Jean Valjean habite aussi rue O’Reilly

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Les fidèles habitués de notre site doivent savoir que depuis près de vingt ans maintenant, Victor Hugo a sa maison au cœur de la vieille Havane, au 311 rue O’Reilly, grâce à la volonté de l’association Cuba Coopération France et au financement du Sénat de la République Française. Dans cette maison, qu’il faut visiter, véritable vitrine de la culture française, ils pourront voir toute l’influence culturelle et politique de ce monument du XIXème siècle qu’a été Victor Hugo. Ils emprunteront aussi les pas de François Hollande venu honorer de sa présence, en toute simplicité, cette maison lors des cérémonies liées au cinq-centième anniversaire de la création de La Havane

Ils ne manqueront pas de se référer « aux Misérables » et au périple de Jean Valjean, dans les égouts parisiens, tentant de sauver Marius, blessé sur les barricades dressées lors de l’insurrection parisienne de 1832.
Le réalisme des détails, décrivant le cheminement de l’ancien bagnard dans l’embryon du réseau d’égouts parisien, laisse supposer que Victor Hugo avait lui-même visité ces ouvrages, et qu’en 1862 lors de la parution de son œuvre le réseau était proche de cinq cents kilomètres, sur les deux mille qu’il compte maintenant « aujourd’hui l’égout est propre, froid, correct, tiré au cordeau, presqu’à quatre épingles. Il ressemble à un fournisseur devenu Conseiller d’Etat. » Ces quelques lignes sont extraites en fait du chapitre « Les intestins de Léviathan » où l’auteur, à travers une description apocalyptique des différents ouvrages traversés, délivre un véritable message écologique concluant qu’économie et urbanisme étaient les conditions du progrès social.

La seconde prise de position déterminante de Victor Hugo concerne son engagement quant au choix de l’épandage agricole. Pour cela il est nécessaire de dire un mot du schéma directeur de l’époque.
Le coup d’état du 2 décembre 1851 et la prise de pouvoir de Napoléon III a eu au moins d’heureuses conséquences au niveau de l’assainissement parisien. Le Baron Haussmann veut faire de Paris la Rome des temps modernes ; il supprime les petites rues sinueuses et étroites du vieux Paris, propres aux insurrections et aux barricades, pour les remplacer par de larges avenues rectilignes, bordées des fameux immeubles haussmanniens en pierre de taille. Le nouveau préfet se rend compte rapidement que les déversements en Seine ne sont plus tolérables et confie, en 1856, à Eugène Belgrand, jeune et brillant polytechnicien, de la promotion 1829, le soin d’alimenter la ville en eau potable, mais aussi de construire un réseau d’assainissement, débarrassant la Seine de ces rejets permanents. Il est intéressant de constater qu’exactement aux mêmes dates, l’ingénieur de l’Académie Royale d’Espagne Francisco de Albéar, entreprenait l’alimentation en eau potable de la capitale cubaine. Pour avoir le privilège de connaître les ouvrages des deux capitales, il est surprenant de constater une identité parfaite entre leur conception et leur construction. Ce ne peut pas être qu’une simple coïncidence.

A Paris, en matière d’assainissement le projet est simple, il consiste à profiter des méandres de la Seine, pour implanter 4 grands collecteurs, dont les tracés, les plus directs possible, vont converger vers Clichy, petite localité en bordure de Seine à 5 kilomètres de Paris à vol d’oiseau. Belgrand dispose ainsi d’une pente suffisante pour évacuer les eaux gravitairement et reporter la pollution en aval de Paris, en attendant le traitement des eaux qui n’interviendra qu’un siècle plus tard.
Une fois mené à bien, ce projet entraînait cette fois le déversement de près d’un million de mètres cubes d’eaux usées par jour à Clichy. Il amenait ainsi dans une Seine à peine remise de sa traversée de Paris une énorme pollution et, de plus, concentrée en un seul point. Cette anomalie ne pouvait échapper à Victor Hugo qui s’enflammait en des termes passionnés : « Paris jette des millions à l’eau jour et nuit. Dans quel but ? Sans aucun but. Dans quelle pensée ? Sans y penser. Pourquoi faire ? Pour rien. Au moyen de son intestin. Quel est son intestin ? C’est son égout. Un égout est un malentendu ; on expédie à grands frais des convois de navires pour récolter au Pôle austral la fiente des pétrels et des pingouins et l’incalculable élément d’opulence qu’on a sous la main, on l’envoie à la mer. La richesse publique s’en va à la rivière », et malgré l’opposition farouche de Pasteur, les ingénieurs Mille et Durand Claye étudieront dès 1874 l’épandage agricole dans la plaine alluvionnaire de Gennevilliers, avant de la transposer très en aval sur les 5 000 hectares des plaines d’Achères, Mery- Pierrelaye et Triel, par un aqueduc de près de 30 kilomètres de long, inauguré en 1896.

Pour ceux de nos lecteurs qui résidaient à Paris pendant la sombre période de la Seconde Guerre mondiale, ils peuvent remercier cette sage décision. Pendant la durée de l’occupation ce sont les champs d’épandage d’Achères qui ont ravitaillé les Parisiens en légumes et en particulier en poireaux. Qu’ils se rassurent : à l’époque, les produits méritaient la mention Bio XXL. Les fermetures industrielles dans le Bassin Parisien et, à l’époque, l’absence d’emploi des pesticides garantissaient une alimentation saine. Hélas, à la fin du siècle dernier, la concentration en métaux lourds et les trop fortes odeurs ont conduit à donner raison à Pasteur avec l’abandon de cette technique. Les eaux sont maintenant traitées à la station des Grésillons et l’emplacement des champs donne lieu à la culture de la lavande et à l’implantation d’une forêt domaniale.