À Cuba, les femmes prennent les choses en main

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Direction La Havane où cinq entrepreneuses racontent leur passion et les difficultés auxquelles elles font face.
Il est à peine 9 heures du matin et déjà la chaleur s’abat comme une chape de plomb sur La Havane.
À quelques rues de la place Saint-François d’Assise – l’un des endroits les plus visités de la capitale cubaine – se trouve Beyond Roots, le premier concept store consacré à la culture afro-cubaine. Pour le trouver, il faut ouvrir l’œil et lever la tête.
Il se cache dans un appartement au 1er étage d’un immeuble de la « Deep Havana », la partie non restaurée mais pleine de charme de la vieille ville.

À La Havane, beaucoup de boutiques n’ont pas de vitrines, seulement une enseigne extérieure discrète indiquant leur présence.

Adriana Heredia Sanchez est la cofondatrice de Beyond Roots.N.Seddik

Grand sourire aux lèvres, Adriana Heredia Sanchez nous ouvre les portes du concept store qu’elle a inauguré en 2019 avec José Luis Corredera, son mari.

La Cubaine de 29 ans fait partie des 600.000 autoentrepreneurs (cuentapropistas) que compte Cuba depuis la démocratisation du secteur privé en 2008 (il s’était déjà ouvert à quelques domaines restreints dès le début des années 1990).

Se reconnecter à ses racines

Davantage qu’une boutique, Beyond Roots est un moyen pour elle de reconnecter les Cubains d’origine africaine – 11% d’une population de 11,2 millions d’habitants – à leurs racines. Un projet commencé en 2016 avec l’organisation de visites guidées de lieux en lien avec la culture afro-cubaine à La Havane, encore proposées sur Airbnb à l’heure actuelle.

Outre la sélection de vêtements et d’accessoires wax, l’ex-enseignante en économie politique à l’Université de la ville propose une gamme de produits naturels – fabriqués par des membres de son équipe qui compte 36 employés au total, dont 82% de femmes – adaptés aux cheveux afros.

« Je ne me lisse plus les cheveux depuis l’âge de 15 ans, raconte Adriana Heredia Sanchez. À l’époque, j’étais l’une des rares femmes d’origine africaine à le faire, car la mode était au lissage et une majeure partie de la population considérait les cheveux afros comme négligés et peu professionnels », regrette-t-elle.

Face à l’impossibilité de trouver des produits capillaires adaptés, elle décide d’en fabriquer elle-même. Aujourd’hui, ils font partie des best-sellers de la boutique et un salon de coiffure à l’arrière du concept store a ouvert en mai dernier.

« C’est par le cheveu, entre autres, que mes clientes se reconnectent à leurs racines », analyse-t-elle. Des ateliers expliquant comment prendre soin de sa chevelure et de son développement personnel sont aussi organisés deux fois par mois.

Tous les accessoires sont créés et fabriqués par l’équipe de Beyond Roots à La Havane.N.Seddik

Les défis des entrepreneuses

Entrepreneuse depuis 2016, Adriana Heredia Sanchez ne regrette pas d’avoir quitté le secteur public pour celui du privé, malgré les difficultés, économiques d’abord, Cuba connaît l’une de ses pires crises depuis trente ans en raison de la pandémie de Covid-19 et de l’inflation notamment, mais pas seulement.

Au sein d’une société cubaine que l’entrepreneuse qualifie de machiste, difficile de gérer une petite entreprise. « Que ce soit avec mes fournisseurs ou des employés de l’Administration, beaucoup d’hommes ne me prennent pas au sérieux. Quand j’émets des demandes ou que je dois négocier, on me répond souvent de leur passer le patron », déplore-t-elle.

Cette sensation d’être face à un mur, Carmen Monteagiado, âgée de 58 ans, la connaît bien. « En tant qu’entrepreneuses, on se sent souvent invisibles », confesse la propriétaire et gérante d’Oasis Nelva, un restaurant de crêpes fabriquées et garnies avec des produits bios, où l’on peut également acheter du mobilier et des plantes. « Il faut expliquer plus, négocier plus, justifier plus. C’est parfois épuisant. »

Carmen Monteagiado, propriétaire et gérante d’Oasis Nelva.N.Seddik
Le restaurant de crêpes Oasis Nelva est situé dans la « Deep Havana », la partie non restaurée de la vieille ville.

Un constat partagé par Yunairy Estrada, âgée de 39 ans, créatrice d’Ecopapel, des articles de papeterie fabriqués à partir de papier recyclé et vendus chez Oasis Nelva. Mère célibataire, elle avoue souffrir des difficultés à mêler entrepreneuriat et vie de famille, la charge des enfants et de la maison incombant en grande majorité aux femmes cubaines.

La culture de la débrouille

Mère célibataire, Hilda Zulueta Sardinas, âgée de 69 ans, l’était aussi lorsqu’elle a commencé à créer des sacs dans les années 1990, à partir de morceaux de cuir jetés aux abords d’une usine de production.

« Enseignante de mathématiques avec deux enfants en bas âge, j’ai dû trouver des revenus complémentaires car je n’arrivais pas à joindre les deux bouts. » Aujourd’hui à la tête de la boutique Zulu avec ses deux filles, cette autodidacte révèle ce qui la fait tenir face aux difficultés.

« L’amour de mon métier, la passion avec laquelle je l’exerce. Et la sensation d’être aux commandes de ma vie. »

Promouvoir les femmes au sein de l’entreprise

La passion et l’envie d’être aux commandes de sa vie mais également la promotion du vélo – pour des raisons économiques et écologiques – sont aussi ce qui a poussé Navys Diaz Labaut, âgée de 46 ans, à quitter son emploi dans l’Administration pour ouvrir Vélo Cuba en 2018.

Navys Diaz a conçu 8 vélos en bambou. Robustes et économiques, elle recherche des fonds pour les produire à large échelle.N.Seddik

Cette boutique loue des vélos, les répare et organise des visites de La Havane à deux-roues pour les touristes. Une flotte de 450 vélos est aussi en libre-service dans 8 stations de la ville.

Un concept unique dans la capitale cubaine. À l’époque, Navys Diaz Labaut employait 10 collaborateurs, ils sont maintenant 42. Particularité : tous les postes à responsabilités sont occupés par des femmes.

« J’ai créé Vélo Cuba dans le but de promouvoir la cyclo-mobilité, mais aussi de donner la possibilité aux femmes de gravir les échelons et de montrer que la mécanique n’est pas réservée aux hommes. »

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