Carlos Manuel de Céspedes

A Cuba, pas une ville sans une rue, un boulevard, une place, un parc, un square Céspedes. Mais qui est celui que les cubains nomment le « Père de la Patrie » ?

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Vénéré comme le « Père de la Patrie », l’avocat Carlos Manuel de Céspedes, en renonçant à ses intérêts de classe et à ses biens personnels, est le symbole de l’aspiration à l’émancipation en liant la liberté de Cuba à l’abolition définitive de l’esclavage. Fidèle jusqu’au bout à sa devise « l’Indépendance ou la mort », il a pris les armes contre l’oppresseur espagnol, sans aucune expérience militaire, et a mené le combat contre une puissance infiniment supérieure.
Cet article est une synthèse de l’article de Salim Lamrani intitulé "Carlos Manuel de Céspedes : Au nom de la Liberté", que l’on peut retrouver en intégralité sur le site de la revue universitaire Etudes caribéennes à l’adresse suivante : https://journals.openedition.org/etudescaribeennes/21298
Autres Sources :
• « Cuba, une Histoire », par Sergio Guerra Vilaboy et Oscar Loyola Vega, éditions OceanPress 2017
• Archives de Radio Habana

L’Homme du 10 octobre 1868

Né le 18 avril 1819, Carlos Manuel de Céspedes grandit au sein d’une famille aisée de cinq enfants. Ses parents sont d’importants propriétaires terriens. Après un enseignement primaire classique, il suit des études de philosophie et de latin, selon une tradition réservée aux classes aisées. Il fréquente par la suite l’Université de La Havane où il obtient son diplôme en droit civil en 1838 puis poursuit ses études à l’Université de Cervera de Barcelone. Durant son séjour, il s’imprégna du sentiment indépendantiste des Catalans et de leur rejet des autorités de Madrid. En 1843, au moment du soulèvement du Général Juan Prim contre le pouvoir central espagnol, Carlos Manuel de Céspedes participe à l’insurrection et devient capitaine des milices civiles. Mais suite à l’échec de la rébellion, il est contraint à l’exil en France. En visitant plusieurs pays européens, dont la France, l’Italie, l’Allemagne, et l’Angleterre, Céspedes devient polyglotte et découvre une réalité différente de celle de la Cuba coloniale opprimée
En 1844, conscient que son destin est de lutter pour la liberté de sa patrie Carlos Manuel de Céspedes décide de rentrer à Cuba et ouvre dans sa ville natale de Bayamo un cabinet d’avocat. Son origine sociale, son érudition et son expérience européenne lui permettent de conquérir une clientèle solide.
Révolté par la politique coloniale espagnole, Carlos Manuel de Céspedes exprime régulièrement son indignation. Il est arrêté à plusieurs reprises par les autorités et subit même un exil forcé à Baracoa.

Parc Céspedes, Place de la Révolution à Bayamo, statue hommage. Photo D. Lavauzelle

Le soulèvement du 10 octobre 1868

Le 10 octobre 1868, à La Demajagua, Carlos Manuel de Céspedes lance l’Appel de Yara au cri de « Vive Cuba libre ». Il proclame l’indépendance de Cuba et décrète l’insurrection à la tête de près de 150 révolutionnaires. Dans le manifeste, il explique les raisons de la révolte : « En nous soulevant en armes contre l’oppression du gouvernement espagnol tyrannique, nous manifestons au monde les causes qui nous ont obligé à franchir ce pas […]. L’Espagne nous impose sur notre territoire une force armée qui n’a d’autre but que de nous soumettre au joug implacable qui nous avilit ».
Dès le 18 octobre, Céspedes fait le siège de la ville de Bayamo et l’hymne national de Cuba de Pedro Figueredo, La Bayamesa, retentit pour la première fois de l’Histoire. Le 20 octobre, la ville tombe entre les mains des insurgés. Céspedes appelle alors à la libération de tous les esclaves. Selon lui, les insurgés cubains ne peuvent se présenter au monde comme des défenseurs de l’émancipation humaine s’ils ignorent le sort de la classe exploitée et humiliée depuis des siècles. Le 27 décembre 1868, Céspedes signe le décret d’abolition de l’esclavage à Cuba.
L’Espagne lance une offensive contre Bayamo pour reprendre le contrôle de la ville au moment où Céspedes doit faire face à l’opposition du comité révolutionnaire de Camagüey, dirigé par Salvador Cisneros Betancourt qui refuse d’apporter son concours à la lutte. Après des combats acharnés, face à la supériorité de l’armée coloniale espagnole, les habitants de Bayamo refusent d’abandonner la zone à l’ennemi et décident de brûler la ville.

Grito de Yara (« Cri de Yara »)
Le 10 octobre 1868, Carlos Manuel de Céspedes proclame l’indépendance de Cuba
vis-à-vis de l’Espagne et libère ses esclaves en leur demandant de se joindre à la lutte.
Archives Prensa Latina

« La République en armes »

Le 10 avril 1869, malgré les divisions au sein des forces indépendantistes, la première Constitution de Cuba voit le jour à Guaímaro et met en place une République parlementaire. Elle décrète que « tous les habitants de la République sont entièrement libres » (Article 24), ratifiant ainsi l’abolition de l’esclavage. Ce jour-là nait la République de Cuba en armes. Carlos Manuel de Céspedes est élu Président le 12 avril 1869 par l’Assemblée législative.
Il décide d’étendre la guerre à toute l’île afin de lui donner un caractère national. La « guerre des Dix Ans » contre l’Espagne permet de réduire beaucoup le clivage existant entre les deux éthnies fondamentales qui composaient le peuple cubain. Sur le terrain, environ 5.000 mambis (guérilleros cubains) se battent contre presque 100.000 Espagnols. Les Cubains libèrent lentement les zones rurales, tandis que l’Espagne maintient sa domination sur les villes et les villages. Les mambis avancent vers l’Ouest en détruisant une grande quantité de sucreries et d’exploitations, selon la politique de « torche incendiaire » précisée dans le décret ordonnant la destruction de tous les champs de canne à sucre. Parallèlement, ils affranchissent les esclaves dont la population s’élève alors à plus de 300.000 hommes et femmes, dont plus de 70 pour cent dans la région occidentale.
L’armée espagnole est supérieure en armes et en hommes, alors que les révolutionnaires dépendent du matériel pris à l’ennemi et des rares expéditions en provenance de l’étranger. Madrid décrète une guerre à mort pour écraser l’insurrection : « Tout homme, âgé de quinze ans ou plus, trouvé loin de son lieu de résidence sans raison valable, sera fusillé. Toute habitation non occupée sera brûlée et toute maison n’arborant pas un drapeau blanc sera réduite en cendres ». (Comte Valmaseda, chef militaire espagnol de l’île)

Mais face la guerre totale imposée par l’Espagne, alors qu’il faut une unité sans failles de toutes les forces patriotiques, en décembre 1869, la Chambre des Représentants commence les manœuvres pour obtenir la destitution du leader révolutionnaire.
En 1870, Oscar, le fils de Céspedes qui avait également pris les armes pour l’indépendance, est capturé par les troupes espagnoles qui proposent la reddition contre la vie et la libération de son fils. Dans une réponse restée célèbre, le patriote de Manzanillo rejette l’offre : « Dites au Général Caballero de Rodas que Oscar n’est pas mon seul fils. Je suis le père de tous les Cubains qui sont tombés pour la Révolution ». Le 3 juin 1870, Oscar est fusillé par l’armée coloniale. Ce dénouement tragique et cette réplique historique suscitent alors l’admiration et le respect des Cubains qui décidèrent de surnommer Céspedes « Le Père de la Patrie ». Ce drame familial n’empêche pas ses ennemis de poursuivre leur conspiration pour l’éjecter du pouvoir.

Timbre poste à l’effigie de C.M. de Céspedes, 2019. Photo DR

Et pendant ce temps, le rôle des États-Unis…

Les États-Unis, opposés à l’indépendance de Cuba, refusent toute aide aux révolutionnaires et multiplient les contrats d’armements avec Madrid afin de lui permettre d’écraser la rébellion. Depuis le début du XIXe siècle, Washington ambitionne de s’emparer de l’île. Dès 1805, Thomas Jefferson, alors Président des États-Unis, déclare que « la possession de l’île est nécessaire pour assurer la défense de la Louisiane et de la Floride, car elle est la clé du golfe du Mexique ». John Quincy Adams, alors secrétaire d’État, évoque la possible annexion de Cuba et élabore la théorie du « fruit mûr ». Selon lui, les « lois de gravitation politique, semblables à celles de la gravitation physique », permettraient aux États-Unis de prendre facilement possession de l’île.

La chute de Carlos Manuel de Céspedes

En plus de l’hostilité de Washington, Carlos Manuel de Céspedes doit affronter les divisions internes au sein du mouvement révolutionnaire et l’exercice de sa fonction de Président devient extrêmement difficile en raison d’obstacles imposés par les chefs locaux élus au sein du Congrès. Le 20 avril 1872, Salvador Cisneros Betancourt fait adopter une mesure selon laquelle le Président de la Chambre de Représentants occupera le poste exécutif suprême en cas d’intérim, préparant ainsi le terrain à une future destitution. Céspedes est destitué le 27 octobre 1873 et son rival Cisneros réalise son ambition et devient alors le nouveau Président.
Cette destitution annonce la fin de la Première guerre d’indépendance de Cuba et casse l’unité révolutionnaire.
Le 27 février 1874, les Espagnols réalisent une opération pour capturer Céspedes. Arme à la main, il engage un combat avec les soldats de l’armée coloniale. Grièvement blessé, il refuse de tomber entre les mains de l’ennemi et se jette dans un précipice.

Après Céspedes

La première guerre d’indépendance s’achève le 10 février 1878 par le Pacte de Zanjón, une « paix sans indépendance », le 10 février 1878.
S’il reconnait la liberté des esclaves noirs et des coolies chinois présents dans les rangs des mambís, ce compromis ne contient ni souveraineté ni liberté. Antonio Maceo, symbole de la résistance cubaine, rejettera cet accord et répondra par la Protestation de Baraguá le 15 mars 1878. En fin de compte, Maceo et ses troupes ont trop manqué de ressources face à l’Espagne qui concentra alors sur eux les troupes auparavant disséminées. Maceo est passé à l’Histoire comme un exemple d’intransigeance pour avoir refusé une fois de plus le statut de dépendance coloniale.

L’échec de la « Petite Guerre » de 1879-1880 ne brisera pas la volonté des indépendantistes qui lanceront l’épopée de libération finale en 1895 sous l’égide du héros national José Martí.

Après avoir défait l’Espagne en 1898, Cuba tombera entre les mains de l’impérialisme étasunien et subira son influence pernicieuse jusqu’au triomphe de la Révolution cubaine de Fidel Castro en 1959.