Cuba et la question des droits de l’homme (2)

De la représentation médiatique à la réalité factuelle

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Un article complet de Salim Lamrani paru le 10 aout 2021 sur le site INVESTIG’ATION que nous publions en 3 parties.
Source originale : article a été publié par la revue "Etudes caribéennes"
Basé sur un rapport d’Amnesty International
Cette deuxième partie du travail décrit "La situation des droits de l’homme aux États-Unis"

Depuis 1959 et l’avènement de la Révolution cubaine, et tout particulièrement depuis 1991 et la chute de l’Union soviétique, Cuba est invariablement mise en accusation sur la question des droits de l’homme. Il existe un consensus largement répandu au sein de l’opinion publique, notamment en Occident, pour associer l’île à des violations des droits de l’homme.
Sans chercher à nier les éventuelles atteintes aux droits fondamentaux qui peuvent survenir au sein de la société cubaine, il convient de se demander s’il y a une corrélation entre l’importance des violations des droits de l’homme recensés par les institutions internationales dans tel pays et l’exposition médiatique qui lui est accordée. Pour répondre à cette interrogation, ce travail se propose de réaliser une étude comparative, basée sur le dernier rapport annuel d’Amnesty International, entre quatre pays : Cuba, les États-Unis, la France et l’Espagne.

La situation des droits de l’homme aux États-Unis

Amnesty International fait part de diverses violations des droits humains aux États-Unis dans son dernier rapport. Selon l’organisation, « le gouvernement des États-Unis s’est largement désengagé du système international de protection des droits humains » et n’a pas répondu « aux nombreuses communications d’experts de l’ONU ni accepté leurs demandes d’invitation en vue d’effectuer une visite officielle ». Dans un courrier adressé à AI, Washington a précisé qu’il « participait désormais aux procédures de l’ONU relatives aux droits humains uniquement lorsqu’elles servaient les objectifs de la politique étrangère des États-Unis, écartant ainsi toute coopération avec ces mécanismes lorsqu’ils veulent examiner la situation des droits humains dans le pays ». AI précise par ailleurs que la Maison-Blanche a mis en place une « Commission dans l’objectif déclaré de restreindre le soutien des États-Unis aux droits humains reconnus internationalement », à savoir « des garanties qui protègent les femmes, les personnes LGBTI et d’autres personnes contre la discrimination [1] ».

L’organisation note que Washington a annulé le visa de la procureure de la Cour pénale internationale, « qui enquêtait sur de possibles crimes de guerre commis par les forces américaines et leurs alliés en Afghanistan ». AI souligne que le secrétaire d’État et le conseiller à la sécurité nationale ont « brandi des menaces d’annulation de visas, de saisie des avoirs ou de poursuites pénales contre des responsables de la CPI en cas d’enquête sur les crimes de guerre qu’auraient pu commettre les États-Unis [2] ».

AI signale que les États-Unis ont adopté des « politiques hostiles aux personnes originaires de pays à population majoritairement musulmane et de pays de l’Amérique centrale », en allusion au « décret anti-immigration » de l’administration Trump. Les autorités ont renvoyé « de force de façon illégale des dizaines de milliers de personnes en quête d’asile », leur causant ainsi « un tort irréparable ». L’organisation note également que les États-Unis « ont séparé de force des milliers de familles en quête d’asile, leur infligeant délibérément des souffrances extrêmes ». Pour AI, dans certains cas, les traitements subis étaient « constitutifs d’actes de torture [3] ».

Ainsi, les autorités ont placé arbitrairement des demandeurs et des demandeuses d’asile en détention pour une durée indéterminée, afin de les dissuader de déposer une demande de protection ou de les contraindre à renoncer à leur demande, ce qui constituait une peine ou un traitement cruel, inhumain ou dégradant. Les enfants, les femmes, les personnes âgées, les personnes LGBTI et les personnes porteuses de handicaps ou ayant un problème de santé grave étaient particulièrement susceptibles de pâtir du calvaire que représentaient la détention arbitraire et l’enfermement dans des locaux inadaptés. Les demandeurs et demandeuses d’asile étaient maintenus en détention parfois pendant plusieurs années sans aucune chance de libération conditionnelle – les services américains chargés de l’immigration opposant un refus systématique à toutes les demandes en ce sens [4].

L’organisation signale que ces traitements ont également concerné les enfants, lesquels « ont été maintenus en détention pendant une durée prolongée et indéterminée » bien au-delà des 10 jours autorisés par la législation des États-Unis [5].

Selon AI, aux États-Unis, le gouvernement fédéral et les gouvernements de certains États « ont multiplié les initiatives visant à restreindre les droits sexuels et reproductifs » en cherchant « à réprimer pénalement l’avortement et à contrôler par la loi le comportement des femmes pendant la grossesse, et en limitant l’accès aux services de santé reproductive ». L’organisation en souligne les conséquences : un accroissement du taux de mortalité maternelle « déjà élevé dans le pays [6] ».

Les violences faites aux femmes et aux filles sont également pointées du doigt. AI souligne que « les femmes autochtones continuaient d’être victimes de manière disproportionnée de viols et de violences sexuelles ». L’organisation recense plus de 500 cas de femmes et de filles autochtones « tuées ou ayant disparu » dans 71 villes des États-Unis. Elle note que « ce chiffre est bien inférieur à la réalité, car les données des forces de l’ordre et des médias sur cette question sont loin d’être complètes [7] ».

AI souligne par ailleurs que les droits des personnes issues de la diversité sexuelle sont bafoués de manière récurrente. « Selon les chiffres officiels, le nombre de crimes de haine fondés sur l’orientation sexuelle ou l’identité de genre a légèrement augmenté pour la quatrième année consécutive ». L’organisation précise que les femmes transgenres de couleur sont les principales cibles des crimes violents motivés par la haine. Dans de nombreux États, les dispositions législatives prévoyant des sanctions plus lourdes pour les crimes de haine ne prennent pas en compte l’orientation sexuelle et l’identité de genre parmi les motifs. En outre, alors que l’arsenal législatif reste faible pour protéger contre la discrimination à l’embauche liée à l’orientation sexuelle ou à l’identité de genre, « le gouvernement fédéral a cherché, au moyen de diverses mesures et d’actions judicaires, à supprimer les protections contre la discrimination fondée sur l’orientation sexuelle dans l’éducation, l’armée, l’emploi et les autres domaines relevant de son autorité [8] ».

AI dénonce également la répression menée contre des personnes en raison de leurs idées politiques :

À coup de menaces, d’actes de harcèlement et d’enquêtes pénales, le gouvernement des États-Unis a mené, pour des raisons politiques, une campagne illégale d’intimidation contre des dizaines de personnes qui défendaient les droits des personnes migrantes, réfugiées ou demandeuses d’asile à la frontière américano-mexicaine, bafouant leur droit de ne pas subir de discrimination en raison de leurs opinions, politiques ou autres. Le Département de la sécurité intérieure et le ministère de la Justice ont recouru de façon abusive au système judiciaire pour sanctionner les hommes et les femmes qui rassemblaient des informations sur les violations systématiques des droits humains des personnes demandeuses d’asile ou réfugiées ou protestaient contre ces actes, ou pour les dissuader d’agir [9].

AI signale des atteintes à la liberté d’expression aux États-Unis en provenance du plus haut sommet de l’État, notamment contre les lanceurs d’alerte. L’organisation évoque le cas de Julian Assange, incarcéré en Angleterre, et dont Washington exige l’extradition. Elle souligne que « les accusations pesant sur Julian Assange sont liées à des activités tout à fait classiques pour les journalistes d’investigation et risquent d’avoir un effet paralysant sur le droit à la liberté d’expression [10] ».

AI dénonce en outre les emprisonnements arbitraires « et pour une durée indéterminée » de 40 personnes sur le centre de détention de la base navale de Guantanamo, « en violation du droit international ». Elle précise qu’« aucun des 40 hommes encore détenus n’avait accès aux soins médicaux nécessaires ; ceux qui avaient été torturés par des agents américains ne bénéficiaient pas de services de réadaptation appropriés ». Par ailleurs, plusieurs détenus ont été jugés devant une commission militaire. « Or, il est contraire aux normes internationales et au droit international de faire juger des civils par des tribunaux militaires », rappelle AI [11].

L’organisation internationale signale également les crimes commis par les États-Unis à travers le monde « au nom de leur doctrine infondée de “guerre mondiale” ». Washington a eu « recours à plusieurs reprises à la force meurtrière dans divers pays du monde […], en violation de [ses] obligations au regard du droit international relatif aux droits humains ». AI évoque « des actes constitutifs pour certains de crimes de guerre » et mentionne la commission d’« homicides illégaux » – expression inattendue – contre la population civile, soulignant avoir exposé dans un rapport « des preuves irréfutables de ces homicides [12] ».

AI évoque « des disparitions forcées et des actes de torture » commis « dans le cadre d’un programme de détention secrète géré par l’Agence centrale du renseignement (CIA), qui a donné lieu à des violations systématiques des droits humains ». L’organisation regrette qu’aucun des responsables présumés n’ait été traduit en justice « pour répondre de ces crimes [13] ».

Par ailleurs, AI pointe du doigt la violence par armes à feu et souligne que « le gouvernement ne protégeait toujours pas les personnes […], les privant de ce fait de leurs droits humains, et notamment des droits à la vie et à la sécurité ». Les États-Unis présentent les chiffres de détention d’armes à feu les plus élevés au monde, tant en données absolues qu’en proportion par rapport au nombre d’habitants. Ainsi, en un an, près de 40 000 personnes ont été tuées par arme à feu et 134 000 autres ont survécu à leurs blessures. L’organisation souligne par ailleurs que « les homicides par arme à feu continuaient de toucher de manière disproportionnée les populations de couleur, en particulier les jeunes Noirs de sexe masculin ». Ainsi, les Afro-Américains constituent 13 % de la population totale, mais représentent 58,5 % de l’ensemble des victimes d’homicides par arme à feu. AI précise qu’il s’agit là de « la première cause de mortalité chez les hommes noirs âgés de 15 à 34 ans [14] ».

Les violences policières sont responsables de la mort de près d’un millier de personnes par an, souligne AI, qui ajoute que les Afro-Américains sont touchés « de manière disproportionnée par le recours à la force meurtrière par les policiers ». Ils représentent 23 % des personnes tuées, alors qu’ils ne constituent que 13 % de la population du pays [15].

Par ailleurs, la peine de mort est toujours appliquée aux États-Unis. AI précise que « des études démontrent que la couleur de la peau, en particulier de la victime d’un meurtre, joue un rôle dans les condamnations à la peine capitale ». En outre, dans de nombreux cas, des détenus ont été exécutés alors qu’il existait des doutes sérieux sur la procédure ayant mené à leur condamnation. L’organisation ajoute que la peine de mort continue « d’être infligée à des personnes porteuses de handicaps mental ou intellectuel, en violation du droit international [16] ».

Le prochain article détaillera quel regard porte Amnesty International sur la situation des droits de l’homme en France et en Espagne.

Source : https://journals.openedition.org/etudescaribeennes/21453

[1Amnesty International, « Etats-Unis », rapport annuel 2019. https://www.amnesty.org/fr/countries/americas/united-states-of-america/report-united-states-of-america/ (site consulté le 13 février 2021).

[2Ibid..

[3Ibid..

[4Ibid..

[5Ibid..

[6Ibid..

[7Ibid..

[8Ibid..

[9Ibid..

[10Ibid..

[11Ibid..

[12Ibid..

[13Ibid..

[14Ibid..

[15Ibid..

[16Ibid..