Changement climatique : l’exemple donné par Cuba

Le monde entier devrait prendre au sérieux une démarche hors des logiques de profit

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Cuba prend des mesures concrètes pour réorienter son économie dans le cadre de la lutte contre le changement climatique. Les considérations environnementales font partie intégrante de la stratégie nationale de développement de Cuba qui consiste à s’appuyer sur la science environnementale, les solutions naturelles, la participation de la communauté pour faire face à la catastrophe climatique, cela sans s’appuyer sur les logiques de marché.
DL

Un peu d’histoire

En mai 1959, la loi sur la réforme agraire confie à l’État la responsabilité de protéger les zones naturelles, et lance des programmes de reboisement.
En 1976, Cuba est l’un des premiers pays au monde à inclure les questions environnementales dans sa constitution, et à créer une Commission nationale pour la protection de l’environnement et l’utilisation rationnelle des ressources naturelles. On ne parle pas encore de « développement durable »
En 1992, Fidel Castro prononce un discours alarmiste lors du Sommet de la Terre au Brésil. Il impute la responsabilité de la destruction rapide de l’environnement aux relations internationales fondées sur l’exploitation et les inégalités, résultant du colonialisme et de l’impérialisme et alimentées par les sociétés de consommation capitalistes. Un engagement en faveur du développement durable est introduit dans la constitution cubaine. Des enquêtes scientifiques sur l’impact du changement climatique à Cuba sont lancées.
En 1994, un nouveau ministère des sciences, de la technologie et de l’environnement (CITMA) est mis en place avec une stratégie nationale pour l’environnement, adoptée en 1997, avec de larges pouvoirs pour « contrôler, diriger et mettre en œuvre une politique environnementale  » tout en fixant des « frontières et des limites » aux activités des entreprises étrangères opérant à Cuba.
En 2019, la nouvelle Constitution cubaine établit le « droit de jouir d’un environnement sain et équilibré en tant que droit humain  »

Yumuri, baie de Baracoa (Province de Guantanamo) Crédit photo DL

Et aujourd’hui ?

Cuba, tenue pour responsable de 0,08 % des émissions mondiales de CO2, est touchée de manière disproportionnée par les effets du changement climatique. La fréquence et la gravité des phénomènes météorologiques extrêmes (ouragans, sécheresse, pluies torrentielles, inondations ) sont en augmentation, au détriment des écosystèmes, de la production alimentaire et de la santé publique.
Les prévisions les plus optimistes considèrent que jusqu’à 10 % du territoire cubain pourrait être submergé d’ici la fin du siècle. Si aucune mesure n’est prise pour protéger le littoral de l’élévation du niveau de la mer, cela risque d’anéantir les villes côtières, de polluer les réserves d’eau, de détruire les terres agricoles, de rendre impraticables les plages touristiques et de forcer un million de personnes à se déplacer – soit environ 9 % de la population.

Tarea Vida, Objectif Vie

A Cuba des mesures ont été entreprises dès 2006 et encore en 2020, plusieurs rapports internationaux ont désigné Cuba comme leader mondial du développement durable avec en 2017 le lancement de Tarea Vida (Objectif vie), son plan à long terme pour faire face au changement climatique.
Il identifie par exemple les populations et les régions à risque, de sorte que des climatologues, des écologistes et des experts en sciences sociales travaillent aux côtés des communautés locales. Sa mise en œuvre progressive par étapes de 2017 jusqu’en 2100, intègre des mesures d’atténuation comme le passage à des sources d’énergie renouvelables.
En cas de débordement de la mer, par exemple, la première tâche de Tarea Vida consiste à protéger les communautés vulnérables en relogeant des ménages ou des quartiers entiers : l’État cubain prend en charge la relocalisation, y compris la construction de nouveaux logements, de services sociaux et d’infrastructures publiques.

Le littoral à Gibara, (province de Holguin) Crédit photo DL

Tarea Vida répond également à une nécessité : le changement climatique a déjà un impact sur la vie sur l’île.

Des siècles d’exploitation coloniale puis un modèle agro-exportateur généralisé ont entraîné une déforestation chronique et ont conduit à l’érosion des sols. L’expansion de l’industrie sucrière a réduit la couverture forestière de l’île qui est passée de 95 % avant la colonisation à 14 % au moment de la révolution de 1959, transformant Cuba « de forêt tropicale en champ de canne à sucre », selon l’historien cubain Reinaldo Funes. Remédier à cet héritage historique s’est inscrit dans le projet de transformation révolutionnaire de l’après-1959, qui visait à briser les chaînes du sous-développement. Pourtant Cuba a continué à être dominée par l’industrie sucrière via ses échanges commerciaux avec le bloc soviétique. Les activités productives contribuant à la pollution et à l’érosion se sont poursuivies pour accroître la production agricole. Heureusement, effet imprévu de la rupture avec l’URSS, les effets délétères de l’agriculture mécanisée, et de l’introduction massive de produits phytosanitaires et d’engrais chimiques ont été progressivement reconnus et peu à peu corrigés. L’agenda environnemental a été soutenu par la capacité scientifique et institutionnelle de Cuba et facilité par son cadre politico-économique préoccupé par la protection des richesses naturelles de l’archipel cubain, sa biodiversité extraordinaire et ses ressources côtières d’importance mondiale.

Champ de manioc à Vinales (Province de Pinar del Río) Crédit photo DL

S’extraire des logiques de profit

Cuba a réussi à mettre en place un plan d’État ambitieux avec quatre atouts  :
1. L’économie cubaine est planifiée de manière centralisée, et le gouvernement peut mobiliser des ressources et orienter la stratégie nationale sans avoir à encourager le profit privé, contrairement à d’autres pays qui s’appuient sur des solutions de marché pour lutter contre le changement climatique.

2. Tarea Vida s’appuie sur le bilan de Cuba, leader mondial en matière d’anticipation et de réponse aux risques et aux catastrophes naturelles. Cela a déjà été fréquemment démontré dans le cadre de ses réactions aux ouragans et, depuis mars 2020, en relation avec la pandémie Covid-19.

3. Le système de défense civile de Cuba, a été imaginé après l’ouragan dévastateur Flora de 1963. Un Conseil national de défense coordonne ce système, répliqué au niveau des provinces, des municipalités et des quartiers dans tout le pays. Au niveau local, les centres d’étude des risques se concentrent sur le phénomène, et organise le quartier. Dans chaque quartier, les organismes sociaux prennent des mesures préventives. Les gouvernements locaux mettent en place des conseils de défense locaux, pour gérer le fonctionnement du système, distribuer les aliments de base et vérifier les installations électriques et le plan d’évacuation.

4. La capacité de Cuba à collecter et à analyser les données locales. Par exemple, si l’élévation moyenne du niveau de la mer sera d’environ 29 centimètres d’ici 2050, la même analyse montre des différences sur 66 points du territoire national. Cette analyse s’articule avec les données du GIEC sur l’élévation du niveau de la mer à l’échelle mondiale.

Tarea Vida : des résultats, malgré le blocus

Le COVID a affaibli l’économie à cause de la perte de revenus du tourisme, et ces difficultés ont été renforcées par Trump qui a durci les sanctions américaines contre Cuba, entravant davantage son accès aux ressources et aux finances. Pourtant des résultats s ont été obtenus : 11 % des habitants des foyers menacés ont été relogés, 380 km² de mangroves ont été récupérés pour servir de défense côtière naturelle, et l’équivalent près de 875 millions d’euros ont été investis dans le programme hydraulique du pays.
L’approche cubaine de l’adaptation au changement climatique offre une alternative aux choix majoritaires des nations du monde, qui reposent sur le secteur privé ou les partenariats public-privé. Elle s’appuie sur des solutions nationales peu coûteuses, et non sur des financements extérieurs. Le financement international est en effet totalement orienté en faveur de l’atténuation, qui est un business et il y a beaucoup moins d’argent pour l’adaptation.
Cuba se protège aussi des programmes en faveur du climat qui ne s’attaqueraient pas aux problèmes structurels tels que l’extrême pauvreté et les profondes inégalités sociales et économiques. Cuba considère qu’il est impossible de passer des combustibles fossiles aux énergies renouvelables sans réduire les niveaux de consommation, alors qu’il n’y a pas suffisamment de ressources pour produire les panneaux solaires et les éoliennes nécessaires ou parce qu’il n’y pas d’espace suffisant pour leur implantation.

Baie de Cienfuegos Crédit photo DL

De même, elle se protège d’une trop forte croissance électrique : selon Orlando Rey Santos, conseiller ministériel qui a dirigé la délégation cubaine à la COP26, « Si vous transformiez automatiquement tous les transports en véhicules électriques demain, vous auriez les mêmes problèmes de congestion, de stationnement, d’autoroutes et de forte consommation d’acier et de ciment. Un changement doit s’opérer dans le mode de vie, dans nos aspirations. Cela fait partie du débat sur le socialisme. Notre plan Tarea Vida doit être fondé sur l’équité sociale et le rejet des inégalités. Un plan de cette nature requiert un système social différent, et c’est le socialisme », conclut-il.

D’après un texte de 2022, sur le site Les crises