Être médecin nous grandit tous les jours

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SANTE

Article de Nazín Salomón Ismael, publié dans Sierra Maestra le13 septembre 2021.

Tout le monde se souvient de ce contingent de médecins cubains prêts à partir secourir les victimes de l’ouragan Katrina mais repoussés par les Etats-Unis, de leur courageuse implication dans la lutte contre le virus Ebola en Afrique et plus récemment de leur aide à l’Italie du Nord, submergée par le COVID mais aussi dans plusieurs dizaines de pays depuis de longues années. On se souvient qu’ils furent les premiers à apporter leur aide à Haïti lors du terrible séisme qui ravagea l’île. On parle d’eux, trop souvent en relayant complaisamment des calomnies ignominieuses, mais on leur donne rarement la parole et leur modestie leur interdit de se mettre en avant. C’est pourquoi le témoignage « arraché » au docteur Irany Brugal Gala, de retour de mission, est si précieux dans sa grande sincérité.

Les bonnes dispositions se manifestent par le biais des actions humanitaires, et bien souvent désintéressées. Depuis l’an dernier, au milieu des zones d’ombre et des erreurs, ils furent nombreux ceux qui ont fait preuve de solidarité en se basant sur leur travail et leur conscience, ces vertus inestimables de l’être humain. Et ce sont eux, précisément, qui forment une part importante de la vie qui aujourd’hui se réajuste à de nouveaux scénarios qui exigent de parler davantage de santé, de médecins, de métier et de force de caractère. Le Docteur Irany Brugal Gala, spécialiste de Médecine Générale Intégrale de la Polyclinique Docteur Mario Muñoz Monroy, dans le village de El Caney, dans la province de Santiago de Cuba et membre de la Brigade Médicale Henry Reeve qui vient juste de rentrer d’une mission au Mexique, a son propre récit « de pandémie » et son témoignage, " arraché " sans prévenir, mérite d’être connu.

Sur vos débuts dans la médecine professionnelle.

" Depuis que j’ai eu mon diplôme, je suis liée au travail dans le Secteur des Urgences Médicales (Service d’Urgences Hospitalières), c’est pourquoi le travail m’a toujours accompagnée. Je suis l’une des fondatrices de la Brigade Henry Reeve, qui s’est préparée pour amener les services de Santé jusqu’aux Etats-Unis après le passage de l’Ouragan Katrina, à ses débuts. Un an après, en 2005, j’ai fait partie de la Mission Médicale au Pakistan après le tremblement de terre qui a touché ce pays, tandis qu’une autre partie de la délégation se rendait au Guatemala pour offrir toute l’aide possible, depuis notre profession, pour minimiser les pertes humaines causées par les catastrophes naturelles. Dans ces deux nations, nous avons apporté toute l’assistance possible, et même des tâches plus complexes, aux populations, dans le but d’améliorer leurs conditions de santé ".

Comment décririez-vous ces premières expériences internationalistes ?

" Notre première mission a été de courte durée mais ce fut une expérience nécessaire. Nous vivions dans des hôpitaux de campagne, dans des conditions qui n’étaient pas les meilleures ni celles que nous préférons, mais la réalité c’est que nous sommes un contingent qui a été créé pour ces situations d’urgence et de catastrophe. Nous nous sommes habitués à vivre dans cet ensemble de tentes de campagne, en nous soutenant les uns les autres et en travaillant avec les meilleures dispositions du monde ".

Qu’est-ce qui est le plus dur à supporter loin de son pays ?

" Le plus dur ça a été la distance. On laisse toujours derrière soi des choses importantes comme la famille, et d’autres choses en suspens qui doivent être différées. Nous devons planifier à l’avance tout ce qui peut l’être, bien que depuis que nous commençons nos études de médecine nous savons qu’il faut nous conformer aux principes de l’internationalisme et de la solidarité avec les peuples qui auront besoin de nous. Et c’est sur ces bases que nous nous formons. Alors, cela ne nous paraît pas si gênant en fin de compte parce que nous sommes déjà préparés à prendre ces décisions. Nous devons également être pénétrés du respect envers les autres cultures et envers les professionnels qui accompagnent notre travail. Nous fonctionnions suivant les protocoles établis dans ces pays-là même si nous avions la liberté de faire des suggestions pour améliorer la qualité des soins. C’est un travail en commun, en association toujours au bénéfice des patients. J’ai participé à cinq missions et je sens que dans chacune d’entre elles, j’ai laissé une famille car nous créons des liens spéciaux avec ces personnes qui se tiennent à nos côtés pour travailler ou pour assurer notre santé et notre sécurité ".

Des expériences ?

" Avec les patients, nous avons eu des expériences inoubliables. Pour la plupart, ils ne sont pas habitués à recevoir cette assistance que nous leur offrons ni à ce médecin cubain qui vous examine, vous ausculte et vous palpe sans aucun préjugé et éloigné de votre réalité. Par conséquent, ils ont confiance bien que nous soyons des inconnus. Bien sûr, nous avons un outil fondamental acquis pendant nos études : l’examen physique, qui donne la priorité aux soins personnalisés et à une évaluation intégrale. Le bon accueil que nous avons eu a été remarquable car beaucoup des citoyens de ces pays-là n’avaient jamais fait l’objet d’une approche spécialisée significative ".

Quelle a été votre préparation pour faire face au Covid-19 en terre étrangère ?

" Dans la province de Santiago, je n’avais jamais été en Zone Rouge, mais au Mexique, si. Nous avons compris que nous protéger est primordial. L’avantage c’est qu’à notre arrivée nous avons eu l’aide d’autres médecins qui se trouvaient déjà en train de lutter contre la maladie, ainsi que d’infectiologues qui nous montraient les protocoles à établir et les moyens de protection requis. Heureusement, aucun des membres de cette mission n’a contracté le virus. Je peux dire que travailler en Zone Rouge, depuis que je suis arrivée au Mexique il y a six mois, m’a apporté une force psychologique et émotionnelle inimaginable. L’hôpital où je me trouvais était en permanence saturé par tous ces cas et j’ai eu sous ma responsabilité un nombre considérable de patients. Nos efforts envers eux ont été grands car même si beaucoup étaient dans des salles « ouvertes », la plupart ont dû être en Soins Intensifs. Par bonheur, leur évolution a en général été satisfaisante. Plus de 90% des patients étaient sous assistance avec des complications respiratoires et d’autres complications liées à la maladie elle-même puisque celle-ci devient multi-systémique et attaque n’importe quel organe. C’est réellement dur pour n’importe quel médecin ".

Qu’est-ce qui caractérise un médecin cubain qui se trouve hors de son pays ?

" Je crois que c’est notre manière d’être et d’exercer notre profession. Dans la plupart des endroits, les gens ont peur d’aller voir le médecin, cependant, j’ai remarqué que quand c’est un spécialiste cubain qui les reçoit, il y a plus de confiance, à cause de sa proximité avec le patient, ça les réconforte. Demander de loin « comment allez-vous ? » ce n’est pas suffisant pour assurer une prise en charge intégrale. Cela n’aide pas non plus de se donner des airs de grandeur ou de supériorité, même si oui, ils doivent percevoir qu’on est le médecin, mais dans le respect ; c’est mieux de toujours afficher un sourire et une disposition à vouloir aider, conseiller et soigner ".

Existe-t-il une différence quelconque entre les patients étrangers et les patients cubains au moment de la prise en charge ?

"Sur le plan personnel, je n’en fais aucune. Pour moi ce sont des patients, peu importe leur provenance ou leur statut social. La priorité ce n’est pas la personne mais prendre en compte ses problèmes de santé, les traiter en tant que tels et lui faire les recommandations pertinentes. Mon intérêt c’est qu’ils guérissent et qu’ils maintiennent un lien qui permette un suivi professionnel. Ce sont ces attitudes, qui nous sont propres, qui nous produisent de la fierté, de même qu’être reconnus par les patients, même après des années ".

Irany Brugal a un fils de 25 ans qui est toujours présent à son esprit parce que, d’après ce qu’elle m’a avoué, il l’aide à supporter le temps passé loin de chez elle, en lui donnant l’assurance dont elle a besoin pour exercer, spécialement pendant les moments les plus difficiles mais qui ne la feront jamais renoncer. Par conséquent, sa réponse n’a pas été surprenante lorsque je lui ai demandé « qu’est-ce qu’il vous reste à faire ? » et qu’elle m a répondu « il nous incombe seulement de maintenir le prestige de la médecine cubaine ».