Cuba. Soixante ans du blocus le plus long et le plus injuste

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Un article de Maĩté Pinero paru dans le journal l’humanité du 04/02/2022

Maĩté Pinero, née à Ille-sur-Têt, pense en castillan, rêve en catalan et écrit en français. Journaliste et écrivaine. Correspondante de presse en Amérique Latine (1984-1989), basée à Cuba, a couvert les révolutions (révolution sandiniste au Nicaragua), les guérillas (Salvador, Guatemala, Colombie) ainsi que la chute des dictatures (Haïti, Chili). Pour sa connaissance "pointue" de la réalité cubaine elle nous a semblé digne de figurer dans cette rubrique des "Grands Témoins.Merci à elle.
RG

Nous permettons d’ajouter une vidéo qui traite également de ce sujet d’actualité :https://youtu.be/gczTdKiwyS8

AMERIQUE LATINE

Décrété le 7 février 1962 par les États-Unis contre Cuba, « l’embargo » économique, commercial et financier vise à faire renoncer le pays à son indépendance et à sa souveraineté.

Maité Pinero

1961-1962 : Les Cubains protestent contre l’impérialisme américain : « Avec eux ou sans eux, nous sommes libres », « Attention, l’alligator est sur votre route ».
© Keystone-France

Le 7 février 1962, à Cuba, entre en vigueur l’ordre exécutif 3 447 du président Kennedy. Débute alors le blocus le plus long, le plus injuste, le plus cruel de l’histoire, maintenu depuis par treize administrations états-uniennes. Un acte de guerre qui met l’île en état de siège, lui a coûté 145 milliards de dollars, et que l’ONU a condamné pour la trentième fois en 2021 (184 votes, contre ceux des États-Unis et d’Israël).

« Cette nuit-là, la première du blocus, écrivait Gabriel Garcia Marquez, il y avait à Cuba 482 560 voitures, 343 300 frigos, 549 700 radios, 303 500 téléviseurs, 352 900 fers à repasser, 286 400 ventilateurs, 41 800 machines à laver, 3 510 000 montres, 63 locomotives, 12 bateaux marchands. Excepté les montres suisses, tout venait des États-Unis. »

Cuba n’était pas un pays mais une succursale. Le sucre, le nickel, le tabac appartenaient à l’empire ; 65 % des exportations lui étaient destinées ; 74,5 % des importations en provenaient.

L’hostilité de Washington n’avait cessé de croître alors que la révolution engageait la réforme agraire, nationalisait, annonçait son « caractère socialiste ». Dès avril 1960, Lester D. Mallory, sous-secrétaire d’État aux Affaires interaméricaines, écrivait : « La majorité des Cubains soutient Castro. Il n’y a pas d’opposition politique efficace… Le seul moyen d’annihiler le soutien interne est de provoquer déception et découragement par la pénurie… Tous les moyens doivent être entrepris pour affaiblir l’économie cubaine. »

Un seul but, obliger le pays à renoncer à l’indépendance et à la souveraineté.

Une persécution tatillonne qui ronge la vie quotidienne

Dissimulé sous le terme d’« embargo », le blocus s’est renforcé pour constituer un entrelacs de lois qui traquent le commerce, les finances de l’île, entravent son développement. Aucun secteur économique n’échappe à cette persécution tatillonne, obsessionnelle, qui ronge la vie quotidienne. S’y ajoute le financement d’une incessante campagne de désinformation et de calomnies contre « la dictature ».

Les premières mesures supprimèrent tout import-export et tout échange entre les deux pays. La Havane ne peut utiliser le dollar dans ses transactions. Les fonds états-uniens versés aux organisations internationales pour le développement (Banque mondiale, banque interaméricaine) ne peuvent financer Cuba. Importer aux États-Unis une marchandise comportant 10 % de sucre ou de nickel cubain, ou à Cuba une marchandise fabriquée avec 10 % d’un composant états-unien, est puni d’amende.

À chaque moment de fragilité, l’étau s’est durci. Après la disparition du camp socialiste, la loi Torricelli (1992) puis la loi Helms Burton (1996) internationalisent le blocus, le rendent extraterritorial et rétroactif, au mépris du droit international : interdiction aux filiales états-uniennes à l’étranger de commercer avec l’île. Les bateaux qui y accostent sont refoulés des États-Unis pendant 180 jours. Une entreprise ou une personne en relation avec une entreprise nationalisée ne peut entrer aux États-Unis.

Le président Obama rétablit les relations diplomatiques et allège le blocus. Il autorise le tourisme, l’envoi de technologies de télécommunications, mais maintient l’interdit du dollar et intensifie la traque financière (8,9 milliards de dollars d’amende pour la BNP).

Donald Trump resserre le carcan. Il est le premier à appliquer le titre III de la loi Helms Burton qui viole la souveraineté des États étrangers en autorisant le dépôt de plaintes contre toute entreprise ou toute personne qui « trafique » avec celles nationalisées par la révolution. En mai 2020, Cuba figure à nouveau sur la liste des États terroristes.

Trump édicte 243 mesures, toujours en vigueur : interdiction aux États-Uniens de visiter Cuba, suppression des ferries et des vols, gel des visas et des circuits qui permettaient aux ressortissants les envois d’argent (remesas) à leur famille. Acte de piraterie moderne, des amendes frappent les navires qui livrent du pétrole à Cuba. Alors que la pandémie du Covid débute, Washington ajoute 50 mesures supplémentaires.

En plein Covid, Cuba invente cinq vaccins et protège sa population

Privée des ressources du tourisme, La Havane réalise des prouesses pour acheter ventilateurs, réactifs pour l’industrie pharmaceutique, seringues. Les achats sur des marchés éloignés, « le risque pays » encouru avec la menace des sanctions grèvent les coûts.

En pleine pandémie, pourtant, Cuba invente cinq vaccins, protège sa population et soigne en Italie, en Andorre, en Martinique. Cependant, la population souffre : manque de combustible, d’électricité, de denrées, de produits de toute sorte.

En juillet 2021, des manifestations contre la pénurie secouent l’île. Washington déchaîne sa propagande : le 15 novembre, Cuba sera paralysée, le régime va tomber. C’est un flop au vu de la communauté internationale. La première amende de 2022 (91 000 dollars) frappe Airbnb, qui propose des chambres d’hôtes à Cuba. Et voici soixante ans que David résiste à Goliath. « Jusqu’à quand allez-vous tenir ? » demande-t-on aux Cubains. Réponse : « Jusqu’au prochain millénaire, s’il le faut. Ensuite, on verra. »