Hemingway le Cubain

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Un article de Jacques Lanctôt publié sur "Le Journal de Montréal
L’écrivain nord-américain et prix Nobel de littérature, Ernest Hemingway, a vécu en tout vingt-deux ans à Cuba, où il partageait son temps entre sa maison de campagne La Vigia, en banlieue de La Havane, le bar Floridita, pour ses daïquiris spéciaux au jus de pamplemousse, l’hôtel Ambos mundos (la chambre 511), rue Obispo, lorsqu’il préférait demeurer en ville pour x raisons, et un ou deux restaurants de Cojimar, à une dizaine de kilomètres de la capitale, lorsqu’il revenait de ses parties de pêche à l’espadon...

C’est, entre autres, à cause de ce poisson qu’il adorait, qu’il se serait installé à Cuba. Il y avait réalisé les meilleures pêches de sa vie, raconte son ami, l’écrivain colombien Gabriel Garcia Marquez, dans le prologue de l’ouvrage Hemingway en Cuba du journaliste Norberto Fuentes, et cela, à seulement quarante-cinq minutes de sa maison, dans le Gulf Stream. Dans son roman Le vieil homme et la mer(1952, prix Pulitzer), l’écrivain rend compte de ce combat épique entre un vieux pêcheur usé par la vie et l’espadon immense, symbole de la dureté de la nature. « L’homme n’est pas fait pour la défaite, relate Heming-way. Un homme peut être détruit, mais pas vaincu. »

Photo courtoisie

Mais il y avait aussi bien d’autres raisons pour préférer Cuba à l’Espagne, où Hemingway venait pour ses corridas de taureaux, raconte Garcia Marquez, comme cette brise fraîche du matin en période estivale, qui permet d’écrire dans de meilleures conditions avant que la chaleur accablante ne vous enveloppe, invitant à la détente. D’ailleurs, Hemingway bloquait la sonnerie de son téléphone pour éviter d’être dérangé pendant ses séances de travail matinal. Il aimait assister à des combats de coqs, pratique maintenant interdite à Cuba. Il se sentait orgueilleux des dix-huit variétés de mangues qu’il avait dans son jardin et fréquentait le club sportif tout près où il s’exerçait au tir au pigeon, en misant parfois de fortes sommes. Autant de raisons qui lui faisaient préférer Cuba à tout autre endroit dans le monde.

Neuf mille livres

Mais la preuve suprême qu’Heming-way avait choisi Cuba pour sa résidence permanente, à San Francisco de Paula, plus précisément, à une vingtaine de kilomètres de la capitale, c’est son imposante bibliothèque, composée de plus de neuf mille livres. Tout bon écrivain doit s’entourer ainsi de ses livres pour écrire. Sans parler de ses trophées de chasse et ses œuvres d’art dont la plupart ont été reprises par sa dernière épouse, Mary Welsh. On peut les voir encore aujourd’hui en visitant sa maison transformée en musée. Sans parler de ses quatre chiens et de ses cinquante-sept chats. D’ailleurs, l’écrivain nord-américain avait aménagé, près de la maison, un petit cimetière de chats qu’on peut voir en visitant la Finca Vigia. 

Œuvre

Photo courtoisie

C’est dans cette fermette, en solitaire, qu’Hemingway écrivit la majeure partie de son œuvre : Pour qui sonne le glas (1940), un roman qui se déroule pendant la guerre civile espagnole où Hemingway fut correspondant de guerre, Au-delà du fleuve et sous les arbres (1950), qui raconte les souvenirs d’un vieux soldat embrigadé sur le front italien pendant la Première Guerre mondiale, Paris est une fête, récit à saveur autobiographique, publié après sa mort en 1964, et où l’on côtoie Gertrude Stein, Scott Fitzgerald et Ezra Pound de même que le jeune Hemingway avec sa première épouse, Hadley Richardson (en 2011 Woody Allen en fera un film : Minuit à Paris), Le vieil homme et la mer, bien entendu, et Îles à la dérive (1970), où l’avatar de l’écrivain, « grand buveur de daïquiri, consommateur de prostituées et pilier de comptoir des bars de La Havane, se demande pourquoi il a besoin de vivre mal pour écrire bien ».

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En 1960, un an après le triomphe de la Révolution cubaine, alors que déjà les États-Unis commençaient leurs attaques sournoises contre le jeune gouvernement révolutionnaire, le journaliste argentin Rodolfo Walsh, assassiné en 1977 par la junte militaire, réussit à interviewer Hemingway au moment où il s’apprêtait à voyager hors de l’île. « Nous allons gagner, nous les Cubains, nous allons gagner », lui a-t-il révélé dans un espagnol très correct. Puis il a ajouté, en anglais cette fois : « I’m not a yankee, you know. » Hemingway et Fidel s’étaient rencontrés quelques mois auparavant lors du Tournoi international de pêche à l’espadon de La Havane. Personne ne sait ce que se sont dit les deux hommes, mais ces instants ont été immortalisés en photos.

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Marquez raconte que l’écrivain adorait aussi Cuba pour ses charmes secrets et discrets, en parlant de ses conquêtes féminines. Hemingway eut quatre épouses et quelques amantes, dont des actrices célèbres, comme Ava Gardner, mais celles-ci devaient attendre que l’écrivain ait terminé son travail d’écriture avant de penser redevenir épouse ou amante. On raconte qu’il fut cruel et injuste avec les femmes qui l’aimaient et doux et compréhensif avec celles qui le détestaient.

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Assassin ? 

En 2001, Leonardo Padura, l’écrivain cubain créateur du fameux enquêteur de police Mario Conde, converti en vendeur de livres anciens, publia Adios Hemingway où il en profite pour régler ses comptes avec le monstre sacré. Conde recherche l’assassin d’un agent du FBI dont on a découvert le cadavre, enterré dans le jardin de la ferme La Vigia. Roman prétexte à la quête de l’identité, toujours présente dans ses autres ouvrages. Le vieil écrivain, à la fois nord-américain et cubain, honni et admiré, est soupçonné du meurtre, commis il y a quarante ans.

Cubain ou Américain, Ernest Heming-way ? Déprimé, il s’éclatera la tête avec son fusil à deux canons, le 2 juillet 1961, aux États-Unis, à l’âge de 61 ans, peu de temps après son départ de Cuba où tout indiquait qu’il allait revenir.