BIOCARBURANT ET CEREALES, SI FIDEL CASTRO AVAIT RAISON ?
Les prix des céréales pourraient doubler
L’extrait d’un article d’Alain FAUJAS, publié par le journal Le Monde et qui traite du problème de la menace sérieuse de famine pour certains populations de la planète du fait notamment de la fabrication de biocarburant à base d’aliments.
VERRA-T-ON dans les mois qui viennent des émeutes de la faim en Érythrée, au Sénégal, en Arménie ou en Egypte ? La Banque mondiale le craint en raison de la forte hausse des cours des céréales due à la faiblesse des stocks mondiaux.
Dans leur rapport annuel sur le Financement du développement dans le monde, publié mardi 29 mai, les prévisionnistes de la Banque mondiale estiment que trois risques menacent la bonne santé de l’économie mondiale.
Les deux premiers sont archiconnus. Il s’agit de la surchauffe en cours dans certains pays émergents - et l’on pense inévitablement à la Chine - et d’un ajustement plus grave que prévu dans le secteur immobilier américain.
PRIX TRES ELEVE DES CEREALESLe troisième risque est tout à fait nouveau et concerne essentiellement les populations pauvres des pays en développement. Il tient aux prix très élevés des céréales.
Les stocks de blé, de maïs et de riz sont tombés à 16 % de la consommation annuelle mondiale, écrivent les auteurs du rapport. Parce que la sécheresse a fait des ravages en 2006 dans les récoltes australiennes et ukrainiennes. Parce que la Chine a réduit des deux tiers, depuis 1999, sa politique de stockage. Parce qu’une part de plus en plus importante de la récolte de maïs américain est affectée à la fabrication de biocarburant.
Ce diagnostic ravira le dirigeant cubain Fidel Castro qui, depuis le mois de mars, dénonce, chaque semaine, un futur "génocide" par la famine que pourrait provoquer l’utilisation croissante des céréales à des fins énergétiques .
La Banque mondiale estime que les États-Unis, premier producteur et premier exportateur mondial de maïs, devraient consacrer, en 2007, 25 % de plus de sa récolte à la fabrication d’éthanol. Malgré l’augmentation de 15 % des surfaces plantées, les prix du maïs ont fait un bond de 75 % depuis l’été 2006.
HAUSSE SPECTACULAIRE !
Par effet de substitution et de contagion, l’inflation a gagné les autres céréales et la Banque s’inquiète de la possibilité d’une hausse supplémentaire et générale de 40 %, car "les stocks ne sont que légèrement supérieurs aux niveaux observés avant que les prix des céréales ne doublent en 1972-1974".
Le rapport construit un scénario qui propulserait le prix de la tonne de blé de 192 dollars en 2006 à 275 en 2007 (+ 43,2 %), celui du maïs de 122 dollars à 175 (+ 43,4 %) et celui du riz de 305 dollars à 400 (+ 31,1 %).
CONSEQUENCES DRAMATIQUES !
Les conséquences seraient dramatiques dans les pays en développement, comme le Kenya, où le maïs fournit 36 % de l’apport calorique des ménages. Un chiffre qui monte à 58 % pour les ménages les plus pauvres. L’impact serait plus grave pour les familles urbaines, car les ménages agricoles produisent plus qu’ils ne consomment et profitent du renchérissement des cours des céréales.
Selon les simulations, la réduction de revenu des populations les plus pauvres pourrait alors s’élever à 6,3 %. La chute du revenu - en pourcentage du produit intérieur brut - serait particulièrement forte pour l’Erythrée, le Tadjikistan, le Lesotho, la Gambie, le Yémen, le Sénégal, l’Arménie, le Mozambique, le Nigeria ou le Honduras.
"Dans des pays comme le Nicaragua, écrivent les auteurs, une augmentation de 40 % des prix des céréales pourrait suffire à faire tomber 2 % supplémentaires de la population dans une situation d’extrême pauvreté."
DOUBLEMENT DES PRIX ? PAS A EXCLURE !
Ce que ne dit pas le rapport, c’est que d’autres facteurs sont à l’oeuvre et contribueront à une nouvelle réduction des stocks et donc à la hausse des prix : l’avancée de l’urbanisation réduit les surfaces arables, notamment en Asie ; l’élévation du niveau de vie, par exemple dans l’ex-aire soviétique, augmente la demande de viande et donc l’utilisation des céréales pour l’embouche. Le phénomène d’enchérissement ne fait que commencer.
Pour savoir si les anticipations d’une pénurie par les spéculateurs déclencheront un emballement, les experts de la Banque mondiale estiment qu’il faut attendre la récolte américaine de céréales à la mi-août, car le pire - un doublement des cours - n’est pas à exclure.