Bientôt un (vrai) whisky cubain ?

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Eh oui ! La culture ce n’est pas que la musique, le cinéma ou la littérature, mais aussi l’alimentation, boisson et nourriture ! Un projet original sur Cuba. PHM

la plus grande île des Caraïbes, patrie du mojito et du rhum moderne, redonne une chance à la distillation de whisky. La fabrication d’un single malt selon les règles de l’art a commencé.

Asseyez-vous. Si, si, j’insiste, la nouvelle risque de vous amollir les rotules – encore que le titre vous aura en principe mis sur la voie. Figurez-vous qu’en décembre 2022, dans le secret d’un entrepôt de Sancti Spiritus, pile poil au centre de l’île, Cuba a commencé à distiller son premier « vrai » single malt, Los Primos (les cousins), élaboré selon les règles de l’art, ou plus exactement dans le respect des normes européennes.
Ce n’est pas la première fois que la patrie du mojito, le berceau du rhum moderne, se risque dans la fabrication du whisky.
Selon ses biographes, Fidel Castro lui-même préférait le scotch au rhum, avec un faible appuyé pour Chivas et Macallan. Le Líder Máximo confia un jour au Ministre du Commerce de Tony Blair, Brian Wilson, avoir expédié des espions dans les Highlands dans les années 1970, histoire de pomper les secrets industriels du scotch.

Les taupes ratent leur coup
Entre nous, le Japonais Masataka Taketsuru, en son temps, avait mieux réussi son coup. L’opération tourna en eau de boudin, soit peu ou prou le goût du Old Havana, à en croire les courageux qui s’imbibèrent avec ce « whisky » local que les Cubains persistèrent néanmoins à pisser dans un coin d’une distillerie de rhum, sans que jamais personne ne sût ce qu’ils collaient dedans – d’où les guillemets empreints de précaution protégeant le noble mot whisky.

Cette fois, l’affaire est sérieuse. Le projet démarre il y a plus d’un an par… un gin. Les autorités cubaines – Tecnoazucar et le Minal (le Ministère de l’Industrie Alimentaire) – entendent satisfaire la demande locale enthousiaste pour l’alcool de genièvre avec un produit fabriqué sur l’Île, grâce à l’aide d’une poignée d’investisseurs français, dont le consultant Nicolas Julhès, fondateur de la Distillerie de Paris, bien connu des amateurs de fines gnôles.

Ecrire l’histoire du whisky cubain
Tous les chemins mènent au rhum, mais pour prendre la route du whisky, mieux vaut avoir la carte, et suivre les flèches. « On a d’abord imaginé un gin, qui arrive très bientôt sur le marché. Et on se retrouve aujourd’hui à écrire les premières pages de l’histoire du whisky à Cuba ! », s’enthousiasme Nicolas Julhès.

Le malt non tourbé importé – l’orge ne pousse guère sous les tropiques – est brassé avec un seul palier de température, avant de passer par une fermentation d’environ 60 heures aidée de levures brassicoles, puis une double distillation très lente, « avec des coupes basses, vers 63-65% », dans un unique alambic « qui rectifie beaucoup ».

N’allez surtout pas imaginer les pots stills écossais rutilants et majestueux : celui-ci, en cuivre chemisé de zinc, dépourvu de chapiteau, a la bobine de R2-D2 (décapité) amoché après la bataille de Yavin. Il avale 4 premières chauffes regroupées pour pouvoir procéder à la deuxième passe : pas le système le plus performant.

Pour la maturation, d’au moins 3 ans, conformément aux règles européennes, les équipes ont privilégié, bien sûr, les fûts de rhum et d’aguardiente – l’eau-de-vie de canne plus aromatique utilisée dans les assemblages du ron cubano – pour accueillir le distillat céréalier.

Tout ce qui n’est pas simple est compliqué (et vice-versa)
Sur le papier, l’histoire a l’air simple. Dans la réalité, rien ne l’est. Tout d’abord, à Cuba, terre où naquit au XIXe siècle le rhum moderne coulé en colonnes, les pots stills sont rarissimes. Stocker le malt dans de bonnes conditions sous climat humide pose également un sacré défi. Et, en raison du dévastateur embargo commercial qui frappe l’île depuis 1962, importer du matériel, des fûts ou des matières premières relève de la mission commando. Cerise sur le banana cake, Trump a réinscrit Cuba sur la liste noire des Etats soutenant le terrorisme avant de quitter (à grand-peine) la Maison Blanche, durcissant par la même occasion les sanctions.

Pas de quoi décourager les investisseurs, qui espèrent un allègement des restrictions. « Pour l’instant, on amorce la pompe, en remplissant 2 fûts par semaine, reconnaît Nicolas Julhès, entre deux allers-retours Paris-La Havane. La production vise le marché national, mais à terme, cependant, les ambitions d’exportation ne font aucun doute : Cuba court en permanence après les devises. »
Si l’aventure se poursuit, elle se s’écrira sur une page blanche. « Il faudra poser le cadre juridique, les règles, définir le whisky cubain. C’est passionnant ! Pourquoi ne pas créer une catégorie “malt de colonne”, puisque la distillation en colonne est ici une tradition ? Ou une catégorie de whisky plus jeune que les 3 ans règlementaires en Europe, et réservée au marché local, par exemple ? Avec le vieillissement tropical, cela ferait du sens. » Wait and see. Une révolution se prépare peut-être à Cuba : cela faisait longtemps.
Par Christine Lambert
https://www.whiskymag.fr/article/bientot-un-vrai-whisky-cubain/