Français de la Révolution cubaine et lieutenant de Che Guevara
Peu de gens le savent mais un homme clé et discret de la Révolution Cubaine se trouve être un Français de naissance. Né en 1928, la même année que « Che Guevara », il est toujours vivant et a été fait lieutenant par celui-ci après la bataille de Santa Clara. Mieux encore, il fait partie de la famille de Carlos Manuel de Cespedes, l’initiateur de la première Guerre d’Indépendance et premier Président de la République de Cuba. S’il n’a jamais recherché la lumière, Raoul Castro avait dit que « Lavandeyra était une institution ». Un livre vient de lui être consacré*. Lui qui était un acteur de cette Révolution dès la première heure, met en pièce la légende noire sur « Che Guevara » et la soi-disant installation du goulag tropical.
Cuba Coopération France est allé à sa rencontre
Comment vous êtes-vous retrouvé à Cuba ?
Après mes études de Sciences Politiques à Paris, mon engagement militant, ma participation au Gouvernement progressiste du Guatemala jusqu’au Coup d’Etat, j’ai voulu retourner en Amérique Latine. Cuba s’est imposée naturellement puisque c’est la terre où de nombreux membres de ma famille sont tombés dans les Guerres d’Indépendance. En l’occurrence, il y avait la dictature de Batista à combattre. Je suis allé à Cuba dès 1955, mais j’ai agi dans la clandestinité.
Vous étiez avant au Guatemala ?
Ma famille très cosmopolite a beaucoup essaimé à Cuba et en Amérique Centrale. J’avais de la famille au Guatemala et le Gouvernement progressiste de Jacobo Arbenz essayait de faire des réformes sociales. J’ai donc voulu participer à l’expérience et je suis devenu conseiller d’un ministre jusqu’au Coup d’Etat de 1954, soutenu par les États-Unis. C’est au Guatemala que j’ai rencontré le Che pour la première fois. Ce qu’on a appelé le « l’Octobre Guatémaltèque » est en quelque sorte la répétition générale de la Révolution Cubaine. Pour résister, elle s’est beaucoup inspirée de l’expérience avortée au Guatemala. Nous savions que tôt ou tard, les Nord-américains allaient essayer d’anéantir la Révolution Cubaine. Depuis plus de 60 ans, ils n’ont pas renoncé.
Comment vous êtes-vous retrouvé à la bataille de Santa Clara ?
Engagé depuis 1955 dans la lutte clandestine urbaine à La Havane, je voulais depuis longtemps rejoindre la guérilla. L’autorisation m’en a été donnée peu de temps avant la bataille de Santa Clara. C’est ainsi que j’ai retrouvé le Che et intégré sa colonne. Il m’a affecté à la direction du peloton n° 2 de sa colonne. Il m’a nommé lieutenant après la victoire, quand nous avons investi la forteresse de La Cabana après que nous ayons pris La Havane.
Pourquoi vous a-t-il nommé lieutenant ?
Pour mes états de service pendant la bataille, je suppose. Il a même dit que j’étais téméraire, ce qui n’était pas nécessairement un compliment dans sa bouche puisqu’il avait le souci de la vie de ses hommes. J’ai eu la responsabilité de rédiger le premier manuel d’instruction militaire de l’Armée Cubaine et j’ai même été nommé membre du Bureau Politique de l’Etat-Major de l’Armée Cubaine.
Quels sont vos souvenirs du Che ?
.J’ai été dans les Forces Armées mais pas dans les combats avec lui. Mes souvenirs sont très personnels. Le Che était d’une intelligence incroyable. Il disait à tous ceux qui se disaient révolutionnaires qu’il fallait être très modeste et surtout, tourné vers le peuple et non vers les actions individuelles. C’était indéniablement l’homme d’une nouvelle éthique révolutionnaire. Il était extrêmement modeste avec lui-même et très exigeant sur la modestie de son entourage. Je me souviens de son regard et si je devais le résumer en peu de mots, le Che c’était surtout la modestie et l’éthique.
Qu’avez-vous fait après la victoire ?
J’ai eu plusieurs fonctions : numéro deux de la Police Militaire de La Havane ; conseiller du Ministre duTtravail, Augusto Sanchez Martinez, collaborateur des Services Spéciaux … J’ai également travaillé au sein d’un hôpital psychiatrique pendant 5 ans pour développer avec mon ami Ramon de las Posas, un proche de Fidel, une autre approche de la psychiatrie cubaine. Mais j’ai eu aussi des missions particulières pour liquider les UMAP, ces camps militaires réservés aux homosexuels ; j’ai été juré aux procès de La Cabana ; j’ai été chargé par Fidel de monter une opération clandestine pour libérer Régis Debray, emprisonné en Bolivie pendant la guérilla du Che Guevara en 1967…
Vous avez été juré aux procès de La Cabana ?
Il y a eu des crimes épouvantables commis par les organes de répression la dictature de Batista. Après la victoire, il y a eu une demande forte de réparations de la part des familles de victimes. Nous avons voulu éviter les vengeances et règlements de compte sauvages comme ils avaient eu lieu lors de la chute de Gerardo Machado en 1933. On m’a demandé de participer et je dois dire que je n’ai pas eu les cas les plus graves car les prévenus de mon jury n’ont jamais écopé de plus de 5 ans de prison. On a essayé d’être les plus rigoureux possibles pour rendre une véritable justice.
Vous avez ensuite quitté Cuba ?
Je n’ai pas vraiment quitté Cuba. En 1982, j’ai suivi ma compagne dans ses différents postes d’Attachée Culturelle où ses missions la menaient, notamment en Amérique Latine. Nous avons ainsi pu continuer d’agir pendant la Guerre Civile au Salvador, la Révolution Sandiniste au Nicaragua, la Révolution Bolivarienne au Venezuela... Fidel disait « Nous avons fait une révolution plus grande que nous même ». On ne quitte pas une révolution plus grande que soi-même. La Révolution Cubaine, c’est une part de moi-même. J’ai toujours été reçu comme un membre de la famille quand je suis retourné à Cuba.
*Souvenirs d’un guérillero tendre, Louis Alberto Lavandeyra, le lieutenant français du Che Guevara, Les Indes savantes, août 2022, 288 p. 31€.
• Photo 1 : Lavandeyra au balcon avec un prisonnier pendant la bataille de Santa Clara
• Photo 2 : Lavandeyra devant la photo de son aïeul Carlos Manuel de Cespedes, juste après la victoire.
• Photo 3 : Louis Lavandeyra échangeant avec Oswaldo Dorticos, président de la République de Cuba de 1959 à 1976.
• La voiture qui a été remise à Lavandeyra après la victoire avec l’annotation « El Frances ».