L’Académie San Alejandro où l’on respire l´Histoire de Cuba et de son Art
Vous trouverez dans cet article qui rappelle l’histoire de cette grande institution, les traces marquantes de la présence de notre pays. Au travers d’abord de celui qui en fut le fondateur Jean-Baptiste Vermay (1)et ensuite de ceux qui en furent les illustres directeurs Joseph Leclerc et Frédéric Mialhe.
(1) Notre amie Sabine Faivre d’Arcier a signé une étude fort intéressante : Jean- Baptiste Vermay. Peintre et citoyen français (Lys Editions Amatteis, 2002),
On respire l’histoire de Cuba et de son art ...
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Tout en fouillant dans les archives de l´ancienne École gratuite de Dessin et de Peinture de La Havane, nom avec lequel elle a été baptisée au début, en 1818, nous pouvons trouver un précieux matériel de mémoires et souvenirs pour un long et beau roman de l´histoire, la culture, l´art, la politique et la vie sociale de notre pays depuis près de deux siècles.
L´Académie nationale des Beaux-Arts San Alejandro vient d´avoir, le 12 janvier, ses premières 195 années. C’est là qui continue l´art à se développer dans toutes ses dimensions. Cette école garde la tradition, mais toujours accompagnée d’une boussole qui la guide pour diriger son travail vers le futur.
Comme si nous étions dans une machine à explorer le temps, un simple regard sur les matériaux anciens nous offre des émotions incomparables.
Dans le registre des étudiants, livre premier (309), dossier 167, on remarque une inscription : Mr José Martí Pérez, originaire de La Havane, âgé de 14 ans. Il est entré dans la classe de Dessin élémentaire le 15 septembre, 1867 ... Dans l´année académique 1922-1923, dossier numéro 160, un autre grand nom : Pablo de la Torriente y Brau, originaire de San Juan, province de Puerto Rico, âgé de 20 ans et domicilié à la rue San Rafael numéro 151 dans cette capitale, sollicite l´inscription dans les matières énoncées ensuite : Dessin élémentaire, La Havane, le 22 septembre, 1922. Dans ce trésor en papier figure aussi le commandant Camilo Cienfuegos ...
Tant de noms remarquables dans n´importe quel domaine de la vie cubaine ont passé un jour par ses salles de classe. C’est l’histoire de l´art académique, mais aussi la vie politique, sociale et culturelle cubaine d’une époque. Là on conserve d’autres documents de valeur comme des témoignages des hommes qui ont combattu dans les armées d´indépendance et qui ont été expulsés de l’institution, et d´autres qui ont lutté contre la dictature de Fulgencio Batista, dans notre plus récente lutte révolutionnaire. Car entre l´art et les études, la flamme libertaire a été toujours allumée.
Aujourd´hui, l´Académie San Alejandro est située dans l´un des bâtiments qui entourent l´obélisque dédié à la mémoire de Carlos J. Finlay, à Marianao, à l´entrée de Ciudad Libertad, où elle a été déplacée dans les premières années de la Révolution (1962).
En arrière, dans les souvenirs, se trouve ce 12 janvier, 1818 quand, au couvent de San Agustín (situé à Teniente Rey et Aguiar, La Vieille Havane) on a ouvert l´École de Dessin et de Peinture de La Havane, à charge de la Real Sociedad Económica de Amigos del País.
Depuis cette année, et pendant trois lustres, son directeur a été l´artiste français Jean-Baptiste Vermay (1748-1825), qui avait été formé dans l´atelier de Jean-Jacques David, figure de proue du néoclassicisme français. Il a été recommandé par le célèbre Francisco Goya et le duc d´Orléans. Vermay est reconnu pour être l´initiateur des études académiques des arts plastiques et de l´apprentissage à travers des ateliers pour l’enseignement à Cuba. De plus, il a été le créateur du premier cours du soir ou de travailleurs, ce qui a continué de façon ininterrompue jusqu´à l´année dernière.
En hommage au directeur de la Real Sociedad Económica, Alejandro Ramírez, aussi intendant général des Finances, qui aux côtés de l´évêque havanais Juan José Díaz de Espada y Fernández de Landa avait fondé l´École, depuis 1832 elle porte le nom de son principal mécène.
En 1856, l’École s´installe à la maison située dans la rue Dragones numéro 308. Pendant des années, défilent par la vieille maison des directeurs français, espagnols et italiens, jusqu´à 1878 lorsque Miguel Melero y Rodríguez tient les rênes et devient le premier directeur cubain. À partir de ce moment-là et jusqu´à présent, tous les directeurs ont été des Cubains. Melero a renouvelé l´enseignement artistique avec ses méthodes, et entre autres choses, il est reconnu pour ouvrir les études aux femmes qui ont toujours été reléguées à l´enseignement officiel de l´art, ce qui leur a permis de trouver un endroit où développer leur besoin d´expression. C’est grâce à lui qu’on a introduit la couleur dans les cours, comme un élément de l´identité cubaine.
Pendant des décennies, elle a été la seule institution de son genre sur l´île et, tant dans la période coloniale comme pendant la République, elle a vu augmenter son prestige, car on a constaté qu´un grand nombre de personnalités de l’art s’est formé dans ces salles de classe, et dont quelques-uns ont été après des enseignants et des directeurs de l´Académie. Parmi eux on peut nommer Joseph Leclerc, qui a commencé les classes de modelage en 1848, et Federico Miahle, paysagiste et scientifique devenu le directeur en 1850, et c’est lui qui a réaffirmé le thème du paysage dans la peinture cubaine du XIXe siècle.
Leopoldo Romañach et Armando Menocal ont fourni des nouveaux concepts en matière d´éducation dans le début du XXe siècle. On compte aussi Esteban Valderrama (portraitiste et professeur), Enrique Caravia, Florencio Gelabert, et Carmelo González, qui y fonda vers 1957 l’Association de Graveurs de Cuba, en plus d´élargir l´éducation en intégrant la xylographie (gravure sur bois) et la chalcographie (gravure sur métal) dans les cours.
Un centre culturel et révolutionnaire
Tout en revenant sur les documents qui racontent son histoire, l´Académie San Alejandro a été toujours un endroit de surgissement de mouvements rénovateurs. Au long de presque 200 ans d’existence, dans les salles de classe et des ateliers ont laissé leur empreinte des grandes personnalités des arts plastiques, mais aussi d´autres branches de l´art, la politique et la vie sociale à Cuba. On pourrait nommer l´Apôtre, Carlos Baliño, Fermín Valdés Domínguez, Renée Méndez Capote, Eduardo Chivás, Flavio Grobart, Vicente Revuelta, Abel Prieto et Silvio Rodríguez, parmi beaucoup d´autres. Des signatures clés de la peinture cubaine de toujours ont passé par San Alejandro. La liste serait interminable.
Des générations d´artistes et des mouvements ont vu le jour tout au long de ce temps. Nous pouvons mentionner que dans le XIXe siècle commence l´École de Paysagisme à charge d’artistes comme Esteban Chartrand, Valentín Sanz Carta et Eduardo Collazo, qui ont été suivis au XXe siècle par Armando García Menocal, Leopoldo Romañach et Domingo Ramos, parmi d’autres. Le modernisme sculptural a eu son berceau à San Alejandro, avec des figures comme José Sicre, Agustín Cárdenas, Teodoro Ramos Blanco, Rita Longa et Florencio Gelabert.
D’après les archives, on observe que la composition du corps scolaire a été toujours majoritairement ouvrière et humble. C´est pourquoi San Alejandro a été un endroit de luttes. Bien qu’au moment du déclenchement de la guerre d´Indépendance l´école n’a pas pris parti directement, car en tant qu´institution elle ne pouvait pas souscrire aux idées de liberté, cela n´a pas empêché à de nombreux étudiants et enseignants de prendre le maquis ou d’émigrer en réponse aux contradictions existantes. Dans ses salles de classe a vibré le ferment révolutionnaire. Il y a eu des luttes aussi pour transformer l´enseignement et les stricts moules académiques imposés, ce qui a lié ce combat au renouvellement des arts, et à l´idée de modernité et de culture nationale.
Après 1959, et dans le nouveau bâtiment qui l’abrite, l´Académie des Beaux-Arts San Alejandro est plus proche de la vie culturelle et sociale de notre pays, à la fois qu’elle réaffirme ses liens avec la communauté, révise les programmes d’étude et participe pleinement dans toutes les tâches de la Révolution. Elle devient le Centre Méthodologique National, et est une référence en ce qui concerne l´exécution et renouvellement de nouveaux programmes pour l´enseignement des arts visuels. C’est là qui se développent des nouveaux concepts artistiques, ce qui promeut une présence accrue des élèves dans le domaine culturel. Parmi d´autres, à San Alejandro ont été créés les groupes Arte Calle et Puré.
L´école a collaboré avec des projets sociaux de la ville, en faisant des peintures murales et des affiches pour la Tribune anti-impérialiste, l´École d´Instructeurs d´Art et d’autres manifestations de masse. Elle laisse son empreinte sur d´autres institutions culturelles, ainsi que des projets tels que la Biennale de La Havane, la Foire internationale du Livre de Guadalajara (au Mexique) et de La Havane, les journées de Dessin de Casa de las Américas et les Salons d´Art Numérique.
San Alejandro a été l’un des sièges d’événements comme les salons d´Invierno, Académica, salons cubains d’art contemporain, et développe un fort travail d’extension culturelle comme des projets d´échanges avec des écoles de Stockholm, Londres et l’Italie, et de plus elle est le siège de la Chaire latino-américaine des Arts Plastiques.
San Alejandro à la Biennale
La dernière Biennale de La Havane a eu une spéciale présence à l´Académie. Dans ses salles de classe, les couleurs continuent sur la toile ou le bristol, on grave encore sur des planches, des pierres, les figures des modèles prennent vie sur le plâtre, et des jeunes mains tracent avec des crayons le contour de visages d’hommes et de femmes. Dans l´Académie de San Alejandro, l´art se développe dans toutes les dimensions, mais aussi dans l´esprit des artistes … et leurs œuvres continuent au fil du temps à respirer la contemporanéité.
Ses espaces à la Biennale sont devenus, grâce à la créativité d’élèves, enseignants et artistes (anciens étudiants et des invités d´ici et d´autres pays tels que le Venezuela, le Chili, les Etats-Unis et la France), un endroit hallucinant où la réalité et l’irréalité se sont tutoyés et se sont couvertes de plein d’actualité et d’expérimentation. Des mêmes alentours de l´Académie qui vous accueillaient, vous pouvait respirer dans l´air une "odeur" de la peinture, ou plutôt, d’art très frais, sauvé de l’imagination juvénile, dans certains cas, et dans d´autres, d’œuvres de taille. Ils s’imprégnaient tant du renouvellement des étudiants que de la consécration de l’enseignant.
Voilà l’Académie qui se renouvelle chaque année académique avec l´expérience des enseignants-artistes et des élèves qui sont également des créateurs qui se forgent le chemin dans le difficile domaine de l´art. San Alejandro ne cessera jamais d´être le laboratoire où l´enseignant rappelle l´étudiant, l´étudiant devient enseignant, et où l´ARTISTE est toujours attentif à l´art qui l´entoure ...
Les murs de San Alejandro ont toujours été, à la Biennale ou dehors cet événement, des espaces de création, des tableaux du futur, des muraux du présent où l’on affiche et crée des œuvres dans les différents spécialités qui habitent ses salles de classe.
Donc, il n´était pas étonnant dans ces jours de printemps en 2012 que l´asphalte de l´entrée devînt un miroir reflétant le ciel bleu avec les nuages ou que des objets énormes (des lunettes, des jumelles ...) sous forme de sculptures attirassent l’attention des passants, qu´une cabine téléphonique devînt un aquarium. Il n’était pas surprenant non plus que des balles (éloignées de leur présence réelle) fussent pendues et ruisselassent « de la peinture rouge » pour dessiner des fleurs sur le sol (une tendre exaltation de la vie ...) ou que l’imaginatif parc y ouvert à l’Héros national des Arts Plastiques révélasse réalité et aussi humour cubain. Ou même les que photos qui nous apportaient le reflet d´autres latitudes et réalités, et les peintures, les dessins, les installations, les vidéos, les pièces réalisées avec imagination et l´habileté à partir de divers ressources d’autrui, certains d´entre eux au conventionnel de la plastique, devinssent des œuvres d’art très actuelles...
Dans une Biennale on montre de nombreux mondes, autant que d’artistes qui y participent. Et si l´on ajoute la valeur de l´École, d’une Académie qui a laissé des empreintes à travers son histoire dans l´art cubain, et qui dans les dernières décennies a offert des projets et des artistes qui sont représentés dans l´avant-garde du moment, alors les visions exposées se multiplient. Nous parlons de rigueur au moment de travailler et d’exposer. Ce qui y a été affiché c’était le résultat de nombreuses heures d´éveil artistique, de pensée, de singularité et de travail.
Une Biennale est un lieu de rencontres dans ses nombreuses significations, mais d´abord une rencontre de l’art avec l’homme ou de l’homme avec l‘art. C´est ce dialogue qu’on entame constamment entre le créateur et l’œuvre, et l’œuvre avec le public. Une rencontre de l’univers intérieur avec l´extérieur, une rencontre avec tous devant nous-mêmes. Mais ces jours de magie se sont multipliés en créations. Cela a été une exposition délibérément hybride : elle ne réunissait pas seulement des enseignants et des gens avancées qui n´ont pas encore atteint un magistère dans la production artistique cubaine, mais elle se servait aussi d´autres ressources d’œuvres, qui en quelque sorte s’identifient pour avoir des tons sensoriels liés à la géographie des Caraïbes et aussi à l’au-delà de nos côtes, en formant une sorte de géographie HUMAINE.
Dirigée par Sandra Fuentes, qui dans ces dernières années a tenu les rênes de l´insigne institution avec beaucoup de discernement et entrain, et soutenue par un groupe de professeurs, principalement composée par des artistes en plein exercice, l’Académie San Alejandro conserve son esprit rénovateur sur le point de fêter son bicentenaire, étant l´une des institutions les plus anciennes et les plus prestigieuses de notre zone géographique. Elle a déjà vécu 195 années, et vivra encore beaucoup plus parce qu´elle a assumé d´emblée la nécessité de se transformer, de s´adapter aux temps nouveaux. Dans ses briques, construites avec les sentiments et l´amour des hommes qui l’ont guidée dans le temps, on respire l´histoire de Cuba et de son Art.