme dans le monde, 2011. http://files.amnesty.org/air11/air_2011_full_fr.pdf(site consulté le 15 septembre 2011).

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