Café Guamuhaya

Un projet artisanal au cœur de grands enjeux économiques

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Dans la province de Cienfuegos à Cuba se développe un projet de production de café biologique artisanal.
A travers lui se pose la question des relations entre producteurs de café des pays du Sud et les multinationales des pays développés.
Nous allons, dans un premier article, aborder brièvement le cadre général concernant ce marché puis, dans un second article, nous décrirons le projet lui-même.

Pour cette partie, je me suis référé à l’article « Revenus des producteurs de café : le double effet Kiss Cool » de Quentin Rouyer et aux statistiques publiées par Statista et Macrotrends.

Un marché en expansion

Le grain de café est la deuxième matière première la plus vendue au monde (après le pétrole) et la demande mondiale de café biologique est sur le point de doubler d’ici 2026.
La production mondiale de café est passée de 105 millions à 175 millions de sacs de 60 kg entre 2004 et 2021. Cependant elle tend à se stabiliser et même à baisser compte tenu des difficultés des producteurs alors que la demande de café croît rapidement au niveau mondial. Le marché du café qui est évalué à 385 milliards de dollars en 2021 (dont 27 milliards $ pour le marché haut de gamme) devrait passer à 500 milliards en 2030.
C’est un marché très concurrentiel dominé par des grands groupes tels que Nestlé, JM Smucke, Kraft Heinz et Starbucks.
100 millions de personnes sont impliquées dans le secteur agricole du café et 70% des exploitations sont détenues par des petits exploitants qui possèdent moins de 10 hectares.

Une relation de type colonial qui profite aux multinationales

En 2020, parmi les 10 premiers exportateurs de café en valeur dans le monde, on retrouvait la Suisse, l’Allemagne, l’Italie, la France et les Pays-Bas (Statista)

Le réchauffement climatique ne peut pas expliquer cette situation. Il ne pousse pas de café sur les alpages helvétiques, ni en Bavière, ni sur les bords de la Loire.

Ces pays ne produisent pas mais importent la matière première, le « café vert » des pays du Sud pour le torréfier et le commercialiser dans les pays développés. Nous sommes en face d’une véritable relation de type colonial.

En 2022, le géant italien Lavazza a atteint un chiffre d’affaires de 2,7 milliards d’euros, en croissance de 17,6 % par rapport à 2021.

La même année Starbucks réalisait un chiffre d’affaires mondial de 32,25 milliards de dollars en augmentation de 31 % par rapport à 2021.
Le dividende par action versé par ce même Starbucks est passé de 0,55 $ en 2014 à 2,16 $ en 2023.

Les producteurs sont les grands perdants

Le prix versé aux producteurs, pendant les 50 dernières années, a évolué en dents de scie. Le prix FOB (Free On Board) qui inclut le prix payé aux producteurs, mais aussi les coûts des opérations destinées à préparer le café vert (dépulpage, lavage, séchage, déparcharchage, triage, mise en sac et livraison au port), n’est pas le bon indicateur. Il faut donc rechercher le prix à la sortie de la ferme (Farm Gate Price) que l’on trouve dans le tableau suivant.

On remarque la grande volatilité du prix, très déstabilisatrice pour les producteurs qui ne peuvent planifier et estimer leurs revenus puisque la production se vend généralement en une seule fois.
Cependant, la courbe de tendance (en rouge) montre que les prix moyens sont restés quasiment identiques sur 50 ans alors que le dollar s’est fortement déprécié, ce qui revient à constater une baisse des prix réels versés aux producteurs.

Si on ne prend en compte que les 10 dernières années, la courbe de tendance montre une baisse du prix payé aux producteurs même sans tenir compte de la dépréciation du dollar.

Cet appauvrissement des producteurs provient du fait que les grandes multinationales, qui captent l’essentiel de la production mondiale, sont en mesure de mettre en concurrence les producteurs au niveau mondial et disposent aussi de l’arme des stocks de café verts dans les ports occidentaux pour peser sur les cours. Ajoutons à cela l’action néfaste des spéculateurs qui jouent à la hausse et à la baisse pour amplifier les variations des prix.

Les multinationales du café ont développé une communication destinée à mettre en valeur leur rôle dans la torréfaction du café. Ainsi ces grands groupes présentent ce qui n’était qu’une opération basique d’un quart d’heure comme un travail digne de celui des maîtres de chai faisant oublier au passage les mois de travail des producteurs qui ont planté, entretenu les caféiers et récolté les cerises de café.

Ce discours et le développement des nouveaux formats (capsules ou dosettes) plus des certifications parfois douteuses ont servi à justifier l’augmentation des prix à la consommation sans que les producteurs n’en bénéficient.

Dans ma jeunesse on achetait le café chez certains épiciers qui le torréfiaient dans leur boutique et on ne pouvait le garder longtemps. Les grands groupes continuent d’entretenir cette idée en oubliant les progrès réalisés dans les emballages qui permettent une plus longue conservation et donc de torréfier le café dans le pays de production.

Le prochain article présentera le projet de production artisanale qui concerne le massif montagneux de Guamuhaya et la ville de Cienfuegos.