Ferroviaire... France/Cuba

pour sceller une coopération exemplaire

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Un partenariat historique ! Une belle et singulière aventure qui nous est contée ci-après par un ancien cadre dirigeant de la SNCF, qui avec une équipe déterminée met en oeuvre à sa retraite un utile et magnifique projet, d’abord "abandonné" sous la menace... du blocus. Lisez ce passionnant message d’espoir !
RG

Vendredi 1er avril à Paris, célébration de l’aboutissement de ce projet de modernisation des ateliers de maintenance du matériel ferroviaire roulant de Cuba (initié en 2015). Réception en présence de SE l’ambassadeur de Cuba en France, de Rima Le Coguic Directrice générale adjointe d’Expertise France, de l’AFD, de Dominique Vastel président de la SERFER, de Cuba Coopération France.
Sur la photo : Rima Le Coguic, SE l’Ambassadeur de Cuba en France, sa collaboratrice et Dominique Vastels.
photo Alain Johan

Il est 12h30, ce 11 mai 2015 au dernier étage de l’hôtel Sevilla de La Havane.

La vue sur la ville et la mer est superbe. Le déjeuner offert par François Hollande aux responsables politiques cubains et aux entreprises françaises présentes dans l’Île se termine. C’est le moment de la signature de plusieurs contrats. Je représente la SNCF - comme directeur à la direction internationale - pour assister à la signature d’une lettre d’intention en vue d’une coopération ferroviaire entre la France et Cuba par Ségolène Royal, Ministre de l’Écologie en charge des transports.

Elle signe bien un document, mais pas celui relatif à la coopération ferroviaire. Stupeur dans les rangs français. Que s’est-il passé ? Simplement que les Cubains n’ont finalement pas voulu signer une lettre d’intention qu’ils jugeaient insuffisamment consistante.

Ce faux départ allait se transformer en opportunité. Assis à côté du Jeune Vice-Ministre des Transports en charge du ferroviaire, j’allais nouer avec lui une relation durable et de confiance. Avec Eduardo Rodriguez Davila, ministre sympathique et très professionnel, nous allions ébaucher ce que pourrait être une collaboration ferroviaire entre nos deux pays.

Dès l’après-midi, une première réunion de travail avec l’état-major de l’UFC était organisée. Elle a marqué le début du partenariat entre la SNCF et l’UFC. Rapidement, cinq chantiers possibles sont identifiés, étudiés par un groupe d’entreprises françaises dont la SNCF était le chef de file : CMA-CGM, Alstom, Colas Rail, Geismar, SNCF, SYSTRA et Devexport.

En octobre 2015, un atelier de travail est organisé à La Havane pour préciser la consistance de ces cinq chantiers. En novembre 2015, Alain Vidalies, Secrétaire d’État chargé des transports fait une visite de trois jours à Cuba. Il rencontre l’UFC et visite un des sites ferroviaires concernés par la coopération envisagée.

Le 1er février 2016, lors de la visite du Président Raul Castro à Paris, la feuille de route de la coopération franco-cubaine est signée au Palais de l’Elysée. Elle comporte un important volet ferroviaire, avec une déclaration d’intention signée par Rodrigo Malmierca, Ministre du Commerce Extérieur cubain, et Alain Vidalies.

Plusieurs missions sur place sont ensuite organisées pour travailler chacun de ces chantiers : la fourniture de 28 automoteurs thermiques, la rénovation de la ligne centrale, la modernisation de l’atelier de maintenance des voitures de Luyano (dans la banlieue de La Havane), la modernisation de la signalisation de la ligne centrale et la modernisation de l’atelier de maintenance des locomotives de Camagüey (au centre de l’Île).

Le matériel d’Alstom ne se révélant pas adapté au réseau cubain et les Russes proposant un important financement pour la rénovation de la ligne centrale, la coopération avec la France se concentra sur la maintenance du matériel roulant.

En décembre 2017, l’UFC et l’AFD (Agence Française de Développement) signent le premier aide-mémoire relatif à un financement de 30 M€ pour la modernisation des process et des ateliers de maintenance de Luyano et de Camagüey, avec l’Assistance à Maîtrise d’Ouvrage (AMO) de la SNCF.
Au financement de l’AFD, s’ajoute celui du Fonds de Contrevaleur (FCV), d’un montant de 9 M€ pour les achats réalisés à Cuba. Le FCV est un mécanisme d’effacement de la dette cubaine, à la condition que l’Etat cubain consacre un montant équivalent en monnaie locale pour acheter des prestations ou des fournitures locales. Plusieurs missions sont ensuite consacrées à l’instruction de ce projet et à la définition de la mission d’AMO de la SNCF.

En avril 2019, Guillaume Pepy, encore président de la SNCF, se rend à Cuba pour la fin des discussions sur le projet et la matérialisation de l’engagement de la SNCF dans le partenariat avec l’UFC. Il rencontre Rodrigo Malmierca, Ministre du Commerce Extérieur, et Eduardo Rodriguez Davila, devenu Ministre des Transports. Le projet de contrat avec la SNCF est alors quasiment finalisé.

C’est alors que Donald Trump renforce les mesures d’embargo et d’isolement de Cuba. En mai 2019, il réactive la loi Helms-Burton, qui permet à tout citoyen américain d’origine cubaine, d’agir en justice contre toute entreprise ayant des activités, directes ou indirectes, en relation avec des biens confisqués lors de la Révolution Cubaine. Cette loi avait été votée à l’époque de Bill Clinton, mais elle n’avait jamais été mise en œuvre, son application ayant été suspendue par tous les présidents depuis.

L’atelier de Camagüey était la propriété des Chemins de Fer Consolidés de Cuba, lors de sa nationalisation après la Révolution. 263 plaintes ont été déposées par des citoyens américains au titre de la loi Helms-Burton. Même si le risque pour elle n’était pas avéré, la SNCF m’a alors demandé de « décontaminer » notre projet.

Une nouvelle mission est organisée en octobre 2019 pour identifier un atelier pouvant se substituer à celui de Camagüey et n’étant pas exposé à la loi Helms-Burton. En accord avec l’UFC, l’atelier de San Luis, situé à proximité de Santiago de Cuba est retenu. Construit dans les années 70 sur des terres agricoles, il n’est porteur d’aucun risque lié à la loi Helms-Burton.
Le contrat peut donc être conclu après les ajustements rendus nécessaires par le choix de l’atelier de San Luis.

Mais le 1er novembre 2019, le mandat de Guillaume Pepy à la présidence de la SNCF arrive à son terme. Il est remplacé par Jean-Pierre Farandou. Dix jours après son arrivée, il me demande d’informer les Cubains du retrait de la SNCF du projet. Il souhaitait en effet recentrer les orientations stratégiques de l’entreprise sur les priorités fixées par le Gouvernement. Ce qui le conduit à concentrer les interventions de la SNCF à l’international sur l’Europe et à les focaliser sur l’exploitation, comme par exemple en Espagne, avec la liaison à grande vitesse entre Barcelone et Madrid. Outre ces nouvelles orientations stratégiques, il souhaitait également satisfaire aux exigences de la BNP, banque principale de la SNCF, très attentive aux sanctions US.

J’informe donc les Cubains et le Quai d’Orsay du retrait de la SNCF du projet. Ce revirement de la SNCF prend la diplomatie française à contrepied. Le projet est financé par la France et procède d’une volonté gouvernementale. Le 20 février 2020, Jean-Yves Le Drian demande à Jean-Pierre Farandou de trouver une solution pour préserver la coopération ferroviaire franco-cubaine.
Mais début mars, la pandémie de la COVID se répand sur tous les continents et le 19 mars, la France se confine. Partout dans le monde, les déplacements sont suspendus, les projets gelés.

Le retrait de la SNCF n’a donc pas de conséquences immédiates. De toutes façons, le projet aurait été suspendu. Les Pouvoirs Publics français et l’AFD mettent à profit cette longue suspension de l’activité économique et industrielle pour rechercher la solution demandée par Jean-Yves Le Drian.
L’équipe en charge du projet que j’anime depuis 5 ans est composée d’experts de la maintenance du matériel roulant de la SNCF. Mais au fil du temps, certains de ces cheminots expérimentés ont pris leur retraite, en continuant à travailler pour le projet. C’est ainsi qu’en novembre 2019, plusieurs des intervenants sur le projet sont des agents SNCF en retraite. Mon propre départ à la retraite est prévu pour février 2021. Au cours de mes échanges réguliers avec l’AFD, l’UFC et l’ambassade de Cuba à Paris est née l’idée de transformer ces départs en retraite en opportunité. Pourquoi, en effet, ne pas continuer le projet avec les mêmes experts aujourd’hui à la retraite, mais au sein d’une nouvelle entreprise qui se substituerait à la SNCF ?

C’est ainsi que l’année 2021 est consacrée à l’étude puis à la mise en œuvre de cette solution alternative. Un dispositif à deux étages est trouvé, pour respecter les contraintes des marchés publics et sécuriser le projet. Premier niveau, l’UFC contractualise avec Expertise France pour une mission d’Assistance à Maîtrise d’Ouvrage en vue de la modernisation de ses process de maintenance et de ses ateliers de Luyano et de San Luis. Deuxième niveau, Expertise France sous-traite la réalisation de l’AMO à la Société d’Etudes et de Réalisations Ferroviaires (SERFER), créée pour l’occasion. La SERFER mobilisera trois types d’experts :

- Des salariés, dont certains sont des agents SNCF en congé de disponibilité. N’ayant plus de lien contractuel avec la SNCF, ceux-ci ne l’exposeront pas aux risques éventuels des lois américaines sur l’embargo vis-à-vis de Cuba. Dans un contexte difficile pour elle, la SNCF a accepté que quelques agents participent au projet en étant en congé spécial, statut qui leur permet de conserver leurs droits à la retraite et d’être réintégrés à la SNCF au terme de leur mission au sein de la SERFER.
- Des agents SNCF retraités. Certains d’entre eux sont déjà allés à Cuba pour les premières missions d’études faites par la SNCF.
- Des prestataires disposants d’experts ayant les compétences nécessaires. Certains de ces prestataires sont des sous-traitants de la SNCF et connaissent donc ses principes de maintenance.

A la fin de l’année 2021, le projet est ainsi finalisé dans sa nouvelle gouvernance et les ultimes ajustements faits en janvier et février 2022.
Le 4 mars 2022, le contrat entre l’UFC et Expertise France est signé par les deux parties et celui entre Expertise France et la SERFER l’est le 9 mars. Le 3 avril, l’équipe de la SERFER s’envole pour Cuba afin de démarrer la mission d’assistance technique auprès de l’UFC.

Six ans après la visite à Paris du Président Raul Castro et la signature de la feuille de route de la coopération franco-cubaine, le projet de coopération ferroviaire initié lors la visite du Président Hollande à Cuba en mai 2015 est ainsi concrétisé et lancé.

Au-delà des aléas normaux d’un projet d’une telle complexité, les nombreuses difficultés qui ont émaillé son déroulement n’ont pu être surmontées que grâce à la mobilisation de nombreux acteurs, attentifs à la situation singulière de Cuba. Parlementaires, diplomates français et cubains, syndicalistes, cheminots, responsables de l’AFD, nombreux furent ceux qui ont œuvré à la réussite de ce projet et permis la mise en œuvre de la coopération ferroviaire franco-cubaine, malgré les effets des lois extraterritoriales des Etats-Unis et le désengagement de la SNCF.

L’AFD et Expertise France ont su innover et accepter une gouvernance inédite pour un tel projet. François-Michel Lambert, député et président du groupe d’amitié France Cuba, et Laurent Brun, secrétaire de la CGT Cheminots sont intervenus auprès du nouveau président la SNCF, pour qu’il permette la participation à titre personnel de cheminots SNCF au projet. Jean-Pierre Farandou a finalement su faire la part des choses et permettre, sans impliquer ni mettre en risque la SNCF, l’intervention de quelques experts disposant de l’expérience et des compétences nécessaires à la réussite du projet. Sans oublier les cheminots retraités engagés dans le projet qui ont su, eux aussi, prendre des risques et consacrer du temps à un projet longtemps incertain.

La construction de partenariats internationaux est toujours une aventure compliquée et riche en rebondissements. La coopération ferroviaire franco-cubaine n’a pas échappé à la règle. Les décisions de Donald Trump, la frilosité des banques et le contexte sanitaire ont encore accentué les difficultés. Mais le rayonnement du ferroviaire français et la volonté des cheminots cubains de poursuivre la relation de confiance, patiemment construite avec les experts ferroviaires français, ont été les plus forts et nous ont permis de réussir à sceller ce partenariat historique.

Dominique VASTEL
Président de la SERFER
Ancien directeur à la direction internationale de la SNCF