SANDY, un témoignage venu de Santiago de Cuba...

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Une amie de l’association nous a fait parvenir le témoignage joint. Il décrit la violence de l’ouragan et les dégâts subis...

"J’étais à Siboney quand l’ouragan Sandy a dévasté notre région. Je sais qu’il y a "eu peu d’échos ici de ce désastre, New York a focalisé l’attention des médias...
"Mes voisins, mes amis, ont tout perdu. Souvent une vie entière de privations "pour construire su "casita" réduite à néant... D’un jour à l’autre la vie change "complètement. Les cubains sont courageux, ne se plaignent pas... mais ont "besoin d’aide... Merci d’adresser vos dons à l’association Cuba Coopération très "présente à Cuba et très sérieuse.

Evelyne Soulat.

Le lien pour visionner les photos qu’elle a prises : https://skydrive.live.com/redir?resid=9DC9B5F07D3BD2F6!104

Sandy acabó con Santiago

Sandy a donné le coup de grâce à Santiago

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Un témoignage d’Alain Chaplais ancien journaliste à Presse Océan, collabore au Guide du Routard et vit 9 mois sur 12 à Cuba...

A Santiago que les cyclones ont, en général, le bon goût d´éviter (ils passent à l´est ou à l´ouest) on parlait depuis cinquante ans du fameux cyclone Flora qui, en 1963 fit de gros dégâts et de nombreux morts (plus de mille), maintenant on va parler pendant 100 ans de Sandy….

Il est donc entré à Mar Verde le jeudi 25 octobre vers une heure du matin avec la catégorie 2 presque 3 (vents soutenus de 175 km/h et rafales à la Gran Piedra (1100 m d´altitude) de 245 km/h. Mar Verde est située 14 km à vol d’ oiseau, à l’ouest de Santiago et la ville s’est trouvée exactement attaquée par la partie la plus violente du cyclone. Il a mis environ 2 h à s’éloigner.

Deux heures d’épouvante pour tout le monde. Je suis seul dans l´appartement (Keiline et Nathalie sont à Dos Bocas chez les grands parents, mais je ne suis pas trop inquiet pour elles car la maison est en dur). Et surtout je n’ai absolument pas conscience à ce moment-là, de l´ampleur des dégâts mais je peux vous dire que je n’en mène pas large.

Bourrasques, rugissements, vrombissements, on se croit dans une énorme soufflerie, les murs de l’immeuble vibrent, on craint à chaque instant que les persiennes explosent (ce qui est arrivé dans de nombreux appartements...) Je pense à tous ces pauvres gens qui habitent des baraques de fortune.

A l’aube un spectacle de désolation, comme après les énormes tempêtes de fin 1999 chez nous. Arbres déracinés, poteaux électriques abattus, toits arrachés, les gens hébétés constatent les dégâts dans le Quartier du Salao où je vis.

Mais nous n’avons pas à nous plaindre car, bien sûr, les immeubles ont résisté ce qui n’est pas le cas des maisonnettes en bois, que leurs habitants ont fui au dernier moment, et dont il ne reste plus qu’un amas de planches et tôles.

En début d’après-midi, je prends un pisicorre (camionnette) qui se risque à aller à la ville (le Salao se trouve à 5 km de Santiago). Par endroits, les arbres sont restés debout mais sont comme cisaillés à la cime, ce qui indique que le cyclone a eu aussi des vents de tourbillon comme dans les tornades.

A l’arrivée vers le parc de diversion et le parc zoologique (où les animaux avaient heureusement été mis à l’abri) le spectacle est incroyable, des arbres énormes obstruent toutes les avenues, pour arriver à Fereiro et à l’hôtel Santiago, il faut slalomer. L’hôtel lui-même a été touché, toutes les vitres de son escalier de secours ont explosé. Des dizaines de touristes attendent dans le hall d´être évacués par bus sur La Havane.

Je passe par l’Alliance Française où le spectacle est désolant (pratiquement plus un arbre du beau quartier de Vista Alegre n’est resté debout)… La médiathèque de l’Alliance a un peu souffert, mais ce n’est rien par rapport à ce que je vais voir plus tard dans la ville et aux alentours. Le directeur de l´Alliance Jean et son épouse Martine, ont passé dans leur maison une nuit de cauchemar quand, dès le début, le cyclone a arraché entièrement le toit de leur cuisine et menaçait à tout moment de s’engouffrer dans la maison.

Je passe par l’Algarrobo, la cafeteria que nous autres Français fréquentons. Algarrobos signifie caroubiers, évidement tous les arbres se sont abattus sur la terrasse, mais, incroyable, y aurait- il un Dieu pour les ivrognes ?, la cafeteria n’a pratiquement rien, elle est ouverte, dispose d’un groupe électrogène, et quelques fidèles clients sont là, je ne peux résister à l’appel d’une bière Cristal bien fraiche.

Je dois rentrer à pied chez moi sous les averses intermittentes et partout le même spectacle, le parc de l´hôtel San Juan est dévasté….

Le soir dans mon quartier les gens qui n’ont pas de bouteille de gaz recommencent à cuisiner dehors avec des feux de bois comme aux plus beaux temps de la période spéciale.

Vendredi matin, je retourne à l’hôtel Santiago, déjà les avenues principales commencent à être dégagées par l’armée. Certains chauffeurs de camionnettes profitent de la situation en doublant le prix du passage (de 5 a 10 pesos). Internet a été rétabli à l’hôtel et des dizaines de personnes font la queue pour recharger les batteries des téléphones mobiles, car c’est un des seuls endroits où il y a du courant.

Les avenues Pujol, Las Americas, Manduley sont toujours barrées par des monceaux de troncs et branches. Les Santiagais ont déjà commencé à surnommer Sandy, le leñador, le bucheron !

L’après-midi, je descends par Enramadas en plein centre ville, déjà les habitants ont commencé le nettoyage, toutes les rues sont jonchées de décombres qui attendent le passage des camions.

Sur le port la plupart des entrepôts (qui, il faut le reconnaitre n’étaient pas tous en très bon état) n’ont plus de toit et les Cubains qui ne perdent pas le nord, récupèrent les moindres morceaux de tôle pour réparer leurs maisons…

Le super marché Ferocarribe est lui aussi sans toit. C’est l’un des cinq ou six magasins qui dès l’aube du jeudi ont été pillés. La fabrique de Rhum, la gare de Chemin de fer, la gare des Bus, sont à découvert, il y a de nombreux éboulements…

Je remonte par le Paseo Marti et là, le spectacle n’est plus de tempête mais de bombardement ou de tremblement de terre. Toutes les rues adjacentes sont pleines de gravats, des maisons se sont écroulées, d’autres ont perdu des pans de murs, des toits…

Et l’on me dit que toute la ville, dans ses quartiers les plus pauvres, offre le même spectacle de désolation. Je remonte vers la plaza de Marte. Ana Luz a perdu sa cuisine et la maison de sa tante à coté est totalement détruite. Prés de la place, une grande et belle demeure s’est écroulée, à l’intérieur une grand’mère et un bébé de quatre mois sont morts écrasés…

Samedi, beau soleil, à bicyclette je monte vers Dos Bocas (17 km) où sont ma femme et ma fille chez les grands parents, je sais qu’elles sont saines et sauves. La Circumvalacion (périphérique) est totalement bouchée par les arbres sur sa voie de droite. A la sortie le cabaret Tropicana est dévasté.

Des deux cotés de l’autoroute, à flanc de colline c’est maintenant un spectacle de désolation. Je suis passé par là des centaines de fois et je n’avais jamais vu ces cabanes que l’on ose appeler maisons à Santiago et dans lesquelles vivent des familles entières.

Je réalise que dans les campagnes cubaines, 80 % de la misère est cachée par la végétation luxuriante. Aujourd´hui ces favelas ou ce qu’il en reste, sont à nu et le spectacle vous prend aux tripes. Je commence à douter que la misère soit moins pénible au soleil.

A Dos Bocas, les maisons en dur des grands parents de Keiline et de sa mère ont tenu, ce sont les rares rescapées du village… Toutes les autres, en bois, sont par terre, celle de la tante Iluminada n’est plus qu’un tas de planches.

Dans une maison sur pilotis, totalement éventrée, les habitants sortent ce qu’ils ont pu récupérer pour faire sécher leurs maigres biens au soleil. Dans cette maison plusieurs occupants dont des enfants ont passé le temps du cyclone dans une armoire… Ils étendent leur linge même sur les fils électriques à moitié tombés, de toutes façons ils ne s’attendent pas à ce qu’il y ait du courant avant longtemps.

Je redescends par San Vicente, l’église en bois, qui était il faut l’avouer en très mauvais état, a totalement disparu…. Car après son écroulement les gens ont récupéré toutes les planches ! Je dépasse l’oncle Fernando, qui, sa maison n’ayant plus de toit, part à pied, à Santiago, avec quelques affaires dans une poussette…

Dimanche toujours à vélo, direction Mar Verde (25 km de chez moi par la route). Je traverse Santiago où la phase de récupération va bon train. Sont arrivés des renforts de toutes les autres provinces cubaines, peu à peu les avenues principales sont dégagées, les électriciens travaillent sans relâche (certains qui viennent de La Havane ou de Las Tunas, et qui ont l´habitude d’intervenir après chaque cyclone dans le centre ou l’ouest de Cuba, disent qu’ils n’ont jamais vu un tel désastre). Le théâtre Heredia a déjà retrouvé un toit provisoire.

Entre la raffinerie et Mar Verde, il y a bien quelques toits arrachés, quelques arbres tombés, mais dans la longue ligne droite avant d’arriver à la mer, tout est pratiquement normal, tous les poteaux électriques sont debout… Une fois l´étonnement passé, je pense que c’est normal car plus on est près de l’œil du cyclone et moins les vents sont violents. Il y a quand même des dégâts, notamment (clin d’œil pour les initiés), notre poste de bière pression de la Prison n’a pas eu la chance de l´Algarrobo, il est par terre.

Mais la vraie vision apocalyptique est sur la plage, les installations du campìsmo sont très atteintes, seuls quelques bungalows ont résisté. Plus loin, la maison de François n’a plus que trois murs, celui face à la mer a explosé. François et Estrella étaient évacués à Santiago, comme tous leurs voisins, ils ont tout perdu. Ils sont relogés dans un bungalow en haut de la plage.

On parle de vagues de 8 à 9 m de haut et d’un véritable tsunami. Tout le secteur est ravagé. Pour Thierry qui venait d’acheter une maison tout près, une mauvaise nouvelle et trois bonnes , la mauvaise : sa maison a terriblement souffert, la mer s’est fait un couloir du rez de chaussée ; les bonnes nouvelles : elle est cependant restée debout, il n’a plus besoin de débroussailler et… il n’a plus de voisins bruyants ni à droite, ni à gauche, ni derrière, les trois maisons ont été balayées !

On ne reconnait plus le secteur. On ne voit plus où était le paladar (petit resto), on voit maintenant les ruines du petit palace de l’éleveur de cochons autrefois caché par des hauts murs…

A Punta de Sal, seule la maison de Maria a tenu le coup et a abrité tous les voisins pendant le cyclone. La raffinerie n’a plus de toits.

Quand je rentre au Salao vers 16 h, incroyable, le courant est revenu. Nous sommes vraiment privilégiés par rapport à des dizaines de milliers de Santiagais, en particulier dans les campagnes qui devront attendre plusieurs semaines avant le rétablissement du courant.

Plus de courant cela veut dire l’obscurité la nuit, bien sûr, mais aussi plus de frigo, plus d’eau fraiche, plus de ventilateur pour rafraichir les chambres la nuit et éloigner les moustiques, plus de télé ni radio pour s informer. Nous, nous avons de l’eau au robinet depuis jeudi, mais elle est tellement boueuse qu’on ne peut s’en servir même pour la chasse d’eau !

Mais le pire reste à venir.

Mardi direction Siboney. Il ya des dégâts tout le long de la route et ils vont en augmentant au fur et à mesure que l’on approche.

La Granjita Siboney (haut lieu historique et donc bien entretenue, a tenu le coup) à coté le camp des pionniers est dévasté.

Sur la plage, spectacle de désolation, Siboney a subi les vagues mais aussi le vent. Tous les bungalows de la plage sont détruits. De même les installations de loisirs : piscine, cafeteria, centre de diversion…

Et quand on s’enfonce dans le village de Compay Segundo en longeant la mer, alors là, oui, vraiment c’est l´horreur. Une vision lunaire : d’énormes blocs de roche volcanique ont été trainés par les flots, certains ont éventré les maisons et pénétré à l’intérieur.

Les villas, pourtant toutes en maçonnerie, sont ou rasées ou très endommagées. Les murs ont cédé sous l’assaut des flots. En seconde ligne, derrière, ce n’est pas mieux, là on a vraiment impression de passer après un bombardement. Toutes les maisons, des centaines, sont affectées. Je ne retrouve plus les maisons que j’avais l´habitude de visiter pour le Routard.

Siboney est sinistrée à 100 %...

La maison d’Evelyne a bien résisté et elle a pu sauver la plupart de ses biens.

Evelyne, refugiée dans une autre demeure de Siboney, a passé la nuit du cyclone dans un placard. Un de ses voisins s’est sauvé des vagues en s’attachant à un arbre. Des gens qui étaient en cours d’évacuation ont du leur salut à un arbre qui est tombé sur leur bus et a empêché que le véhicule ne se retourne sous l’action du vent…

Je pourrai continuer pendant des heures.

On me dit que les hôtels Bucanero et Los Corales auraient été détruits, entre autres…. Il semblerait que dans tous ces secteurs de Mar Verde et Siboney, Baconao, l’état cubain interdise les reconstructions trop près de la mer…

Au Cayo Granma, seules quatre maisons sur 130 sont intactes… Les gens ont du se refugier dans l’église.

Lundi 5. La vie reprend. Au Salao nous sommes privilégiés, nous avons du courant et de l’eau (de mauvaise qualité, mais nous la faisons bouillir avant de la consommer). Dans beaucoup de quartiers de la ville, ce n’est pas le cas. Dans les campagnes et sur les bords de mer, il faudra attendre des semaines.

Nathalie a repris le chemin de l’école aujourd’hui après plus d’une semaine de vacances forcées. Les queues sont toujours longues devant les magasins aussi bien en monnaie nationale qu’en devises. Les légumes sont rares en ce moment car on craint qu’ils ne soient lavés avec de l’eau contaminée et ne propagent le choléra. Il y a déjà des cas, mais rassurez-vous il y en avait avant le cyclone !

L’aide humanitaire arrive, mais rien ne se fait à Cuba comme ailleurs, l’état la vend, même a prix modique, mais ne distribue rien gratis. Les gens doivent acheter aussi tôles et plaques de fibrociment. Dans les zones de favelas, ils ont reconstruit des abris précaires avec planches et tôles qui s’écrouleront au premier coup de vent…. On a déblayé des millions de m3 de branches et arbres mais il en reste autant…

Bilan onze morts (80 dans l’ensemble des Caraïbes sans compter ensuite une centaine aux USA), 132 000 maisons affectées, dont 15 000 destructions complètes, 7 millions d’arbres arrachés, les cultures de canne à sucre, platanos, café, dévastées…. Les usines en panne… L’aéroport a été détruit à 70%. Seule la piste est restée en état de fonctionnement. Les vols d’aide humanitaires ont été acceptés les premiers mais les vols intérieurs de Cubana de Aviacion ont été rétablis dès le 30 octobre. Depuis le cyclone tout Santiago ressemble à un titanesque chantier de démolition…

Comme toujours à Cuba, on ne voit pratiquement personne pleurer, même ceux qui ont tout perdu : 60 ans de communisme et de privations ont appris aux Cubains à ne pas accorder trop d’importance aux bien matériels. Et leur fatalisme les aide à garder le moral. On en voit beaucoup sur les trottoirs de leurs maisons en ruines, continuer à jouer aux dominos et à boire des traguitos (petits coups de rhum) avec leurs voisins.

Dès le samedi soir mes voisins ont recommencé à parier sur la bolita (loterie de Miami) et une voisine a parcouru le secteur en criant le résultat, le gagnant était le 508 ! Dès que le courant est revenu, ils ont remis à tue tête les radios non pour écouter les infos, mais… la musique ! Et rapidement les termos (postes de bière pression) on rouvert et les queues de consommateurs se sont formées, de même que les queues aux boulangeries et autres petits super marchés. (Moins drôle, on commence à parler de bagarres dans les queues qui s’allongent au fil des jours, pour acheter à manger.)

Incorrigiblement optimistes, et confiants dans la Révolution (selon le discours officiel) les Santiagais annoncent déjà que Santiago aura retrouvé son aspect d´avant Sandy pour célébrer le 500e anniversaire de la fondation de la ville… en 2015.
Alain Chaplais