À Cuba, la population est dans la rue mais « le régime ne s’effondre pas »

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Un interview de Jérémy Denieulle par Quentin Menu pour le quotidien régional "L’Echo Républicain".

Comme il l’indique dans sa dernière réponse : "Les Cubains sont attachés à la révolution (1953-1959) et à ses acquis sociaux - système de santé, système éducatif."

C’est si vrai que, ce samedi 17 juillet, des manifestations monstres ont eu lieu partout dans l’Ile, en soutien à la direction politique du pays.
RG

Touchée de plein fouet par la crise économique (-11 % de PIB en 2020) et en proie à une explosion des contaminations liées au Covid-19, Cuba a vu plusieurs milliers de ses habitants protester contre le gouvernement et les pénuries alimentaires et de médicaments le 11 juillet. Jérémy Denieulle, doctorant en géopolitique à l’Université de Reims et Sciences Po Bordeaux, est spécialiste du régime cubain.

Qu’est-ce qui a poussé les Cubains à protester ?

Le gouvernement a fermé les frontières pour se préserver du Covid-19 [le 20 mars 2020], privant l’île de ses touristes. Or, le tourisme est nécessaire pour l’entrée de devises dans le pays. C’est ce qui a accéléré le déclin économique et poussé les gens dans la rue.

Cette protestation antigouvernementale est-elle une première à Cuba ?

C’est rare, mais c’est déjà arrivé en 1994. Les manifestations étaient alors les plus importantes depuis l’instauration du régime communiste. Les Cubains s’étaient rassemblés spontanément sur l’avenue Malecón pour quitter l’île. Vu qu’ils étaient nombreux, ils en ont profité pour donner de la voix. À l’époque, la révolte avait aussi été alimentée par la crise économique et les pénuries.

La crise économique est-elle uniquement liée à l’embargo américain ?

Le président Miguel Diaz-Canel n’a pas tort quand il accuse les États-Unis d’être à l’origine des pénuries. Mais à Cuba, il y a aussi un gros manque de productivité, qui résulte des politiques socialistes qui ont été mises en place.

Qu’a changé l’arrivée de la 3G en 2018 ?

Les tensions de ces derniers jours couvaient depuis plusieurs mois. On a assisté à une montée de la contestation sur Instagram. Les réseaux sociaux ont clairement favorisé l’émergence de cette contestation.

Les manifestations peuvent-elles remettre en cause le régime communiste ?

Je ne pense pas que cela va remettre en cause la gouvernance à Cuba. À chaque évènement important - manifestations, mort de Fidel Castro, succession de Raul Castro - on prédit la fin du régime cubain. C’était encore plus vrai dans les années 1990, au moment de la chute de l’URSS. Mais le régime ne s’effondre pas.

À quoi peut-on s’attendre dans les prochains jours ?

Je pense qu’à court terme, le président Miguel Diaz-Canel va être obligé de durcir le ton. Ce qu’il a déjà commencé à faire. Il a appelé ses partisans à descendre dans les rues. Pour lui, les manifestants sont des contre-révolutionnaires qui font partie de la « mafia cubano-américaine ».

Et sur le plus long terme ?

À moyen terme, il va faire ce que le régime cubain fait toujours dans les moments difficiles : accélérer les réformes économiques. Dans les années 1990, Fidel Castro l’avait fait, en permettant aux Cubains de devenir autoentrepreneurs. Ça avait permis une petite reprise économique. Idem pour Raul Castro.

Comment expliquer que, malgré la crise, certains Cubains défendent coûte que coûte le régime ?

Les Cubains sont attachés à la révolution (1953-1959) et à ses acquis sociaux - système de santé, système éducatif. À Cuba, il y a l’idée qu’il faut sécuriser le régime. Il y a un sentiment de méfiance vis-à-vis des États-Unis. Beaucoup craignent d’adopter le système capitaliste américain, de libéraliser l’économie à tort et à travers et de voir les entreprises américaines revenir. Donc même s’il existe une lassitude d’un système corrompu, les Cubains ne rejettent pas pour autant le régime communiste.

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Quentin Menu