Devexport et la Union Electrica (UNE) de Cuba

L‘importance de l’industrie française pour la pérennité du Commerce Extérieur Français et son enracinement grâce aux Sociétés de Commerce

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CCF a choisi de donner la parole, sous forme de tribune libre, à celles et ceux qui peuvent témoigner, par un récit, une analyse, une opinion, un temps fort qu’ils ont vécu dans leur relation d’amitié et de coopération avec Cuba et son peuple.
La règle est simple : l’auteur, sélectionné et qui a donné son accord, choisit son thème et son traitement, que ce soit à travers l’histoire ou l’actualité la plus récente.
Personnalités ou simples citoyens nous leur souhaitons la bienvenue.

" ... Un grand nombre de grands groupes français, et aussi de PME tournées vers l’export, ont fait le choix de s’appuyer sur notre société de commerce international qui leur donne ainsi accès à un marché de taille modeste, au cycle lent et de plus en plus complexe depuis une dizaine d’années...".

Fabien Buhler, président de DEVEXPORT
Diplômé d’Etudes Supérieures de Doctorat en Sciences Économiques de Panthéon Sorbonne – en « Économie du Développement » analysant « le problème de la monoproduction dans la stratégie du développement à travers l’exemple du sucre à Cuba » – il intègre une Société de Commerce International – Ensemblier Industriel comme assistant du DG négociateur de grands contrats à l’international, participe puis dirige les négociations de projets industriels dans 25 pays d’Europe de l’Est, d’Afrique et du Moyen-Orient, devient Directeur Commercial de la société puis DG d’une filiale dédiée au négoce industriel.
En 1985, avec son épouse Sylvie, expérimentée en trading de commodities, il fonde Devexport qui rachète une part de son activité antérieure, et oriente prioritairement ses initiatives sur la zone Caraïbes-Amérique Centrale, notamment à partir d’une demande de Cuba en 1988 de créer un lien opérationnel avec la France dans une période où ils avaient disparu. Leur fille Perrine, Ingénieur des Mines, a intégré la société en 2001 et en est maintenant la Directrice Générale.

L‘importance de l’industrie française pour la pérennité du Commerce Extérieur Français et son enracinement grâce aux Sociétés de Commerce

DEVEXPORT et la UNION ELECTRICA (UNE) de CUBA

La société Alstom Power (à l’époque Alsthom Atlantique) a vendu à Cuba dans les années 85-88 une centrale électrique au fuel construite à Matanzas, à proximité de La Havane.

Dénommée Antonio Guiteras, il s’agissait d’une Unité de 330 MW, la plus grosse de Cuba, qui permettait non seulement de garantir l’approvisionnement de la région capitale, mais également de synchroniser le réseau électrique national.

La fourniture des consommables et petites pièces de rechange était assurée dans les premières années par une entreprise cubaine en France, qui gérait par ailleurs la distribution de cigares.
A la fin des années 90, l’Union Eléctrica cubaine a programmé des travaux de maintenance capitale, et demandé à Alstom Power une offre de fournitures et assistance technique pour cette maintenance.

Une délégation Alstom en route pour le Brésil a fait un détour par Cuba pour examiner cette demande. Sachant que toutes les lignes de crédit de Cuba étaient bloquées en raison du non-paiement depuis la fin des années 80, où le Club de Paris avait pris en main le recouvrement de la dette (dont notamment celle liée à la vente par Alstom de cette centrale électrique), Alstom demande à la UNE « Avez-vous de l’argent pour payer, à défaut de crédit ? ». Réponse d’Energoimport « nous n’avons pas de crédit, pas d’argent non plus, mais nous avons Devexport ! ». A la demande d’expliquer cette réponse, il a été répondu « allez voir Devexport à Paris, ils vous expliqueront mieux que nous ».

C’est ainsi que Devexport, petite société de commerce international, implantée à Paris et ayant développé depuis la fin des années 80 une activité à Cuba, puis ouvert une succursale à La Havane en 1995, a été saisie de ce projet par Alstom Power, grand ensemblier et fournisseur de technologie, fleuron de l’industrie française, aussi bien en France qu’à l’export.

Devexport avait déjà livré à Cuba, sur des « crédits de compensation » garantis par la Coface (alors gestionnaire des garanties publiques françaises),

  • - Au début des années 90, des équipements hydrauliques – notamment les premières lignes de production de tubes d’adduction d’eau en polyéthylène à Ciego de Avila, payables à terme par des contrats d’exportation de sucre que Devexport revendait à Sucden puis à Louis-Dreyfus,
  • - En 1995-98, les fournitures et travaux de réhabilitation de 6 unités soviétiques de production d’électricité à Santiago de Cuba, Mariel et Santa Cruz del Norte, réalisées par un consortium industriel français, Fives-Cail-Babcock/Spie-Enertrans et Gemco, et payables par compensation, en livraisons, différées jusqu’à 24 mois, de nickel cubain.

L’accès à la compensation de nickel cubain permettait de financer des projets de plus grande importance industrielle. Cependant, l’exportateur unique désigné par l’état cubain, la société Cubaniquel, refusait de vendre le nickel à un non professionnel de ce produit, et les Autorités françaises ne voyaient pas d’un bon œil que du nickel cubain vienne concurrencer sur le marché français celui de Nouvelle Calédonie.

Nous avons alors inventé la « compensation virtuelle » : le Club de Paris n’autorisait pas que la Coface garantisse des prêts à Cuba, mais celle-ci pouvait garantir des « compensations », c’est-à-dire des contrats d’exportation de produits. Nous avons donc proposé de signer avec Cubaniquel des contrats d’exportation de nickel, couverts par cette garantie, que nous revendions à la société hollandaise distributrice du nickel cubain, avec une clause de cession à cette dernière des livraisons de nickel à venir aussitôt que nous encaisserions par transfert bancaire la créance d’Energoimport couverte par ces livraisons. Nous cochions ainsi toutes les cases : disposer des garanties financières, et virtualiser la compensation pour que le nickel soit vendu à ses clients européens habituels dès lors que nous étions payés du service industriel.

Il fallut à Devexport 6 mois pour convaincre les commerciaux, puis les financiers, puis les juristes d’Alstom Power de la fiabilité de ce montage financier, qui avait performé pour les contrats de réhabilitation des centrales soviétiques. Mais finalement, nous avons ainsi pu non seulement réhabiliter pour 18 Millions d’Euros la Centrale de Matanzas, et aussi réaliser le projet de 25 Millions d’Euros de sa transformation pour qu’elle fonctionne au pétrole brut cubain ; ceci réduisait considérablement le prix du kwh, alors que ce brut ne pouvait être raffiné à Cuba et se vendait difficilement ailleurs, en raison de ses caractéristiques.

Tous ces contrats se sont réalisés dans une excellente atmosphère d’amitié, avec le DG de la UNE Juan PRUNA, le Directeur Lazaro HERNANDEZ, leurs successeurs et tant d’autres excellents cadres dirigeants, nombre d’entre eux couramment appelés par un surnom : Andy, Chucho, Lule, etc…
Dans les années 2005 à 2013, au travers de vicissitudes créées par certains aléas diplomatiques – les sanctions contre Cuba votées en 2003 par le parlement européen avaient fortement perturbé la relation officielle entre les Autorités des 2 pays - nous avons pu poursuivre avec Alstom Power de nombreux travaux de maintenance et d’amélioration, sur la turbine vapeur, les pompes, le traitement d’eau, etc… Ce sont finalement les affaires, aussi bien celles concernant l’industrie que celles de fourniture de céréales et autres aliments, qui ont permis de conserver un lien de qualité entre nos 2 pays.

Alstom Power se sentait rassurée de la présence permanente de Devexport à Cuba, qui arrivait à régulariser les contrats et surtout assurer le financement de ces contrats et donc le suivi des paiements, permettant ainsi aux équipes techniques de travailler sereinement et de se concentrer sur leur savoir-faire technique.

Une autre branche d’Alstom, Alstom T&D (cédée plus tard à Areva) avait même ouvert un bureau permanent dans la succursale de Devexport lorsqu’elle a réalisé la modernisation des sous-stations de distribution électrique de La Havane. De très importants retards de paiement se sont produits sur la ligne sous garantie publique traduisant le mécontentement des Autorités cubaines suite à l’application par la France des sanctions décidées par le Parlement Européen, alors même que les ressources provenant du tourisme étaient alors en hausse rapide. Nous sommes arrivés à surmonter ces retards, notamment avec l’aide de BNP-Paribas ainsi que de la Coface, en travaillant avec les autres opérateurs de la ligne de compensation (dont Devexport pour la partie industrielle) sur la restructuration des arriérés de paiement, Devexport étant nommée « communication agent » avec la partie cubaine par BNP Paribas.

Puis en 2013 et 2014 survinrent 2 catastrophes :

  1. la première fut l’annonce en octobre 2013 d’une sanction exorbitante infligée à BNP Paribas – 9 Milliards de US$ – pour violation des sanctions US par l’OFAC et d’autres services de l’Administration américaine (Devexport a eu l’information en octobre 2013, même si l’annonce dans la presse a été faite en mai 2014). Nous n’étions mis en cause dans aucune des « violations extraterritoriales » de la loi US pointées par les services de l’OFAC, comme BNP Paribas nous l’a confirmé alors, mais le résultat a été de nous retirer du jour au lendemain tout soutien bancaire, puis de répandre une pratique bancaire de « sur-conformité » poussant à l’absurde la peur des sanctions, en bref les garanties d’Etat délivrées par la France sont devenues très difficilement bancables, ce qui constitue une atteinte grave à notre commerce extérieur.
  2. La seconde fut l’annonce en avril 2014 de la signature du rachat d’Alstom Power par General Electric (G.E.), dans le contexte délétère de l’arrestation à New York de Frédéric PIERUCCI, dans l’objectif de sanctionner Alstom pour la rendre vulnérable.

En étroite relation avec des dirigeants de la UNE, et plus généralement le Gouvernement cubain qui a rappelé à la France la garantie trentenaire de service de maintenance délivrée lors de la signature du contrat d’origine par Alsthom Atlantique, Devexport, encouragée en cela par la Secrétaire d’Etat au Commerce Extérieur Fleur PELLERIN, a entamé des négociations :

  1. D’une part avec le Groupe Alstom, afin de disposer pour le compte de la UNE des autorisations de fabrication de pièces spécifiques, ainsi que des logiciels liés à la gestion et au contrôle de l’installation, accord qui fut in fine signé fin septembre 2015, à la veille du passage d’Alstom Power dans le giron de G.E.,
  2. Et d’autre part, avec la dizaine d’industriels spécialisés, qui avaient l’expérience d’intervention de maintenance sur d’autres installations Alstom en France ou ailleurs, ainsi que l’appui de plusieurs retraités d’Alstom connaissant bien la Centrale Antonio Guiteras de Matanzas.
  3. Jusqu’à ce jour Devexport, en étroite relation avec les équipes d’Energoimport et de la centrale thermoélectrique Guiteras, a réussi à fournir la majorité des équipements, pièces de rechanges et prestations techniques permettant la poursuite de l’exploitation de cette centrale essentielle à la production d’électricité à Cuba. Ce, malgré la poursuite de la dégradation de l’environnement bancaire, étouffé par l’application extraterritoriale de lois américaines et malgré le retour, tel un ouragan, de General Electric, pour vendre un nouveau rotor à la UNE lors de la fenêtre d’ouverture de licences données par les autorités américaines sous l’ère Obama.

Cet exemple dans le secteur de l’énergie est valable pour d’autres secteurs industriels à Cuba. Un grand nombre de grands groupes français, et aussi de PME tournées vers l’export, ont fait le choix de s’appuyer sur notre société de commerce international qui leur donne ainsi accès à un marché de taille modeste, au cycle lent et de plus en plus complexe depuis une dizaine d’années.

La complémentarité entre grands industriels français, entreprises de taille plus modeste attirées par l’export et sociétés françaises de commerce international a ainsi permis à notre industrie nationale , partiellement grâce au soutien de l’Etat dont l’impulsion est clé, et grâce au soutien des banques, plus ou moins facile à obtenir selon la période considérée, de pérenniser un investissement fait par l’Etat cubain et soutenir le commerce extérieur de la France, et ce, malgré tous les vents contraires (notamment le renforcement des sanctions depuis Trump, mais aussi la guerre commerciale souterraine des entreprises américaines pour s’implanter progressivement à Cuba).

Comme l’a dit Raul il y a quelques années, « sin prisa pero sin pausa », et comme le montre l’expérience de Devexport, il faut être patient, tenace et réaliste pour travailler sur ce marché complexe et surprenant mais néanmoins attachant.