« Ce qui est décisif c’est ce que nous ferons… »

Un entretien d’Iroel Sanchez (*) avec Insurgente.org

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(*) Iroel Sanchez est journaliste, éditeur et analyste politique. Il dirige le blog « La pupila insomne » (www. https://lapupilainsomne.wordpress.com/)
Il nous livre ci-dessous son analyse de la situation actuelle, sans concession mais avec grand intérêt.

« Ce qui est décisif c’est ce que nous ferons pour que nous surpassions nos propres obstacles et ceux venus d’ailleurs »

Publié par « La Pupila insomne » le 14 février 2023

« Insurgente » est un moyen de communication espagnol d’où ils m’ont fait parvenir ce questionnaire sur les situations cubaine et internationale.

Insurgente : Pendant 30 années consécutives, le monde a dit NON au blocus des Etats-Unis contre Cuba, mais tout continue comme avant ? Cette ONU antidémocratique est-elle un outil valable pour les peuples ?

Iroel Sanchez : La partie de l’ONU qui approuve la résolution conte le blocus de Cuba est son organe le plus démocratique : l’Assemblée Générale, ce n’est pas le Conseil de Sécurité qui, par sa composition, son origine et ses prérogatives se révèle être absolument anti démocratique. Une autre chose est que les décisions de l’Assemblée Générale ne s’imposent pas aux états membres et, au final, bien qu’elles aient une valeur politique et symbolique, les Etats-Unis ont pu poursuivre et même renforcer cette politique, la plus réitérée et amplement condamnée par l’immense majorité des gouvernements de la planète. Le scénario de l’Assemblée Générale de l’ONU, en l’absence d’un autre d’une telle portée, met en évidence l’isolement de la politique étatsunienne contre Cuba. Mais comme dirait Boaventura de Sousa se référant à la démocratie libérale, cette Assemblée est une île de relations démocratiques dans un archipel de despotismes économiques, militaires environnementaux et de toute sorte. Tant que les luttes des peuples, y compris ceux qui vivent aux Etats-Unis, ne modifient pas l’archipel qu’est le monde, un organisme qui prétend représenter toutes les nations, comme l’ONU, ne changera pas.

Insurgente : Il reste des gens honnêtes qui, dans leur ignorance, croient encore que le blocus est une excuse utilisée par le Gouvernement révolutionnaire pour justifier les carences matérielles existant à Cuba. Tu pourrais nous en dire plus pour qu’ils ouvrent les yeux ?

Iroel Sanchez : Cette croyance devrait être confrontée à une logique élémentaire : si le blocus est une excuse, pourquoi ne le lèvent-ils pas pour que le gouvernement cubain ne puisse s’en servir et, ainsi, mettre à nu sa responsabilité dans ces carences ? Mais ce qui se passe c’est que chaque fois qu’à Cuba on prend une initiative pour mettre en place une source de revenus qui contourne le blocus, le gouvernement des Etats-Unis fait quelque chose pour empêcher sa mise en œuvre et il le fait presque chaque fois en profitant de son pouvoir planétaire, au-delà des relations bilatérales. Cela s’est produit avec l’investissement étranger et la Loi Helms, avec les consignations et les décisions de Trump qui les empêchent, avec le tourisme et les obstacles mis à ceux qui ont voyagé à Cuba pour entrer aux Etats-Unis, également avec la campagne et les pressions pour annuler les accords de collaboration médicale cubaine, la liste est presque infinie. Les Etats-Unis ne sont pas un quelconque pays, c’est la plus grosse économie du monde et le marché naturel des pays d’Amérique Centrale et des Caraïbes, la zone géographique où se trouve Cuba. Il faudrait se demander combien de jours survivrait un gouvernement de cette région face à des mesures comme celles que Washington impose à La Havane. Tout cela sans ajouter les implications de la décision de Trump, maintenue par Biden, de placer Cuba avec des arguments fallacieux sue la “Liste des pays soutenant le terrorisme” ce qui fait que toute transaction bancaire qui porte le nom de l’île soit automatiquement bloquée, pas seulement à partir des Etats-Unis mais de pratiquement quel que pays que ce soit.

Je le répète : qui a des doutes sur ce que ce blocus impose à l’économie cubaine, qu’il se l’imagine appliqué à un autre voisin proche des Etats-Unis et il pourra avoir une idée de si c’est une excuse ou un fait réel, concret, qui lèse significativement la performance économique cubaine. Mais c’est autre chose de croire que tout ce que nous faisons à Cuba est parfait et que nous ne commettons pas d’erreurs, une part d’entre elles dues à ce qu’induit ce blocus. Même la direction révolutionnaire ne cesse de reconnaître qu’il y a des procédés bureaucratiques qui confortent de leurs effets cette réalité très nocive et qui est, sans doute, le principal déterminant d’une grande partie de l’activité économique et sociale de l’Île.

Insurgente : Le président Diaz-Canel a fait un voyage officiel au mois de noviembre dernier. Les destinations étaient certainement des pays pertinents comme l’Algérie, la Russie, la Turquie et la Chine. Quelles répercussions cela a eu pour l’Île ? En quoi cela s’est-il traduit ?

Iroel Sanchez : Ce voyage a permis de restaurer des liens économiques, renouveler des approvisionnements y compris énergétiques, ouvrir de nouvelles possibilités d’investissement, annuler des dettes et réouvrir des crédits.. Tout cela s’avère essentiel pour affronter les effets de la guerre économique renforcée par Trump et poursuivie par Biden en plein milieu de la pandémie de Covid-19, dont un des objectifs est de laisser Cuba sans carburant et de la priver de toute sorte d’accès aux financements et aux crédits.

Insurgente : Après la disparition de Fidel, d’abord, puis après la relève de Raùl en 2019, la contre-révolution espérait la fin du socialisme à Cuba. Mais Diaz-Canel est dans la continuité et pour la énième fois (et cela en fait un certain nombre), cette contre-révolution s’est sentie à nouveau frustrée. Quelle appréciation le peuple a-t-il du Président ?

Iroel Sanchez : Le camarade Miguel Díaz-Canel n’a pas seulement eu à assumer le défi de poursuivre l’œuvre dirigée par Fidel et Raùl, personnalités détenant l’autorité historique pour avoir été des protagonistes et des leaders de l’épopée qui a libéré le pays du joug étasunien, abattu la dictature “batistienne” et développé le pays face au harcèlement impérialiste. Il a eu aussi à affronter une recrudescence de la guerre hybride menée depuis les Etats-Unis et jamais vue auparavant, conjointement à un ensemble d’événements naturels, des agressions d’un nouveau genre via Internet, la pandémie et des accidents de grande magnitude où il a montré son implication, son intelligence, sa fermeté et sa préparation, dans les plus difficiles circonstances, assuré la cohésion des forces révolutionnaires, apporté des solutions à des problématiques très complexes, dont certaines inédites, et maintenu en ces circonstances difficiles ce qu’il a appelé résistance créative.

Ce déploiement de travail et sa sensibilité pour être aux côtés des gens les plus nécessiteux dans les moments les plus durs lui ont gagné l’appréciation de la majorité malgré une campagne de guerre psychologique atroce, financée depuis les Etats-Unis pour le discréditer au moyen de manipulations et de mensonges, surtout sur les réseaux sociaux.

Insurgente : Il est clair que, depuis l’arrivée massive d’Internet sur l’île, une nouvelle guerre a été déclenchée contre la Révolution à travers les réseaux sociaux. Cuba est-elle préparée à combattre avec succès ces attaques furieuses ? Comment le fait-elle ?

Iroel Sanchez : Se préparer à cette guerre nécessite, à mon avis, trois éléments fondamentaux pour lesquels nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir :

1. Formation d’une culture critique à l’échelle de masse qui permette à chaque Cubain de s’orienter et d’évaluer par lui-même l’information et la désinformation sur les réseaux.

2. Création au niveau individuel et collectif de compétences pour exploiter au mieux les possibilités offertes par les dispositifs technologiques et la connectivité Internet pour la création et le positionnement de contenus de qualité sur les réseaux.

3. Articulation effective et permanente de toutes les forces prêtes à défendre la Révolution sur les réseaux.

Pour y parvenir, il est essentiel d’imbriquer le rôle du système éducatif, des médias, des institutions étatiques et des organisations sociales, politiques et de masse. Quelque chose a été accompli lorsqu’il a été possible de vaincre les campagnes sur les réseaux qui ont derrière eux des laboratoires de guerre psychologique et des plateformes technologiques qui coûtent des millions de dollars et qui, comme l’ont révélé des médias tels que The Intercept, hiérarchisent, censurent et promeuvent des contenus, sur ordre d’entités gouvernementales américaines. Cependant, il y a beaucoup plus, une quantité énorme, à faire pour préparer la société dans son ensemble à utiliser ces outils de manière cultivée, critique, créative, humaniste et solidaire.

Insurgente : Yunior García et Archipiélago ont fini par se dégonfler, comme tous les "ballons" que l’empire gonfle à Cuba. La contre-révolution n’a jamais eu de programme ni de direction, seulement l’argent qui vient du nord. Que pensez-vous dans l’Île quand la presse et les gouvernements du capital les élèvent au rang de libérateurs ?

Iroel Sanchez : Si vous avez une perspective historique, et il semble que ces gouvernements n’en aient pas, il n’est pas très difficile de penser au temps qu’il leur faudra pour rejoindre la galerie, déjà assez nombreuse, de personnages créés au service de la propagande contre Cuba depuis 1959 et dont peu de gens se souviennent aujourd’hui. Il n’est pas non plus déraisonnable de penser que, lorsque cela se produira, le prochain personnage apparaîtra, comme le Kleenex sorti d’une pochette de mouchoirs que la machine de propagande lancera sur le marché de la guerre non conventionnelle contre la Révolution cubaine.

Insurgente : Comme ce fut le cas pour le référendum sur le Code de la Famille, la contre-révolution interne et externe a également activé une campagne furieuse appelant à l’abstention lors des élections aux Assemblées du Pouvoir Populaire. Malgré les mensonges diffusés sur les réseaux sociaux, 68,58% de l’électorat a participé. Quelle est ton évaluation de ce résultat, qui est quelque peu inférieur à celui d’autres occasions ?

Iroel Sanchez : L’appel répété aux urnes au milieu du scénario difficile que Cuba a vécu et vit encore, où la vie quotidienne a été frappée par des pénuries dans l’approvisionnement de toutes sortes de produits, y compris les médicaments et les aliments, par des déficits élevés dans les transports publics et par des coupures d’électricité systématiques, qui, bien qu’elles aient diminué ces dernières semaines, restent sporadiques dans certaines régions du pays, est un acte de bravoure qui révèle une profonde confiance dans la conscience du peuple, qui suppose qu’il a suffisamment de culture politique pour savoir que nous sommes confrontés à une guerre économique, brutale et à une campagne de guerre de communication pour nous ramener à la subordination impérialiste et au capitalisme dépendant d’avant 1959.

Les élections de la fin du mois d’octobre 2022, qui sont celles qui ont produit le résultat auquel tu fais référence, étaient destinées aux délégués de circonscription qui sont la base des élections des députés à l’Assemblée Nationale et qui auront lieu le 26 mars. Comme tu le dis, ce résultat est plus faible qu’à d’autres occasions et malgré les conditions difficiles dans lesquelles il a été produit, il appartient aux révolutionnaires cubains de procéder à une profonde autocritique de ce qui s’est passé à chaque endroit. Mais ce résultat est aussi un démenti retentissant à ceux qui prétendent qu’à Cuba la répression et le contrôle social obligent les gens à se comporter d’une manière ou d’une autre et à obéir à des appels comme celui d’aller voter.

D’autre part, là où la confrontation avec la pénurie a bénéficié d’une organisation par les directions des structures du pouvoir populaire et des organisations de masse, les résultats ont été meilleurs ; et c’est à partir de ces expériences, générées par le peuple lui-même, que nous devons apprendre et les généraliser afin de générer les transformations essentielles, comme l’a fait la direction du Parti et du gouvernement lors d’échanges intenses dans tout le pays.

Insurgente : Dans le monde capitaliste, on appelle démocratie le fait de voter au bout de X années. Pendant ce temps, les soi-disant "représentants" ignorent complètement leurs "représentés" et ne respectent pas systématiquement leurs programmes électoraux. À Cuba, c’est le peuple qui nomme et élit à partir de la base. Ensuite, les exemples sont nombreux, ils participent effectivement à toutes les décisions importantes. Mais on nous dit que Cuba est une "dictature" et que ce sont eux les démocrates... Comment comprendre cela ?

Iroel Sanchez : La démocratie libérale qu’on nous vend comme modèle est conçue pour reproduire le système capitaliste et lorsque, malgré cela, grâce à l’érosion du système lui-même et à la mobilisation populaire, une alternative arrive au gouvernement qui pourrait représenter une menace pour les intérêts oligarchiques, les autres "pouvoirs" sont là pour porter des coups judiciaires, médiatiques, parlementaires et même militaires pour défendre ce qu’ils considèrent comme l’ordre naturel des choses. Tout est essayé, depuis l’assassinat d’un candidat, l’emprisonnement injuste d’un autre, la manu militari, ou la menace des banques s’il n’est pas possible d’empêcher une gauche de gouverner et de faire des politiques de gauche comme elle a promis de le faire.

Pour le capital, la démocratie n’est qu’élections dans lesquelles l’argent et les médias, jamais entre les mains des majorités mais toujours dépendants des annonceurs et des actionnaires, jouent un rôle décisif. Ce sont des processus réalisés au milieu d’énormes inégalités économiques, éducatives, culturelles et communicationnelles, où les représentants des élites économiques organisées en partis palliatifs règlent leurs différends dans un grand spectacle médiatique afin d’obtenir, d’abord, des financements et ensuite des votes.

À Cuba, sans l’intervention de l’argent ni d’aucun parti, ce sont les habitants, organisés en assemblées de quartier, qui désignent les candidats, qui vont ensuite voter pour désigner jusqu’à huit candidats dans chaque circonscription et qui, par un vote secret des citoyens, élisent un délégué à l’Assemblée Municipale, qui est l’organe suprême du pouvoir dans chaque territoire. C’est cette Assemblée Municipale, composée de délégués élus directement par le peuple, et non par l’élite d’un parti qui établit des listes en fonction de ses intérêts et de ses financiers, qui vote pour un candidat à la députation à l’Assemblée Nationale pour laquelle le peuple doit à nouveau voter directement et secrètement pour former les plus hauts pouvoirs de la nation.

C’est un système qui peut encore être perfectionné, mais c’est celui d’un pays sans analphabétisme, avec neuf niveaux d’enseignement obligatoire, où la santé et l’éducation sont des garanties universelles et où les citoyens n’ont pas à payer des faveurs aux politiciens avec leur vote pour accéder à ces services, comme c’était le cas avant 1959 et comme c’est encore le cas dans de nombreux pays. L’exercice électoral cubain est plus proche de l’idéal démocratique prôné mais non pratiqué par ceux qui attaquent Cuba.

Et au-delà des élections, la société cubaine dispose de nombreuses autres formes de participation démocratique et de défense des droits des travailleurs, des étudiants et des habitants des communautés, supérieures à celles du capitalisme. Une participation qui, bien que dans sa pratique concrète elle puisse souffrir de formalismes et de déviations que la société elle-même et ses dirigeants critiquent, n’a rien à voir avec les déformations causées par les intérêts économiques qui corrompent et dominent la politique dans la majorité des sociétés capitalistes.

Insurgente : Au mois de janvier dernier, Cuba a assumé la présidence du “Groupe des 77” (*) plus la Chine. Quelles sont les expectatives de l’île sur ce sujet ?

Iroel Sanchez : L’élection de Cuba à la tête de ce groupe de 134 pays est avant tout la reconnaissance d’un gouvernement que les États-Unis se sont efforcés d’isoler et de diaboliser. Le leadership de Cuba est considéré par ceux qui ont voté pour lui comme une opportunité de promouvoir la lutte contre les inégalités économiques internationales qui sapent les aspirations au développement de la grande majorité des nations qui composent le groupe. Le fait qu’un pays qui a fortement encouragé la coopération Sud-Sud dans le domaine de l’éducation et de la santé, comme c’est le cas de Cuba, qui a diplômé des dizaines de milliers de professionnels du Tiers Monde dans ses universités et envoyé des brigades médicales dans un grand nombre de pays, soit à la tête de ce groupement, est un espoir pour la coopération dont tant de gens ont besoin. Les questions qui touchent toujours les nations les plus pauvres, comme le changement climatique, le faible niveau de financement du développement ou la dette extérieure, ont besoin d’un coup de pouce au profit des pays du Sud, et l’approche équitable de Cuba a joué un rôle actif dans leur dénonciation et leur coordination, ce qui est une autre raison pour laquelle ce choix est sûrement bien accueilli par les membres du groupe. De même, le développement biotechnologique de Cuba, démontré par sa capacité à produire trois vaccins contre le Covid-19, donne un attrait supplémentaire au Sommet annoncé sur la science, la technologie et l’innovation comme prémisse au développement et à la confrontation des futures pandémies, qui se tiendra à La Havane cette année.

Insurgente : On dit que nous assistons actuellement à une "troisième vague progressiste" en Amérique Latine. Un terme, à notre avis, qui n’est que relativement porteur d’espoir, car les vagues ne restent pas indéfiniment hautes, mais finissent tôt ou tard par retomber , ce qui est arrivé au cours des dernières décennies. C’est ce qui s’est produit au cours des dernières décennies. Comment se fait-il que dans l’Amérique capitaliste, la même chose se produise encore (pas de dépassement du capitalisme, limité à la distribution de l’aumône impliquée par la social-démocratie) et qu’aucune révolution socialiste comme celle de Cuba n’émerge ?

Iroel Sanchez : La nature radicale de la Révolution cubaine correspond à un contexte et à une période historiques spécifiques. Chaque pays et chaque époque a ses propres caractéristiques et c’est en fonction de celles-ci que les révolutionnaires agissent pour transformer la réalité. Ceux qui ont avancé le plus profondément dans la démolition des structures de domination qui assurent le contrôle de l’impérialisme sur nos pays par le biais des oligarchies nationales, que ces structures soient militaires, juridiques, communicationnelles... ont pu opérer des transformations à long terme et plus résilientes au profit de leurs peuples. C’est le cas au Venezuela, au Nicaragua et aussi dans une certaine mesure en Bolivie, où la répression la plus brutale n’a pas pu empêcher le retour rapide des forces populaires au gouvernement, les poursuites judiciaires contre les putschistes qui s’y déroulent actuellement montrent une prise de conscience du fait qu’il ne doit pas y avoir d’impunité dans leur affrontement déterminé, alliant la force de la loi à la mobilisation populaire. La facilité avec laquelle les renversements ont été effectués dans d’autres pays révèle la fragilité des transformations réalisées, en raison de leur caractère non structurel, en ne profitant pas des moments de grande popularité et de consensus pour mener à bien, soutenue par une grande mobilisation populaire, la destruction de ce que Lénine appelait, dans État et Révolution, l’appareil de l’État bourgeois. Ce qui s’est passé fournit de dures leçons qui ont sûrement été tirées. Mais j’insiste, ce n’est pas à nous, révolutionnaires cubains, de qualifier ou de donner des recettes, cela a toujours été la méthode de Fidel et continue d’être celle des dirigeants cubains aujourd’hui.

Insurgente : Répondant à une question de insurgente.org, le camarade Marcelo Colussi nous a dit que "Cuba ne tombe pas parce que le peuple et le gouvernement sont en conjonction et qu’elle est vraiment socialiste". Les gouvernements progressistes tombent-ils périodiquement parce qu’ils ne le sont pas ?

Iroel Sanchez : C’est à ces gouvernements et mouvements de décider s’ils sont socialistes ou non et de l’ampleur des transformations à réaliser dans leur pays. Cuba est bien plus qu’un gouvernement socialiste, c’est un État socialiste, fruit d’une Révolution au pouvoir depuis plus de soixante ans, avec laquelle son peuple a été forgé et éduqué. Comparer des circonstances différentes n’est pas juste et ne conduit pas aux bonnes conclusions. Nous n’avons pas sur cette île, et nous ne voulons pas avoir, un mètre socialiste pour mesurer les autres, nous en avons assez pour nous mesurer à nos propres défis, vaincus et à vaincre encore.

Insurgente : Ceux qui ont lu "El fuego de la semilla en el surco" (le feu de la graine dans le sillon) de Raúl Roa (le chancelier de la dignité) ou "El párpado abierto"(La paupière ouverte) de Rubén Martínez Villena, l’anthologie de poésie dans laquelle se trouve le poème qui donne son nom au blog que vous administrez, pourront imaginer pourquoi vous l’avez choisi. Pour ceux qui ne connaissent pas Rubén, que pourriez-vous leur dire à son sujet ?

Iroel Sanchez : Rubén est un paradigme de l’intellectuel révolutionnaire, du combattant social et anti-impérialiste qui, doué comme peu d’autres pour la création littéraire et la pensée politique, a mis son talent et son savoir au service des humbles. Sa vie, comme son œuvre poétique et politique, malgré la brièveté de son existence, continue d’émouvoir ceux qui l’approchent. La lecture de ses poèmes, de sa biographie, de sa correspondance ou de ses essais ne nous laisse pas indifférents et nous fait grandir en tant qu’êtres humains.

Insurgente : Cuba a été un exemple pour l’Amérique Latine et le reste du monde pendant 64 ans. Le socialisme est-il possible pour un bon moment sur l’île irréductible ?

Iroel Sanchez : Les trois dernières années, qui ont combiné les politiques opportunistes de " pression maximale " de Trump et Biden, avec les effets accumulés d’un blocus génocidaire, d’une pandémie mondiale qui a eu un impact dévastateur sur le tourisme, l’une des plus importantes sources de revenus de l’économie cubaine et l’inflation internationale causée par la guerre en Europe, ont été une épreuve très dure pour le peuple cubain et son projet socialiste. Mais nous sommes là et nous serons là. Ce qui est discuté aujourd’hui n’est pas quand Cuba et sa Révolution tomberont mais quand l’impérialisme changera sa politique extrême de génocide contre le peuple cubain et c’est déjà une victoire. Mais la victoire définitive sera lorsque nous parviendrons à reprendre le chemin du développement, à récupérer et à dépasser nos grandes conquêtes sociales, à changer et à renouveler notre fonctionnement social et économique afin que, indépendamment de ce que font nos ennemis, nous puissions réaliser ce que notre peuple a proposé et mérite, comme le prévoit la Constitution approuvée en 2019 par le vote de plus de 86% de l’électorat. Pour y parvenir, une fois de plus, ce qui est décisif est ce que nous faisons, même si nous devons surmonter nos propres obstacles et ceux des autres.

Insurgente : Nous savons que tu n’as pas beaucoup de temps , alors merci beaucoup, Iroel, pour ton attention. Si tu veux ajouter quelque chose d’autre, tu sais que tu peux le faire. Pour notre part, nous en resterons là.

Iroel Sanchez : Merci à vous pour vos questions et de l’occasion que vous m’avez donnée de diffuser notre point de vue.

(*) N.d.T. :Le Groupe des 77 (G77) aux Nations unies est une coalition de pays en développement, conçue pour promouvoir les intérêts économiques et politiques collectifs de ses membres et créer une capacité de négociation accrue aux Nations Unies. Il symbolise l’engagement des Nations Unies à promouvoir la démocratisation des relations internationales et en constitue un facteur essentiel.