Alain Jouffroy, poète, ami de Wifredo Lam...
Un article de Karole GIZOLME pour GENS DE LA CARAIBE, (www.gensdelacaraibe.org) le 11 septembre 2012, publié dans la revue digitale CUBARTE, le Portail de la culture cubaine.
Alain JOUFFROY a obtenu le Prix Goncourt de la poésie pour l’ensemble de son oeuvre.
Entretien avec Alain JOUFFROY
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Gens de la Caraïbe : Qu’a apporté votre rencontre avec Wifredo Lam à votre poésie ?
A.J. : Cela m’a inspiré de l’énergie. Dans les années 50, j’avais 17 ans quand je l’ai rencontré. André Breton m’avait présenté les deux peintres sud américains Roberto MATTA du Chili et Lam de Cuba qui m’ont complètement changé l’image du surréalisme. Rien à voir avec Magritte, c’est plus inventif et cela part de sources beaucoup plus secrètes, plus profondes, celle de l’animisme, pour Lam en tout cas.
J’ai lu à l’époque Aimé Césaire, « Les armes miraculeuses », « Cahier d’un retour au pays natal ». Il y a eu René Depestre aussi, que j’ai connu plus tard. Et pour moi le monde des Antilles, ce n’était pas seulement Lam mais une plateforme poétique avec des peintres et des poètes.
GDC : Vous dites être un amoureux des Antilles…
A.J. : Amoureux, je ne sais pas, mais passionné, oui. Dans les tropiques, il n’y a pas seulement, cette beauté qu’on appelle tropicale, pas seulement cette somptuosité extraordinaire du monde végétal, c’est aussi la beauté des femmes.
Tout cela fait partie d’un monde de désir, de rêves oniriques qui ont hanté la poésie française depuis Baudelaire. Il y a un souffle particulier. Je suis allé en Martinique aussi dans les années 70. Je me suis senti un petit Christophe Colomb qui débarquait dans un monde difficile, inconnu, avec des mystères.
GDC : Qu’est-ce qui vous a surpris dans cette rencontre de la culture caribéenne ?
A.J. : C’était une stimulation à la fois poétique, picturale, politique. J’ai aussi rencontré Octavio Paz du Mexique, puis plus tard en 63 à Cuba, connu la révolution, j’ai trouvé cela formidable.
Formidable, l’énergie de Wifredo, qui était cubain et content de l’être, mais qui était aussi un homme du futur en tant que métis absolu de trois races différentes, métissage des cultures, et pas seulement du sang. Son côté chinois était très important, le côté magnifiquement calligraphique de son dessin vient peut-être de là, on le réduit trop à la seule africanité, en plus il a des origines espagnoles, donc blanches.
GDC : Que pensait-il de la révolution cubaine ?
A.J. : Il était pour ! Fidel Castro a fait éditer pour lui en 1963 un timbre avec un de ses tableaux pour l’honorer. Il était hyper reconnu, et maintenant encore, puisqu’on vient d’inaugurer une maison magnifique, près de la cathédrale de La Havane, la « Casa Wifredo Lam » consacrée à son œuvre gravée mais aussi aux peintres plus jeunes qui peuvent exposer là. Un vrai musée, humain, dans une architecture magnifique, baroque restaurée en façade et avec des salles modernes à l’intérieur.
GDC : Comment était perçu Wifredo Lam dans les années 50 à Paris ?
A.J. : Picasso disait que s’il l’avait croisé dans la rue, il lui aurait adressé la parole sans savoir qui il était.
GDC : Pourquoi ?
A.J. : A cause de son allure. Il était très grand, 1m90, avec un sourire merveilleux, des yeux d’une vivacité formidable, c’était un personnage rayonnant. Breton, c’est pareil, il a subi la fascination de Lam, tout le monde était attiré par lui, le personnage et son œuvre.
Une harmonisation complète entre un comportement et une démarche créatrice, où le vécu et le mental fusionnent, ça c’est très rare.
GDC : Wifredo Lam votre ami, était-il heureux ?
A.J. : Oui, un personnage joyeux qui aimait les plaisanteries, l’humour. Il avait la grâce. Durant son long séjour en Espagne, il a découvert Velázquez et les musées archéologiques indiens avec les trésors volés par les Espagnols en Amérique latine.
Le passé de l’Amérique latine, il l’a découvert à Madrid. Tout ça l’a ébloui et l’a formé. Et finalement ce petit garçon de Sagua la Grande, son village natal à Cuba, était un autodidacte pur.
Il a tout compris par lui même, avant d’aller à Paris. Il était très indépendant. Dans le groupe surréaliste, on ne le voyait pas souvent. Trop libre pour s’astreindre à une discipline de groupe. Le seul malheur de sa vie, c’est cette maladie finale, l’hémiplégie. Paralysé, cela l’empêchait de dessiner.