Franck Delorieux à La Havane

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Deivy Colina, Directeur de la Casa Victor Hugo à La Havane, nous invite à découvrir l’exposition "Regards sur la Havane" du photographe Franck Delorieux, fruit d’une heureuse collaboration avec l’Alliance française, l’Association Cuba Coopération, la Casa Victor Hugo et du Bureau de l’Historien de la ville de La Havane. L’exposition est présentée par Patrice Paoli, ambassadeur de France à Cuba, et Marc Sagaert, directeur général de l’Alliance française et curateur de l’exposition.

La Havane éclectique est à nouveau révélée par l’œil qui regarde, découvre et devine des fragments de ses espaces auxquels l’image donnera une éternité. La Havane est sans aucun doute une ville de caractère, une ville chargée d’histoire qui attrape et fascine et est tout à la fois mystérieuse et subtile. Franck Delorieux connaît cette sensation. Ses photographies rendent un bel hommage à ce lieu « solaire » révélé par son exceptionnel talent créatif et où nous découvrons aujourd’hui avec joie, une sélection d’œuvres de la cité accueillante, choisies avec beaucoup de délicatesse.

Les images de Franck Delorieux sont l’heureux prétexte à une nouvelle collaboration institutionnelle de l’Alliance française à Cuba, l’Association Cuba Coopération et la Casa Victor Hugo, du Bureau de l’Historien de la ville de La Havane.

Cette exposition est accompagnée d’un excellent ouvrage au titre éponyme, qui réunit un prologue de Patrice Paoli, ambassadeur de France à Cuba, une introduction et un long entretien inédit réalisé par Marc Sagaert, curateur de l’exposition, avec lequel nous avons la chance de travailler au service des échanges culturels entre la France et Cuba.

Que découvrons-nous dans ces « Regards… » ? Un ensemble de sensations qui prennent vie dans chaque photographie, une merveilleuse vision de la ville et un profond respect pour ses quartiers et ses habitants. L’élégante approche des architectures et des sites réalisée par Delorieux offre un large éventail de solutions artistiques. Nous découvrons de minutieuses compositions géométriques, des cadrages parfaitement calculés et une vocation intimiste dans les détails d’une ville imaginative et créatrice.

Il faut saluer la singularité des images de Delorieux qui se différencient fortement de « l’image du Cubain » trop souvent représentée à l’extérieur, laquelle propose une vision déformée d’un pays dont la diversité des expressions culturelles est par ailleurs reconnue. La barrière du quartier du Vedado, le Centre et la Vieille Havane, sont les espaces privilégiés par Franck Delorieux. C’est aussi le Malecón et ses visiteurs défiant les imposantes vagues qui sont représentés dans les images. C’est l’environnement patrimonial exprimé dans ses colonnes, édifices anciens, monuments et vitraux qui sont également captés par la pratique photographique. C’est dans la cubanité et dans les éléments caribéens que se conjuguent la séduction des blancs et des noirs, magistralement approchés par le créateur.

Aux portes du cinq cent deuxième anniversaire de la Fondation de la Ville de La Havane, « Regards sur La Havane » est un hommage mérité à la cité, au travail de restauration réalisé et à la riche collaboration entre la France et notre Ile. C’est également une invitation à appréhender la capitale cubaine d’une manière artistique et créatrice, et à nous éprendre de cette ville, que nous voyons chaque jour et où se mêlent les rêves et les espérances, « l’animation des ruelles irrégulières et désirées ».

Deivy Colina

Regards photographiques sur la capitale cubaine, Patrice Paoli, ambassadeur de France à Cuba

San Cristóbal de La Habana a célébré, en novembre 2019, le demi-millénaire de sa fondation. La capitale de cette île mythique de la Caraïbe, qu´André Breton trouvait surréaliste,séduit les écrivains, les romanciers et les poètes. Dans la littérature cubaine du XXème siècle, la cité occupe une place de choix. Elle confère à la fiction une atmosphère particulière. Alejo Carpentier, José Lezama Lima, Guillermo Cabrera Infante et, plus proche de nous, Leonardo Padura, parmi d´autres, traduisent, chacun à leur manière cette fascination.

Alejo Carpentier « peut-être le plus havanais des auteurs havanais », selon Padura, dit aimer La Havane « plus qu´aucune autre ville au monde ». L’inventeur du réel merveilleux écrit dans La Habana sin terminar : « Tous les éléments de la perfection [y] coexistent : un Malecón uniquement comparable à la Promenade de Nice ou à celle de Rio de Janeiro ; un climat propice à la floraison toute l´année ; un ciel qui ne couvre pas les pavés de boue grise ; une situation géographique qui offre le décor de la mer, des nuages et du soleil, au fond de chaque rue. »

José Lezama Lima, était de La Havane « comme Saint-Thomas l´était d´Aquin et Socrate d´Athènes ». La ville était, pour le créateur du hasard fédérateur, un lieu singulier « où l’addition des échos s´interprètent, où le dialogue rend des secrets, où le pollen et la moelle du palmier se réduisent à un cristal de sucre. »

Guillermo Cabrera Infante, écrivain en exil, gardera éternellement en mémoire les beautés de la ville. Dans La Havane pour un infante défunt il écrit : « La Havane, (selon le vieil adage qui sonnait comme un allegro : qui voit La Havane/par les yeux se damne, la ville entrait en moi par les yeux mais aussi par tous les pores, qui sont les yeux du corps) me fascinait. » L’écrivain se remémore « cette courbe du front de mer, [de laquelle] on voyait d´une extrémité à l´autre, l´avenue qui donne cette qualité unique, de jour comme de nuit, au paysage de La Havane, cet itinéraire [qu´il referait] tant de fois dans [sa] vie en pensée, l’isolant de son cadre, de sa destination, l’imaginant illimité, le croyant éternel – illusion. »

Leonardo Padura, quant à lui, confie volontiers son attachement à La Havane et plus spécialement à Mantilla, quartier où il a toujours vécu. Dans Agua portodas partes, il écrit : « Ma Havane résonne de musique et de vieilles voitures, elle sent le gaz et la mer, et sa couleur est bleue. Mon sentiment d’appartenance à Mantilla et à La Havane a fait de moi l’écrivain que je suis et m´a incité à écrire ce que j´écris. » Et c’est à La Havane que Mario Conde, son personnage fétiche, évolue.

Ce n´est pas en tant que poète ou romancier que Franck Delorieux évoque La Havane, mais en tant que photographe. Lors de son séjour à Cuba en avril 2012, il a cheminé dans différents quartiers de la ville et en a rapporté toute une moisson de prises de vue noir et blanc.

Les excellentes éditions Helvétius, qui avaient déjà publié en 2017 un ouvrage de photographies de Franck Delorieux Le Rameau vert, éditent aujourd’hui un nouvel opus qui rassemble une cinquantaine de photographies accompagnées de textes dans les deux langues.

Des photographies, qui seront réunies dans l´exposition produite par l´Alliance française avec l´appui de l’Association Cuba Coopération, à la Casa Victor Hugo.

Dans ce travail, le photographe ne procède pas par séries, comme il a coutume de le faire. Il s´agit plutôt ici d´une suite havanaise, comme on le dirait d´une pièce musicale. On y retrouve le rythme, la respiration, la profondeur, la délicatesse, la singularité et la poésie toujours présentes dans ses photographies comme dans ses textes.

Je me réjouis de la mise en œuvre de ce beau projet, qui témoigne, une fois de plus, de la richesse et de la diversité des relations culturelles tissées entre nos deux pays.

Marc Sagaert, directeur général, Alliance française à Cuba, curateur de l’exposition.

« L’œil obéit au désir de la révélation ».

Silvia Baron Supervielle

Franck Delorieux, écrivain, poète, essayiste et photographe découvre en 2012 la capitale cubaine. Dès le premier instant, il est séduit par la ville qui lui procure un véritable coup de cœur esthétique : « Á La Havane, les femmes, les hommes, les enfants, les murs, les toits, les rues, le ciel sourient. La Havane est une ville qui regorge d’énergie qu’elle offre généreusement à ceux qui la visitent. La beauté de La Havane est solaire », écrit-il.

Au cours de ses déambulations, Delorieux réalise des centaines de photographies. Dans les quartiers du Vedado, du Centre et de la Vieille Havane, ses yeux se portent sur les édifices, les détails architecturaux des maisons, les colonnes, les fenêtres, les vitraux, les balcons. Ses pas le mènent au Castillo del Moro, à l’entrée de la Baie, jusqu’à la Cabaña.

Dans le chassé-croisé des ombres, le photographe dessine des corps le long de la jetée. Il est le témoin de la fureur du vent et du tourment des vagues qui jaillissent par-dessus le Malecón, enveloppent le rire des adolescents et le tremblement frileux des enfants. Son objectif capte la beauté des nuages qui s’étirent tendrement sur la mer.

Á La Havane, les photographies de l’artiste se vêtent de blancs et de noirs. Une palette infinie qui joue ici sa partition de lumière. Les tonalités noires s’imposent, orchestrent les paysages, découpent les figures et font jaillir par contraste la poésie des lieux. Les gris se chamaillent l’intensité, ils s’emportent parfois jusqu’à l’obscurité et permettent au regard de se perdre.

« Je n’ai nullement la prétention de donner une vision globale de La Havane – affirme Delorieux, je n’ai à offrir que mon regard car, comme disait Nadar : chaque œil a son regard. Et, à travers l’œil, c’est l’esprit et la chair qui s’expriment. »